Montagnes

OUBLIÉS LES COINCEURS, LES CORDES, NOUS NOUS NOUS SOMMES JETÉS SUR LES BLOCS,

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Afrique du Sud. Qu’en connaîton ? L’apartheid, Mandela, le vin, les animaux… À quoi m’attendais-je en venant dans ce coin de l’hémisphère Sud ? Pas grandchose. À vrai dire, je ne m’étais pas tant penchée sur le sujet, concentrée que j’étais sur ma nouvelle maison. James me tire par la manche, il est temps de partir. Où ? Rockland. J’ouvre la porte, et c’est un autre monde, une réalité différente que je prends en pleine figure. Quatre heures de route depuis Cap Town, le paysage défile. Je regarde, j’essaie de comprendre. Le sujet de l’apartheid est évidemment encore présent, et pas besoin de réfléchir si longtemps pour savoir qu’il faudra encore des génération­s pour que blanc ou noir ne soient plus si importants. Voilà déjà une grosse problémati­que, quasi absente en Europe, ou du moins absente du monde que je connais. Il y a autre chose, de plus subtil, qui me titille le cuir chevelu. Il y a cet éloignemen­t. Finalement, c’est même cet isolement qu’il faudrait dire. L’Afrique du Sud, un des rares pays de ce continent à ne pas faire partie du tiers-monde. Des gens qui me ressemblen­t, auxquels je m’identifie sans hésitation. Et le rand, monnaie sudafricai­ne, qui a perdu un tiers de sa valeur en un an. Une politique « sortie du cirque » , d’après trois jeunots étudiants sud-africains, blonds avec des yeux bleus, qui s’escriment sur un bloc au coucher du soleil. Oh, ce n’est pas tellement mieux en Europe, je voudrais presque rétorquer. Mais ce qu’il y a, c’est que moi, je vis avec la quasi-certitude que mon pays s’en sortira. On fait partie de l’Europe après tout, impossible que « tout ça » se casse la gueule. Et si

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l’Afrique du Sud continue sa récession ? Et si le pays plonge, doucement, sans faire de vagues, qui s’en souciera ? Une réalité différente. Qu’importe, il est temps d’aller grimper, et c’est Rockland au menu. Je ne raconterai pas les blocs aux couleurs rouge orange, la végétation de savane, et encore moins les mouvements des problèmes auxquels je me suis frottée. L’escalade, ça se vit. Ça ne se raconte pas. Ah bon ? Et toutes ces nouvelles lignes ? Ce rocher qui devient vivant sous mes doigts ? Ça, c’est l’aventure. La voilà !

ÉCHAUFFEME­NT SUR LES BLOCS

Nous sommes arrivés avec une règle du jeu un peu différente, des crashpads plein la voiture certes, mais aussi des kilos de coinceurs, des statiques, des brosses, des cordes doubles. On nous avait confié un secret : « Il paraît qu’il y a de quoi faire du trad aussi… » Chuuuuut, ne pas ébruiter, c’est notre secret ! Comment résister quand on arrive dans le Cederberg, ce pays sauvage, saupoudré de quelques fermes, et de beaucoup, beaucoup de cailloux ? On n’est pas en plein safari, et les animaux ne sont pas parqués. Une girafe ? Aucune chance. Il faudrait payer une entrée au parc Kruger pour en photograph­ier. Mais des singes, des petits rongeurs, des antilopes, des oiseaux chanteurs, ils s’en cachent partout. Il n’y a qu’à regarder… Et du caillou partout aussi. Alors nous n’avons pas résisté. Oubliés les coinceurs, les cordes, nous nous sommes jetés sur les blocs, nous avons dévoré ce terrain de jeu marqué de magnésie, comme un jeu de piste. Voilà Pinotage, une belle ligne haute, engagée. On rêve devant Airstar, un bloc aux mouvements immortalis­és, un kick de jambe façon ninja. Et puis on lève la tête. Aucun crashpad ne me sauvera pour ce jeu-là… Mais ça fait rêver… Il était temps de sortir les cordes, harnais et casques, temps de retrouver notre secret, de créer nos règles du jeu. Il était temps de trouver ma ligne.

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