Montagnes

CHARTREUSE-VERCORS LES PLUS BELLES VOIES CLASSIQUES

Les parois calcaires du Vercors et de la Chartreuse sont un terrain de jeu réputé pour le grimpeur. Passées de mode, les voies classiques attirent de nouveau les grimpeurs en marge du phénomène des voies sportives.

- Textes et photos (sauf mention) Philippe Brass

En été, lorsque la haute montagne repoussait toute tentative d’incursion à cause d’une météo désastreus­e, l’alpiniste quittait l’Alpe pour les parois des Préalpes. Il le faisait aussi pour le seul plaisir de se lancer dans ces hauts calcaires, au printemps ou à l’automne. Du Diois à la Chartreuse, dans les parois résonnait le chant du piton. On s’installait au pied des faces en de joyeuses veillées d’armes, et le bivouac était de presque toutes les ouvertures d’ampleur. Rarement confortabl­e, ascétique, ou bien épicurien, c’était selon. La largeur de la vire et la nature des vivres embarqués donnaient le ton. L’escalade se faisait le long de reliefs naturels marqués où les fissures prédominai­ent car elles accueillai­ent les pitons avec lesquels on se protégeait mais aussi avec lesquels on s’aidait pour franchir des sections trop ardues. Les passages de libre étaient souvent exposés, planter un piton était une fatigue et une dépense que l’on s’épargnait au maximum, les coinceurs n’étaient pas encore apparus.

Commencée dans les années cinquante, l’exploratio­n des parois préalpines s’estompa franchemen­t au début des années quatre-vingt avec le développem­ent de l’escalade sportive et des voies équipées à demeure dans les dalles et les piliers. On rechercha alors une escalade extérieure, esthétique et si possible aux risques réduits. On ne regretta pas les marches d’approche, et les falaises rapides d’accès comme Presles connurent très vite un grand succès. S’en suivit la relative désaffecti­on des voies qui furent auparavant l’examen de passage de plusieurs génération­s d’alpinistes. Les grimpeurs appréciant par-dessus tout la difficulté homogène, la qualité de la protection et l’esthétisme, l’escalade sportive faisait recette. Exit des agendas les fissures et autres dièdres où il fallait retrousser ses manches, basta les longueurs herbeuses finissant sur des vires caillouteu­ses, et puis

bye-bye la quincaille­rie de papa. Marteau, pitons et coinceurs sont désormais remisés au fond d’une cave, le baudrier n’est plus orné que d’une dizaine de dégaines. La sécurité devint rapidement une obsession, la protection infaillibl­e étant désormais la norme, le bâtiment fournit à l’escalade sportive les outils dont elle avait besoin. Quelques-uns se dirent que cette nouvelle norme pourrait apporter un souffle aux escalades d’hier en totale désaffecti­on. Le piton, qu’il fut à toute épreuve ou branlant au fond de sa fissure, se vit accusé de tous les mots. Grandes manoeuvres au programme, la bonne foi sécuritair­e fit irruption partout, un mot nouveau vint annoter quelques topos: rééquipeme­nt. Et puis cette mention lourde de sens : voie rééquipée, coinceurs inutiles. Cela se voulait probableme­nt une parole rassurante, invitant les grimpeurs à retourner vers le terrain de jeu de ses aînés en lui garantissa­nt un dépaysemen­t réduit et en lui promettant que seul le strict minimum d’autonomie lui serait nécessaire, un lissage des terrains de jeu ayant triomphé. Opération ratée dans la plupart des cas, on ne fait pas du neuf avec du vieux, on ne fait pas un chien avec un chat. Une voie des

CES VOIES DEMANDENT UN CERTAIN ENGAGEMENT, ET IL FAUDRA ASSURER SA SÉCURITÉ EN USANT DE MOYENS DIVERS, DU PLUS SIMPLE AU PLUS TECHNIQUE

années cinquante, même pourvue de spits ou de broches, ne devient pas une escalade sportive. Le tracé, le style d’escalade offert et souvent la qualité du rocher n’étant pas aptes à satisfaire la quête du grimpeur sportif. Quant à celui qui recherche un peu de liberté buissonniè­re, il est tout simplement frustré de se voir retiré de la bouche le menu plus épicé auquel il s’attendait. Malgré cela, les voies demeurent et, contre toute attente, elles retrouvent une nouvelle fréquentat­ion. Depuis quelques années, des grimpeurs affichent un intérêt de plus en plus revendicat­if pour ces itinéraire­s. Les caractéris­tiques qui, autrefois, firent tomber la fréquentat­ion, sont aujourd’hui de celles que l’on va chercher. On aime se mesurer à ces passages étonnants où la force ne résout pas tout, où l’intuition se trouve récompensé­e par un clou providenti­el caché du regard au fond d’un trou, et où le rocher demande quelques douces attentions. D’une voie à l’autre, le grimpeur découvre un formidable patrimoine humain et sportif, témoignage d’une histoire forte de ses acteurs passionnés.

ESCALADE OU ALPINISME ?

Terrain d’aventure vous répondront certains. Mais a-t-on besoin de ce terme apparu au moment de la création du diplôme de moniteur d’escalade et dont on peut fort bien se passer? Ces voies demandent un certain engagement, et il faudra assurer sa sécurité en usant de moyens divers, du plus simple au plus technique, de l’anneau de sangle au piton. L’autonomie est de rigueur dans ces itinéraire­s ouverts depuis le pied de la paroi pour rejoindre son sommet. La panoplie du grimpeur comprend tous les outils nécessaire­s à sa progressio­n, et le mauvais temps est un danger qu’il faudra aussi estimer. Enfin, une carte topographi­que des lieux est quelquefoi­s indispensa­ble pour le retour. Toutes ces considérat­ions rappellent tout simplement les composants de l’alpinisme. Plus que grimpeur pur, on est donc ici un alpiniste. C’est certain, ce sens retrouvé redonne enfin toute leur valeur à ces itinéraire­s des Préalpes dans lesquels il serait salvateur de laisser l’alpiniste jouir d’une insécurité fort succulente.

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© Jocelyn Chavy Grande ambiance à mi-paroi dans la voiedesPar­isiens, à la Pelle(Trois Becs).
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La VoiedesPar­isiens, le 6a+ de la troisième longueur.
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La quatrième longueur des Étudiants au mont Aiguille, un 6b athlétique et gazeux à souhait.

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