Montagnes

QUEL INTÉRÊT ?

SOYONS LIBRES AMIS SKIEURS, FAISONS LE CHOIX DE PASSER DU TEMPS NON PRODUCTIF

- Ulysse Lefebvre

Avez-vous déjà éprouvé ce sentiment de vertige ? Comme dans un film, vous êtes immobile mais tout défile autour, à une vitesse folle. Et soudain, la question qui tue : quel sens a tout cela ? Quelle importance ? Dans quel état j’erre ? Au retour d’une journée de test des skis de randonnée, la foutue question fuse. À quoi bon essayer ces dizaines de planches, des bouts de bois dont les caractéris­tiques varient de quelques millimètre­s, dont le comporteme­nt influera, Ô grands dieux !, sur quelques heures à peine du temps libre d’une poignée de chanceux ? Le ski : énième symbole de la toute puissante société du loisir. Bigre, un coup de calgon après une dure journée de labeur ? À d’autres ! Avant de prendre rendez-vous chez le psy le plus proche, ou de passer pour un bougre aigri, mieux vaut secouer vivement la tête et regarder un peu plus loin que le bout des spatules. À l’heure où nos confrères de Courrier internatio­nal dénombrent encore près de cinquante murs liberticid­es à abattre de part le monde, il est bon de mettre en perspectiv­e la chance de skier. Ouh là le grand écart! Pas tant. On ne refera pas le topo de l’importance du futile. Pourtant, quoi de plus proche de la liberté que la futilité, le sans-intérêt porté haut à l’agenda ? «Je skie donc je suis !» , dirait un Descartes à peaux de phoque. Alors soyons libres amis skieurs, faisons le choix de passer du temps non productif, choisisson­s l’oisiveté d’une glisse en montagne et assumons ces moments hors du cadre, bâtons levés s’il le faut. Justement, ça fleure bon le fart dans ce numéro spécial ski de rando. De la préparatio­n des skis en début de saison aux premières conversion­s, jusqu’au raid d’altitude, nous avons tenté de brosser un tableau transversa­l de la discipline pour mettre le pied à la fixation au plus grand nombre. Oubliez l’image délavée de la pratique, aujourd’hui, le «fun» est de retour comme diraient nos cousins québécois. Le terme de “freerando” utilisé sans cesse par les marques désigne une pratique pas vraiment nouvelle, à savoir du ski de rando avec des skis plutôt larges, tandis que les stations communique­nt de plus en plus sur leurs espaces de « freeride contrôlé » . Oxymore étonnant pour désigner des espaces. Malgré tout, ces deux exemples ont le mérite de donner une première sensation de ski libre dans des zones sécurisées. Côté montée, puisque c’est bien là que le bât blesse chez ceux qui hésitent encore à se lancer et surtout investir dans un matériel onéreux, les évolutions matérielle­s proposent aujourd’hui des skis de plus en plus larges certes, mais aussi de plus en plus légers, sans trop diminuer en stabilité. Une aubaine pour donner un coup de fouet à la discipline et insuffler cette envie d’aller ailleurs voir de l’autre côté des versants aménagés. Que vous soyez un freerandon­neur, un freerider, un collant pipette, un skieur-alpiniste ou un vieux routier du ski de randonnée, vous pouvez être fier d’être un skieur de l’inutile. Et sans intérêts.

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