>Grimper pour un drapeau ?,
Dès la naissance des clubs alpins, il apparaît que l’alpinisme n’échappe pas au contexte politique et social dans lequel il apparaît. Ce n’est pas un hasard si les Britanniques en sont au début les représentants les plus nombreux : la révolution industrie
Il est bien avéré que le mouvement alpin, sous la forme de ses clubs et des associations d’alpinisme les plus diverses, ne peut plus revendiquer cette neutralité politique (culturelle) qui a toujours été au centre de son discours officiel. C’est bien le sens de cette citation de Lucien Devies : « Il n’y a pas de supériorité des grimpeurs allemands et italiens sur les grimpeurs français, mais le mouvement alpin a en Allemagne et en Italie une intensité beaucoup plus grande que chez nous1. » Cela étant, qu’en est-il, qu’en fut-il des destins individuels ? Nous pouvons en envisager quelques-uns, la liste n’étant pas, loin de là, exhaustive. On a déjà parlé de l’Eiger et de ses protagonistes par ailleurs. On sait que Harrer avait sa carte du parti nazi, que Trenker naviguait aisément entre fascisme, nazisme et intérêts personnels. Parmi les alpinistes autrichiens proches du nazisme, Eduard Pichl joue un rôle primordial, ce qui n’empêche pas qu’il existe encore aujourd’hui un refuge portant son nom ( Pichl
Hütte, Seeboden au bord du lac de Millstatt, en Carinthie) : qui, aujourd’hui, a une idée précise de la personnalité de Pichl ?
Escapistes et opportunistes
Parmi les alpinistes italiens, la grande majorité appartient bien évidemment aux « escapistes », ceux dont l’attitude sera faite de neutralité (du moment que je peux grimper !), ou aux opportunistes (tant mieux si on m’aide, tant pis pour le contexte). Certains toutefois adoptent d’autres solutions, de la fuite à l’opposition. Mario Salvadori appartient à la première catégorie. Né à Rome en 1907, il devient en 1930 ingénieur en génie civil, puis obtient
un diplôme de mathématiques et enseigne l’architecture à l’université de Rome entre 1932 et 1938. C’est également un excellent grimpeur, compagnon d’Emilio Comici et de Severino Casara, membre du Club alpin académique qui regroupe l’élite des grimpeurs. Lors d’un séjour à Londres en 1933-1934, il prend conscience de la nature du fascisme et profite d’une bourse d’études aux États-Unis pour fuir l’Italie et enseigner à New York. Le cas de Tita Piaz est différent, ne serait-ce que parce qu’il appartient à une autre génération: irrédentiste convaincu, ayant souvent eu maille à partir avec les autorités autrichiennes lorsqu’il
Qu’en fut-il des destins individuels ? On sait que Trenker naviguait aisément entre fascisme, nazisme et intérêts personnels
était de nationalité autrichienne, il fut, devenu italien, tout autant emprisonné par les fascistes à cause de ses idées progressistes. D’autres alpinistes italiens apparaissent eux comme résistants : Attilio Tissi et Ettore Castiglioni, tout comme Cassin. Et je fais volontiers mienne la conclusion de Gian Piero Motti, auteur d’une excellente Storia dell’alpinismo : « On voudrait souvent isoler l’alpinisme du contexte historique, social et culturel de chaque pays dans lequel il a été pratiqué, au nom d’une activité sacrée et supérieure qui devrait voir tous les hommes unis par un sentiment fraternel et communautaire. Cette mystification a des racines solides et très profondes. On oublie que c’est l’homme qui fait l’alpinisme et non pas l’alpinisme qui fait l’homme. L’homme porte en lui tout un bagage historique qui l’incite à agir de façons diverses selon la « semence » qui a été jetée dans son champ2. »