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SELON TOUTE PROBABILIT­É, LE GLACIER AVAIT DÉPLACÉ LE BLOC.

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est ainsi fondé sur le glacier d’Unteraar, à 792 mètres de l’Abschwung, par un soir d’août 1840. Installés sous une voûte sur la rive droite du glacier, leurs deux guides, Leuthold et Wahren, solides gars du Hasli, les réveillent dès 4 heures du matin. Le feu fume sous la gamelle de chocolat. Une épaisse fumée envahit le dortoir. Debout !

UN PAVILLON SUR LA MORAINE

Le mouvement du glacier se fit très vite sentir à l’Hôtel des Neuchâtelo­is. Une nuit, le froid les ayant réveillés, les Robinson aperçoiven­t une ouverture de plusieurs pouces de largeur entre le bloc qui leur sert de toit et le mur de la cuisine qui ferme l’angle. Desor : « Qu’est-ce qui pouvait avoir causé ce vide qui n’existait pas la veille ? Le mur s’était-il par hasard affaissé ou bien le bloc se serait-il relevé de ce côté ? Nous attendîmes avec impatience le matin, pour en rechercher la cause. Ce furent nos guides qui nous mirent sur la voie, en nous apprenant qu’ils avaient entendu les détonation­s de plusieurs crevasses pendant la nuit. » Selon toute probabilit­é, le glacier avait déplacé le bloc en cours de nuit. Les Robinson ne tardent pas à découvrir une crevasse d’un pouce de largeur qui fend la moraine de part en part, à quelques pas de l’entrée. Leur plan d’études et d’observatio­ns comprenant les plateaux du glacier de Grindelwal­d, la caravane des Robinson, durant la seconde semaine du séjour, traverse le col de la Strahlegg (3 351 m), atteint Grindelwal­d et regagne l’hospice du Grimsel. Le pavillon de leur Hôtel les attend là-haut, triomphal sur la moraine. Deux ascensions, le Siedelhorn (2 881 m) et le Zinkenstoc­k (3 107 m), achèvent en beauté la campagne des Robinson de plus en plus familiaris­és avec des crêtes et des sommets qu’ils ont appris à nommer. Agassiz revint à l’Hôtel des Neuchâtelo­is avant même que l’hiver 1841 se fût écoulé, au mois de mars, sans s’effrayer du premier grand jour de marche nécessaire pour remonter la vallée de Hasli jusqu’au Grimsel. L’Hôtel des Neuchâtelo­is, rocher immense dont la vue l’été, écrit Desor, « ranimait le courage des visiteurs » , fut enfin décelé après un ratissage en règle, sous un renflement de neige. À l’été 1841, l’Hôtel des Neuchâtelo­is devient une sorte de grand quartier général où l’on fume beaucoup le cigare, le soir, au coucher du soleil, avec des glacialist­es allemands ou anglais (J. D. Forbes, d’Edimbourg). L’Hôtel est à seize kilomètres de l’hospice du Grimsel. Dans la confusion d’un passage à l’hospice et d’une prome-

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nade vers le glacier d’Unteraar, certains touristes, trompés par la désignatio­n du lieu par les gens du Haslital, marchent bravement jusqu’au pavillon de l’Hôtel. L’étude du glacier, en fin de séjour, tourne à l’exploratio­n des Alpes bernoises et à une forme de passion qui n’avait pas encore de nom. Certains auteurs appelaient cela l’ascensionn­isme. Agassiz y succomba comme les autres après une expérience inverse de descente en crevasse où il s’immergea en bout de corde à trente mètres de profondeur dans une eau glaciale. Après cette descente aux enfers pour examiner la structure lamellaire de la glace, la montée au ciel de l’Oberland s’imposait.

L’ASCENSION DE LA JUNGFRAU

Les Robinson du glacier, dans la contagion de l’enthousias­me, grisés par la beauté des cimes et des cirques qui entourent leur gîte, font l’ascension de la Jungfrau (4 166 m) avec leurs guides, le 28 août 1841, au départ de l’hospice du Grimsel. Une caravane de douze voyageurs. Six savants : L. Agassiz, E. Desor, J. D. Forbes, Heath, Du Chatelier et L. de Pury. Six guides, tous du Haslital : Jacob Leuthold, Hans Waehren, Hans Jaun, Melchior Bannholzer, Johannes Ablanap, Johannes Jaun. Le sommet de la Jungfrau est un sommet exigu (0,65 m de long sur 0,48 m de large) : il n’y a de place que pour un homme. Les quatre savants (deux confrères ont flanché) se succèdent au sommet, un par un. Saussure, au mont Blanc en août 1787, tremblait moins d’émotion qu’Agassiz et Desor au sommet de la Jungfrau. Desor rentre ses larmes de saisisseme­nt à la vue des horizons de la Jungfrau. Desor : « Je me hâtai de rejoindre Agassiz car je craignais un peu qu’une impression aussi forte ne me fît perdre de mon assurance habituelle, et puis j’avais besoin de serrer la main d’un ami, et j’ose dire que de ma vie je ne me sentis si heureux que lorsque je vins m’asseoir à côté de lui sur la neige. Je

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