CHARTREUSE-VERCORS LES PLUS BELLES VOIES CLASSIQUES
Les parois calcaires du Vercors et de la Chartreuse sont un terrain de jeu réputé pour le grimpeur. Passées de mode, les voies classiques attirent de nouveau les grimpeurs en marge du phénomène des voies sportives.
En été, lorsque la haute montagne repoussait toute tentative d’incursion à cause d’une météo désastreuse, l’alpiniste quittait l’Alpe pour les parois des Préalpes. Il le faisait aussi pour le seul plaisir de se lancer dans ces hauts calcaires, au printemps ou à l’automne. Du Diois à la Chartreuse, dans les parois résonnait le chant du piton. On s’installait au pied des faces en de joyeuses veillées d’armes, et le bivouac était de presque toutes les ouvertures d’ampleur. Rarement confortable, ascétique, ou bien épicurien, c’était selon. La largeur de la vire et la nature des vivres embarqués donnaient le ton. L’escalade se faisait le long de reliefs naturels marqués où les fissures prédominaient car elles accueillaient les pitons avec lesquels on se protégeait mais aussi avec lesquels on s’aidait pour franchir des sections trop ardues. Les passages de libre étaient souvent exposés, planter un piton était une fatigue et une dépense que l’on s’épargnait au maximum, les coinceurs n’étaient pas encore apparus.
Commencée dans les années cinquante, l’exploration des parois préalpines s’estompa franchement au début des années quatre-vingt avec le développement de l’escalade sportive et des voies équipées à demeure dans les dalles et les piliers. On rechercha alors une escalade extérieure, esthétique et si possible aux risques réduits. On ne regretta pas les marches d’approche, et les falaises rapides d’accès comme Presles connurent très vite un grand succès. S’en suivit la relative désaffection des voies qui furent auparavant l’examen de passage de plusieurs générations d’alpinistes. Les grimpeurs appréciant par-dessus tout la difficulté homogène, la qualité de la protection et l’esthétisme, l’escalade sportive faisait recette. Exit des agendas les fissures et autres dièdres où il fallait retrousser ses manches, basta les longueurs herbeuses finissant sur des vires caillouteuses, et puis
bye-bye la quincaillerie de papa. Marteau, pitons et coinceurs sont désormais remisés au fond d’une cave, le baudrier n’est plus orné que d’une dizaine de dégaines. La sécurité devint rapidement une obsession, la protection infaillible étant désormais la norme, le bâtiment fournit à l’escalade sportive les outils dont elle avait besoin. Quelques-uns se dirent que cette nouvelle norme pourrait apporter un souffle aux escalades d’hier en totale désaffection. Le piton, qu’il fut à toute épreuve ou branlant au fond de sa fissure, se vit accusé de tous les mots. Grandes manoeuvres au programme, la bonne foi sécuritaire fit irruption partout, un mot nouveau vint annoter quelques topos: rééquipement. Et puis cette mention lourde de sens : voie rééquipée, coinceurs inutiles. Cela se voulait probablement une parole rassurante, invitant les grimpeurs à retourner vers le terrain de jeu de ses aînés en lui garantissant un dépaysement réduit et en lui promettant que seul le strict minimum d’autonomie lui serait nécessaire, un lissage des terrains de jeu ayant triomphé. Opération ratée dans la plupart des cas, on ne fait pas du neuf avec du vieux, on ne fait pas un chien avec un chat. Une voie des
CES VOIES DEMANDENT UN CERTAIN ENGAGEMENT, ET IL FAUDRA ASSURER SA SÉCURITÉ EN USANT DE MOYENS DIVERS, DU PLUS SIMPLE AU PLUS TECHNIQUE
années cinquante, même pourvue de spits ou de broches, ne devient pas une escalade sportive. Le tracé, le style d’escalade offert et souvent la qualité du rocher n’étant pas aptes à satisfaire la quête du grimpeur sportif. Quant à celui qui recherche un peu de liberté buissonnière, il est tout simplement frustré de se voir retiré de la bouche le menu plus épicé auquel il s’attendait. Malgré cela, les voies demeurent et, contre toute attente, elles retrouvent une nouvelle fréquentation. Depuis quelques années, des grimpeurs affichent un intérêt de plus en plus revendicatif pour ces itinéraires. Les caractéristiques qui, autrefois, firent tomber la fréquentation, sont aujourd’hui de celles que l’on va chercher. On aime se mesurer à ces passages étonnants où la force ne résout pas tout, où l’intuition se trouve récompensée par un clou providentiel caché du regard au fond d’un trou, et où le rocher demande quelques douces attentions. D’une voie à l’autre, le grimpeur découvre un formidable patrimoine humain et sportif, témoignage d’une histoire forte de ses acteurs passionnés.
ESCALADE OU ALPINISME ?
Terrain d’aventure vous répondront certains. Mais a-t-on besoin de ce terme apparu au moment de la création du diplôme de moniteur d’escalade et dont on peut fort bien se passer? Ces voies demandent un certain engagement, et il faudra assurer sa sécurité en usant de moyens divers, du plus simple au plus technique, de l’anneau de sangle au piton. L’autonomie est de rigueur dans ces itinéraires ouverts depuis le pied de la paroi pour rejoindre son sommet. La panoplie du grimpeur comprend tous les outils nécessaires à sa progression, et le mauvais temps est un danger qu’il faudra aussi estimer. Enfin, une carte topographique des lieux est quelquefois indispensable pour le retour. Toutes ces considérations rappellent tout simplement les composants de l’alpinisme. Plus que grimpeur pur, on est donc ici un alpiniste. C’est certain, ce sens retrouvé redonne enfin toute leur valeur à ces itinéraires des Préalpes dans lesquels il serait salvateur de laisser l’alpiniste jouir d’une insécurité fort succulente.