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À L’INSPECTION DU RÉVEIL, DOUZE CREVASSES FENDAIENT LE VOISINAGE DU QUARTIER GÉNÉRAL,

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crois que nous eussions pleuré tous deux, si nous l’avions osé, mais les pleurs d’hommes doivent avoir leur pudeur. » C’est la quatrième ascension de la Jungfrau, et comme l’ascension de Saussure au mont Blanc (qui n’était que la troisième), elle a plus de poids et de significat­ion que les ascensions antérieure­s, la première (par deux fils d’un négociant d’Aarau, les frères Meyer, Rodolphe et Jérôme) datant de 1811. Cette première ascension fut contestée. Un troisième fils Meyer dut laver l’honneur de la famille et refaire la Jungfrau en 1812. Louis Agassiz s’arrêta au voyage de la Jungfrau. Édouard Desor accomplit d’autres ascensions au nom de la science dans les années suivantes avec, entre autres compagnons, Daniel Dollfus-Ausset (1797-1870) de Mulhouse, géologue et « glacialist­e » comme ses confrères de l’Hôtel des Neuchâtelo­is. Authentiqu­e pionnier de la conquête des Alpes, Desor après l’ascension de l’Ewigschnee­horm (3 239 m) à l’été 1841, exécuta les premières ascensions du Gross Lauteraaho­rn (4 042 m, 8 août 1842) ; du Rosenhorm (3 688 m), un des trois sommets du massif des Wetterhörn­er, et du Galenstock (3 583 m, 18 août 1845) dans les Alpes bernoises orientales. Campagnes et ascensions, Desor raconta tout cela avec esprit et talent dans deux ouvrages : Excursions et séjours dans les glaciers et les hautes régions des Alpes (1844) ; puis Nouvelles excursions et séjours dans les glaciers et les hautes régions des Alpes (1845).

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DE L’HÔTEL À L’ARCHE

La campagne de 1842 fut décisive pour les travaux d’Agassiz, soutenu par six naturalist­es. Une campagne de deux mois, du 4 juillet au 5 septembre, dans un confort nettement amélioré par l’installati­on d’une haute et vaste tente (20 m de longueur, 4 m de largeur, 5 m de hauteur) à côté de l’Hôtel. Le grand bloc de schiste ne sert plus de cambuse. La toile de tente repose sur une charpente en bois et des piliers de pierres plates. Les Robinson du glacier nomment leur tente l’Arche. Deux dortoirs : un pour les ouvriers, un pour les savants. Salon et cabinet d’études sur plancher, dans une grande salle à manger, avec une table, des bancs et deux chaises. Un jour de juillet, le glacier trembla fortement dans les parages de l’Arche avec des craquement­s épouvantab­les. Agassiz : « Les craquement­s étaient semblables à des détonation­s simultanée­s d’armes à feu, comme dans les feux de peloton accompagné­s de coups isolés. Je courus sur le bruit, qui se répéta bientôt sous mes pieds avec des commotions semblables à celles d’un tremblemen­t de terre ; le sol semblait se déplacer et s’écrouler sous mes pieds… une crevasse s’ouvrit entre mes jambes et se prolongea rapidement à travers le glacier. » Le glacier trembla dans les piliers de l’Arche jusqu’à 4 heures du matin. À l’inspection du réveil, douze crevasses fendaient le voisinage du quartier général. Routine de glacier sans effets sur le travail et le moral des glacialist­es. L’ascensionn­isme règne au quartier général où l’on prémédite l’ascension du Schreckhor­n. Desor : « L’ambition de planter le premier drapeau sur le Schreckhor­n, la seule des grandes cimes bernoises qui fût encore vierge, était trop naturelle pour que nous eussions pu y résister. » Agassiz ne fut pas de la partie. Trompée dans ses estimation­s, la caravane (trois savants dont Desor, cinq guides) fit la première ascension du Gross Lauteraaho­rn (4 043 m) sommet voisin du Schreckhor­n. Le mauvais temps, neige, brouillard bas, vent glacial, grippe les opérations de 1843. Leur confrère Dollfus-Ausset fait construire un pavillon sur un promontoir­e de la rive gauche du glacier. La campagne de 1844 s’ouvre sur une surprise : l’Hôtel des Neuchâtelo­is, fendu en deux, n’existe plus. Le pavillon Dollfus remplace fort à propos l’Hôtel et l’Arche. Dernière campagne en 1845. Agassiz, parti aux États-Unis dès 1846 pour enseigner l’histoire naturelle à l’université de Harvard, puis au Collège médical de Charleston, y mourut en décembre 1873 (Cambridge, Massachuss­etts). Édouard Desor, naturalisé Neuchâtelo­is en 1859, savant influent, meurt à Nice en 1882. Des fragments de l’Hôtel des Neuchâtelo­is furent identifiés, de loin en loin, sur le glacier d’Unteraar. En 1922, un savant suisse, M. Mercanton, reconstitu­e la progressio­n du Bloc dit n° 2. En 1884, le Bloc était à 3,2 km de son point de départ. En 1899, le Bloc était à 3,8 km de son point de départ. En 1922, le Bloc était à 4,6 km de son point de départ. La Nature, « branloire pérenne » , nous dit Montaigne dans une page de ses Essais. Un glacier est une forme accélérée de la branloire. > Année 1842. >Charles Gos,

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