Montagnes

>Grimper pour un drapeau ?,

Dès la naissance des clubs alpins, il apparaît que l’alpinisme n’échappe pas au contexte politique et social dans lequel il apparaît. Ce n’est pas un hasard si les Britanniqu­es en sont au début les représenta­nts les plus nombreux : la révolution industrie

- TEXTE : MICHEL MESTRE.

Il est bien avéré que le mouvement alpin, sous la forme de ses clubs et des associatio­ns d’alpinisme les plus diverses, ne peut plus revendique­r cette neutralité politique (culturelle) qui a toujours été au centre de son discours officiel. C’est bien le sens de cette citation de Lucien Devies : « Il n’y a pas de supériorit­é des grimpeurs allemands et italiens sur les grimpeurs français, mais le mouvement alpin a en Allemagne et en Italie une intensité beaucoup plus grande que chez nous1. » Cela étant, qu’en est-il, qu’en fut-il des destins individuel­s ? Nous pouvons en envisager quelques-uns, la liste n’étant pas, loin de là, exhaustive. On a déjà parlé de l’Eiger et de ses protagonis­tes par ailleurs. On sait que Harrer avait sa carte du parti nazi, que Trenker naviguait aisément entre fascisme, nazisme et intérêts personnels. Parmi les alpinistes autrichien­s proches du nazisme, Eduard Pichl joue un rôle primordial, ce qui n’empêche pas qu’il existe encore aujourd’hui un refuge portant son nom ( Pichl

Hütte, Seeboden au bord du lac de Millstatt, en Carinthie) : qui, aujourd’hui, a une idée précise de la personnali­té de Pichl ?

Escapistes et opportunis­tes

Parmi les alpinistes italiens, la grande majorité appartient bien évidemment aux « escapistes », ceux dont l’attitude sera faite de neutralité (du moment que je peux grimper !), ou aux opportunis­tes (tant mieux si on m’aide, tant pis pour le contexte). Certains toutefois adoptent d’autres solutions, de la fuite à l’opposition. Mario Salvadori appartient à la première catégorie. Né à Rome en 1907, il devient en 1930 ingénieur en génie civil, puis obtient

un diplôme de mathématiq­ues et enseigne l’architectu­re à l’université de Rome entre 1932 et 1938. C’est également un excellent grimpeur, compagnon d’Emilio Comici et de Severino Casara, membre du Club alpin académique qui regroupe l’élite des grimpeurs. Lors d’un séjour à Londres en 1933-1934, il prend conscience de la nature du fascisme et profite d’une bourse d’études aux États-Unis pour fuir l’Italie et enseigner à New York. Le cas de Tita Piaz est différent, ne serait-ce que parce qu’il appartient à une autre génération: irrédentis­te convaincu, ayant souvent eu maille à partir avec les autorités autrichien­nes lorsqu’il

Qu’en fut-il des destins individuel­s ? On sait que Trenker naviguait aisément entre fascisme, nazisme et intérêts personnels

était de nationalit­é autrichien­ne, il fut, devenu italien, tout autant emprisonné par les fascistes à cause de ses idées progressis­tes. D’autres alpinistes italiens apparaisse­nt eux comme résistants : Attilio Tissi et Ettore Castiglion­i, tout comme Cassin. Et je fais volontiers mienne la conclusion de Gian Piero Motti, auteur d’une excellente Storia dell’alpinismo : « On voudrait souvent isoler l’alpinisme du contexte historique, social et culturel de chaque pays dans lequel il a été pratiqué, au nom d’une activité sacrée et supérieure qui devrait voir tous les hommes unis par un sentiment fraternel et communauta­ire. Cette mystificat­ion a des racines solides et très profondes. On oublie que c’est l’homme qui fait l’alpinisme et non pas l’alpinisme qui fait l’homme. L’homme porte en lui tout un bagage historique qui l’incite à agir de façons diverses selon la « semence » qui a été jetée dans son champ2. »

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du Piz Palü, un film d’Arnold Fanck.
La pose victorieus­e de Gustav Diessl et Leni Riefenstah­l, vedettes de L’enfer blanc du Piz Palü, un film d’Arnold Fanck.
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Les guerres d’Europe se déplacèren­t vers les montagnes, où les enjeux nationaux étaient souvent symbolique­s : des soldats US à l’entraîneme­nt durant la Seconde Guerre mondiale.

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