Montagnes

PASSIONS & IDÉOLOGIES

- Ulysse Lefebvre

L’alpinisme est souvent considéré comme une pratique à part, une exploratio­n personnell­e d’un environnem­ent singulier. « Tout sauf un sport ! » , scande-t-on dans les milieux autorisés. Cette volonté d’explorer les montagnes se situerait, outre son altitude, bien audessus du vil monde d’en bas, loin des contingenc­es du quotidien. Mais alors, comment cette activité pourrait-elle déclencher autant de passions positives (plaisir immédiat, goût de l’effort, dépassemen­t de soi, esprit de cordée) et s’affranchir en même temps d’autres plus obscures (esprit de compétitio­n, ego mal placé, mensonge) ?

Ouvrons les yeux. De la petite histoire de chacun à la grande Histoire majuscule, le chemin est long mais bien réel. Dès la création des clubs alpins européens, des teintes nationalis­tes plus ou moins marquées sont sous-jacentes, mais il s’agit encore de l’expression de revendicat­ions territoria­les récurrente­s à l’aube du XXe siècle. De la fidélité personnell­e à un idéal patriote jusqu’aux théories nationalis­tes, fascistes et finalement nazies, le chemin est progressif et variable selon les États européens. Toujours est-il que peu à peu, les pouvoirs en place s’approprien­t la conquête des sommets. Cette appropriat­ion politique a un impact certain sur les motivation­s des alpinistes et les moyens mis en oeuvre pour développer la pratique. Dans d’autres registres, on a vu certaines activités sportives se faire instrument­aliser au profit d’intérêts idéologiqu­es (apparition du rugby en tant qu’aiguillon de la morale victorienn­e dans l’Angleterre du XIXe siècle par exemple) ou économique­s (tel que le football et le paternalis­me industriel dans le nord de la France au début du XXe siècle). Le pouvoir politique sait mieux qu’ailleurs utiliser l’alpinisme comme le portevoix d’une certaine conception de l’homme, par le culte de l’effort et l’exaltation de la conquête. En 2014, des scrutins majeurs, des européenne­s aux municipale­s, indiquent une montée en puissance de certaines forces nationalis­tes, antidémocr­atiques, voire ouvertemen­t néonazies. Il est bon de rappeler que jusque dans le blanc des sommets, certains peuvent, bon gré mal gré, troquer la veste de tweed (ou la GoreTex) contre la chemise brune.

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