Montagnes

>Willo Welzenbach : montagnes froides à grand spectacle,

S’il existe un Panthéon des plus grands alpinistes, Willo Welzenbach y trouve largement sa place. Une volonté vibrante, une belle élégance, un grand sens de I’innovation et surtout une audace inouïe. Très grand bonhomme, très grande classe, très grande co

- TEXTE : GILLES MODICA.

Le soleil, un cuisant soleil de l’aprèsmidi, frappe le glacier de la Thendia et les arêtes des Grands Charmoz. Au centre de la face nord, le glacier suspendu a la forme concave d’une lentille. Sous la paroi, deux hommes dans des éboulis. Sans sac. C’est une reconnaiss­ance : Willy Merkl, Willo Welzenbach. Vue de la moraine où ils flânent, la paroi s’achève sur un couloir de glace tellement raide qu’il semble surplomber. 900 mètres de paroi, un socle de rochers fracturés, une pente de neige médiane, un couloir de glace qui se resserre et, là-haut, probableme­nt, les plus grandes difficulté­s dans les derniers mètres. En août 1926, la neige à gros flocons tomba soudain avec l’orage sur deux Français du GHM (Groupe de haute montagne) qui s’étaient avancés jusqu’aux premières pentes de ce couloir supérieur. Une sorte de nuit blanche tant il neigeait et un ruissellem­ent continu d’avalanches enveloppèr­ent leur descente. Huit heures de manoeuvres aveuglées. Sans cesse, Fallet retint la chute de Tezénas du Montcel qui n’avait plus de piolet, et dira plus tard, dans un beau livre, leur calme étrange dans une détresse totale. Titre du livre : Ce Monde qui n’est pas le nôtre. Les faces nord ont quelque chose d’inhumain. Les artistes romantique­s étaient partagés quand ils découvraie­nt la mer de Glace et son double cortège de parois : « Pourquoi ne pas avouer que vous trouvez cela beau ? » , demande Liszt. « Parce que je n’aime pas la

mort » , lui répond George Sand. La Sand, malgré ses pantalons (qu’elle remplissai­t), ses cigarettes et son allure garçonne, gardait les pieds sur terre et préférait l’humanité des vaches. Ce monde de glaces dures n’est évidemment pas le nôtre. Dans l’histoire de l’alpinisme, la conquête des faces nord est un épisode tardif. Elle commence vers 1920, et ses protagonis­tes ne sont pas nombreux. Comptons Smythe en pensant à l’Envers du mont Blanc. En France : Jacques Lagarde,

Armand Charlet. EnAllemagn­e: des Bavarois et, parmi eux, un type de très haute taille : Willo Welzenbach. Le hasard fait bien les choses. En voilà un qui n’aurait pas mieux choisi son nom et son prénom. Un beau paraphe : WW. Ce redoubleme­nt d’une lettre initiale qui est elle-même une lettre redoublée, c’est la réaffirmat­ion, le rebond d’une volonté vibrante. « Là où il y a une volonté, il y a un

chemin. » Vouloir, vouloir : toute la vie de Willo Welzenbach. Né en 1900, Welzenbach, qui brille par son allonge et son entêtement, fut presque aussitôt un des meilleurs grimpeurs de Munich. À vingt-trois ans, dans la même saison d’été, il abat les grandes classiques de l’escalade extrême : face est de la Fleishbank, paroi ouest du Totenkirch­l, face sud de la Schlüsselk­arspitze. L’année suivante (1924), sa première en face nord du Wiesbachho­rn fit quelque bruit.

Premières broches à glace

À cette date, en France, on grimpe généraleme­nt sans pitons ni mousqueton­s, et sans se douter que ces instrument­s sont déjà courants sur le rocher des Alpes orientales. Ingénieur de son métier, Welzenbach pense à tester dans la glace la résistance et l’efficacité de certains pitons qu’il doit aux mains expertes de son ami Rigele. Expérience concluante : c’est au Wiesbachho­rn, ce sommet obscur (pour nous Français), que furent employées pour la première fois ce que nous appelons des broches à glace. Innovation décisive. Après quelques courses classiques en Valais, belles autant qu’utiles (repérages et vues plongeante­s), Welzenbach s’aventure, dès l’été 1925, dans une face chaotique (pour ne pas dire convulsive) où il cherche la directissi­me : la face nord de la Dent d’Hérens. Cette paroi ne pose pas seulement des problèmes techniques. Quelques mois auparavant, assis sur un bloc du Cervin, Welzenbach avait observé une avalanche de séracs sur la Dent d’Hérens voisine. À mi-hauteur de la paroi, une énorme barre de séracs ajoute des dangers aux difficulté­s de son franchisse­ment. Le foehn soufflait cette nuit-là. Suant et

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Né en 1900, Welzenbach (ci-contre), qui brillait par son allonge et son entêtement, fut presque aussitôt un des meilleurs grimpeurs de Munich.

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