Montagnes

BONNES FEUILLES

Sur les pointes

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DIX, DOUZE, QUATORZE POINTES

En 1943, le Français Édouard Frendo, guide et alpiniste pointu, ami de Gaston Rébuffat, fabricant de matériel de montagne, recommanda­it les crampons dix pointes dans le premier manuel français d’alpinisme illustré par des photos. Les fameux crampons à douze pointes font l’objet d’un paragraphe : «Il existe également des crampons à douze pointes, dont deux, placées très en avant de la semelle, forment avec elle un angle obtus (modèle Grivel). Ces crampons sont à proscrire dans l’usage normal. Ils présentent néanmoins des avantages réels dans certaines courses de glace: rapidité plus grande et fatigue moindre dans la neige dure, possibilit­é de franchir sans tailler des passages de glace très raides (rimayes, cheminées de glace). Ils sont à conseiller pour les cas exceptionn­els de manoeuvres sur glace à la double corde [escalade artificiel­le].» L’École nationale de ski et d’alpinisme (ENSA), créée à l’issue de la guerre, centre de formation des guides et des aspirants guides, s’en tiendra en gros à ces quelques remarques sur les crampons douze pointes pendant plus d’une trentaine d’années. Aspirant guide en 1949, esprit vif et impertinen­t, Serge Coupé, Chambérien, l’un des meilleurs alpinistes de la période, doit se plier à l’enseigneme­nt officiel de l’ENSA qui préconise un outil – les crampons dix pointes – et une technique de cramponnag­e pied à plat sur les dix pointes dont on refuse de voir les contrainte­s et les limitation­s. C’est un cas célèbre de conservati­sme déplacé dans l’histoire de l’alpinisme. Serge Coupé s’en moquait à l’époque et s’en moque encore dans des Mémoiresin­édits. J’ai eu le privilège d’en lire quelques bonnes pages. Édouard Frendo, en 1952, tenait boutique à Aix-les-Bains et vendit des crampons Grivel à Serge Coupé. Ces crampons avaient deux pointes avant, à 45 degrés, les fameuses et décisives incisives de l’Eiger, mais il s’agissait de crampons à dix pointes. Le Chambérien en fit bon usage. En 1954, Coupé, pour son stage de guide, commanda à l’atelier Simond de Chamonix un crampon à douze pointes dont deux avant inclinées à 45 degrés. Selon lui, ce crampon douze pointes préfigurai­t le crampon Makalu, promu par Walter Cecchinel (1971). Serge Coupé grimpait en pointes avant et en pioletappu­i. Une broche à glace lui servait à l’occasion de seconde main. Coupé mentionne l’existence d’un crampon à quatorze pointes réglable en largeur, mis au point par un ingénieur slovène vers 1950. Une alpiniste slovène lui en fit cadeau après un secours particuliè­rement difficile en face nord de l’Ailefroide. Serge Coupé perdit ses crampons Simond douze pointes, un jour d’orage, en les lâchant sur un impact de foudre à la brèche du glacier Long (Ailefroide, Oisans). Quatorze pointes : un maximum, semble-til. Un crampon Charlet-Moser des années 1970 se hérissa du même nombre de pointes.

LA TECHNIQUE FRANÇAISE, ARMAND CHARLET, ANDRÉ CONTAMINE

De 1945 au début des années 1970, l’ENSA s’entêta dans l’enseigneme­nt de la technique dite, en partie à tort, d’Eckenstein. Le témoignage de G.W. Young au mont Blanc est digne de foi, et formel : les glaciairis­tes de 1911 aux crampons Eckenstein cramponnai­ent déjà face à la pente, au plus court, au plus simple, au plus naturel, sans torsions des genoux et des chevilles. Deux professeur­s guides

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Cramponnag­e Charlet, 1930.
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© DR Cramponnag­e toutes pointes par André Contamine, 1965.

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