Montagnes

DÔME DES ÉCRINS

Voyage en altitude

- Texte : Nathalie Cuche. Photos : Éric Beallet.

Un raid, c’est un voyage, raconte Éric Durdan, guide de haute montagne, en soufflant sur son thé au refuge du Promontoir­e. Tu parcours le pays, mais c’est le pays d’en haut. Tu quittes la vallée et son fouillis, tu ne penses qu’à ta journée, à ton itinéraire, à la neige et à la beauté de ce qui t’entoure. »

Dehors, le brouillard joue avec le paysage, le froid, la neige et les bourrasque­s… Éric a raison, un raid en montagne, c’est comme un voyage en altitude, mais un voyage qui purge la vie pour mieux la remplir aurait rajouté l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier. Ce tour du Dôme des Écrins figurait sur notre bucket list* depuis un moment : l’idée était de contourner le Dôme depuis La Bérarde en passant le col de la Temple et d’attaquer le glacier Blanc pour rejoindre son sommet. Puis de s’en éloigner sans jamais le perdre de vue en s’extirpant des Écrins par la brèche de la Meije, rallier la Meije occidental­e et rejoindre la vallée par le glacier de l’Homme et le village de Villard-d’Arène. Une belle boucle sur la carte, une météo qui ne s’annonçait pas si clémente, et cette sage maxime qui nous trottait dans la tête :

« Qui ne tente rien, n’a rien. Qui tente n’a pas toujours… »

NE PAS SE LAISSER ABATTRE

Cap sur le refuge de Temple-Écrins. Nous rajoutons dans nos sacs de la terrine maison, du pain frais et un gâteau au chocolat à partager sur la terrasse du refuge pas encore gardé, et nous voilà fin prêts. Au petit matin, nous laissons derrière nous dans la froidure matinale le refuge et franchisso­ns le col de la Temple. La face sud de la Barre des Écrins nous tend les bras mais nous replongeon­s sur le glacier Noir, seul passage à skis envisageab­le. Une fois les skis sur le glacier, la tête nous tourne :

des passages comme le pas de Coste Rouge et le Coup de Sabre sont en parfaites conditions ! C’est un des gros problèmes en montagne, la faim de nouvelles expérience­s ne cesse de vous tenailler. Éric, grand arpenteur des Écrins, le sait bien et nous détaille ses mille et une courses, des tentatives audacieuse­s, des enchaîneme­nts insolites… Nous glissons vers le Pré de Madame Carle pour rallier le refuge du Glacier Blanc. Au matin, nous dévorons le Dôme des Écrins avec plaisir : pas un souffle de vent ne refroidit ses 4 015 mètres, le sommet est vierge de toute trace. Un instant magique ! La suite de notre programme est un peu plus ambitieuse, nous sommes tentés par le col de la Roche Faurio afin de descendre son glacier éponyme et de rallier le glacier de la Plate des Agneaux. Nous remontons jusqu’au col, mais son aspect, noir, sombre, travaillé, ne nous permet pas de nous engager avec sérénité. Nous décidons alors de rejoindre le col Émile Pic, un peu plus loin sur la crête, et passage « classique » à skis. Ce dernier non plus ne se laisse pas faire : pas de neige dans la partie finale, quelques pas d’escalade sur rocher sont nécessaire­s pour pouvoir basculer sur le glacier des Agneaux. Ivresse de la descente, la neige est en excellente condition, 1 500 mètres d’un seul tenant pour rejoindre le replat. Et là, bien sûr, vu d’en bas, le passage du col de la Roche Faurio paraît finalement tout à fait envisageab­le, les parties noires et sombres concernaie­nt seulement le départ, le reste semble une belle tirée à skis dans une neige parfaite. Mais bon. Il faut savoir dire non, au risque de se lamenter bêtement pour ne pas avoir dit oui tout en préférant sainement avoir fait le choix du non… Nous remettons nos peaux pour avaler en cette fin de journée boulimique les 900 mètres qui nous manquent pour dormir au refuge Adèle Planchard. L’autre option étant de redescendr­e sur le long plat du glacier jusqu’au refuge de l’Alpe de Villard-d’Arène, nous préférons cet enchaîneme­nt un peu musclé et rallions Adèle et son excellente soupe.

NEIGE ET BROUILLARD

Le temps nous tourne un peu le dos pour notre troisième jour : nous n’apercevons plus le Dôme une fois au sommet de la Grande Ruine et nous alternons brouillard et neige, accalmie et rayons timides du soleil d’avril. Nous enchaînons le col des Neiges et celui de la Casse déserte pour basculer dans le vallon des Étançons. Nous subissons quelques misères côté visibilité et restons bien sagement au fond du vallon pour rallier le refuge du Promontoir­e. Arôme parfumé du thé, puis odeur de lasagnes… Les chaussons sèchent et nous bouquinons cartes et vieux Montagnes Mag des années quatre-vingt-dix. Nous laissons le temps filer car les prévisions météo s’annoncent parfaites pour le lendemain. Il suffira de faire la trace en échange du joli manteau blanc que la soirée a laissé tomber. Le franchisse­ment de la brèche de la Meije est toujours un moment particulie­r : on passe soudain côté La Grave entouré de ses prés verts et de ses hameaux. Presque 2 000 mètres plus bas, la vue se déploie plein nord dans un duel de montagnes et de vallées. Nous louvoyons, attentifs, entre les séracs et les crevasses du glacier de la Meije et attaquons le passage du Serret du Savon pour mettre les skis sur le glacier du Tabuchet. Les travaux pour le refuge de l’Aigle ont déjà débuté, et sa silhouette familière laisse un vide. Nous attaquons la trace pour le pic Oriental, et atteignons le sommet sans les skis faute de neige. Au loin, notre Dôme nous fait un clin d’oeil. Moments parfaits.

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Temple. Il faudra désescalad­er en partie
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Descente du col de la Temple. Il faudra désescalad­er en partie le passage pour rejoindre le glacier Noir.
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134
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La gueule béante d’une crevasse sur le bas du glacier Noir.

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