Montagnes

RANDO D’AUTOMNE AUTOUR DU MONT AIGUILLE

Trois jours de randonnée en autonomie sur les crêtes sauvages du Vercors, avec le mont Aiguille (2 085 m) comme sentinelle.

- Texte et photos : Philippe Royer.

Près de Grenoble, il existe des sites naturels où, en quelques minutes, on passe d’un monde urbain à de grandes étendues vierges de (presque) toutes empreintes humaines. Le massif du Vercors fait partie de ces lieux d’exception où l’on peut s’immerger quelques jours loin de tous. Sur sa face orientale, le Vercors forme une très longue barre rocheuse d’aspect infranchis­sable. Pièce maîtresse et insolite de cet ensemble, le mont Aiguille (2 085 m) surgit de l’immense falaise et trône avec fierté. Du matin jusqu’au soir, cet énorme dé minéral est tantôt en contre-jour, tantôt baigné de lumière, un jeu subtil de couleurs que cette randonnée de trois jours permettra d’observer. L’aventure commence à Gresse-en-Vercors, aux abords de la petite station de ski. Après avoir laissé la voiture, on s’élève rapidement dans la forêt. Dans les sacs, une tente ultralégèr­e, un matelas, un duvet, quelques vivres et deux litres d’eau. Il va falloir bien gérer cet essentiel. C’est un peu un retour aux sources du minimalism­e. Cette boucle, plus aérienne, plus sauvage et moins fréquentée que le traditionn­el Tour du mont Aiguille, demande un bon sens de l’orientatio­n et de la ténacité.

BIVOUAC QUATRE ÉTOILES

Au premier jour, l’étonnant sentier monte et se faufile entre les excroissan­ces rocheuses. Il faut mettre les mains dans quelques passages sur des dalles couchées. Au pas de la Ville (1925 m), l’atmosphère est verticale de toute part, l’exposition en moins. Si vous avez la chance de profiter d’une mer de nuages, vous vous croirez sur une île mystérieus­e avec, au loin, les hauts sommets des Alpes iséroises. Après ce collet, le sentier prend encore de l’altitude en bordure d’une crête pour arriver au sommet du Grand Veymont (2341 m), point culminant du Vercors. Une petite enclave de pierre permet de poser la tente à l’abri du vent. De là, seul au monde, la vue imprenable sur le mont Aiguille au coucher du soleil est impression­nante. Le même spectacle recommence, plein cadre, au petit matin. Le regard oscille sans cesse entre la tasse de café et ce promontoir­e fascinant. Si vous trouvez le lieu trop exposé, vous pouvez dormir plus bas, vers le pas des Chattons (1817 m). Au deuxième jour, ce n’est que vers le pas des Bachassons (1 913 m) que l’on trouvera une source, quelques mètres en contrebas dans la large combe. En cette seconde journée, la marche est longue sur la crête des Rochers du Parquet. Au pas de l’Aiguille (1 733 m), le mont Aiguille se présente sur l’une de ses faces les plus étroites. La descente est raide et longue vers la Richardièr­e. C’est dans ces lieux

AVEC SA PHYSIONOMI­E SINGULIÈRE, LE MONT AIGUILLE A SOULEVÉ BIEN DES INTERROGAT­IONS ET SUSCITÉ DE NOMBREUSES LÉGENDES

que résistants et Allemands se livrèrent à un combat disproport­ionné pendant la Seconde Guerre mondiale. Les sous-bois accueillen­t des sabots de Vénus, des cerfs ainsi que des chevreuils. À la Richardièr­e, on peut trouver de l’eau et dîner. Dans les clairières adjacentes, sous les Rochers du Parquet, il est interdit de camper. Il y a des points de captage d’eau douce pour les hameaux environnan­ts (verbalisat­ion possible). On dormira soit à l’hôtel, soit entre la Richardièr­e et la base du col de l’Aupet.

RAVINS ET FORTE ÉROSION

Au troisième jour, on gravit le col de l’Aupet dans une dense forêt de feuillus puis, en s’élevant, de conifères. C’est le royaume des sangliers, des chamois et des bouquetins. Ces deux dernières espèces sont plus visibles dans le Vercors que dans les grands parcs nationaux de Savoie et des HautesAlpe­s. On côtoie presque la base du mont Aiguille. Ainsi se dessinent tous les reliefs et les faiblesses de ce monolithe de calcaire. Pour regagner Gresse-en-Vercors, le sentier est très tortueux à la base du Petit Veymont (2 120 m). L’érosion est forte sous ces pentes raides. Sur quelques mètres près des petits ravins, il faut louvoyer entre les grosses pierres et les talus délités. Ceux qui auront un petit coup de moins bien peuvent raccourcir en plongeant vers La Bâtie. De là, ils pourront regagner Gresse-en-Vercors en auto-stop par la route départemen­tale 8a. Avec sa physionomi­e singulière, le mont Aiguille a soulevé bien des interrogat­ions et suscité de nombreuses légendes. On croyait qu’il y avait des anges en son sommet, alors que ce n’était que des résidus blancs de névés au sortir de l’hiver. Ce mont fait partie des Sept Merveilles du Dauphiné au même titre que la Roche Percée et les Caves de Sassenage (des grottes, pas des caves à vin). Puisqu’il faut régner et ordonner, Charles VIII, roi de France, invite Antoine de Ville à se rendre au sommet du Mont Inaccessib­le. Ce qui est fait en 1492 avec sept compagnons. Pour reprendre les poncifs, on parle de l’acte fondateur de la naissance de l’alpinisme. Autre exploit, autres temps : en 1957, Henri

EN 1957, HENRI GIRAUD, TÉMÉRAIRE SPÉCIALIST­E DU VOL EN MONTAGNE, SE POSE EN AVION SUR CE PLATEAU VERTIGINEU­X

Giraud, téméraire spécialist­e du vol en montagne, se pose en avion sur ce plateau vertigineu­x. Enfin, l’année passée, Dominique Suchet, ancien grimpeur et aventurier reconverti dans le coaching sportif, laisse deux jours durant un de ses clients au sommet du mont Aiguille pour réfléchir à la vie, à sa vie. Il paraît qu’après, ce sportif de haut niveau allait bien mieux. Le mont Aiguille a peut-être des vertus bienfaisan­tes pour le corps et l’âme…

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Jeu d’ombres en fin de journée au sommet du pas de la Ville.
 ??  ?? Du sommet du Grand Veymont (2 341 m), séquence rêverie les pieds dans les nuages.
Du sommet du Grand Veymont (2 341 m), séquence rêverie les pieds dans les nuages.
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