Montagnes

LA FACE MAUDITE

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Lorsque Toni Kurz mourut, gelé au bout de sa corde à quelques mètres de ses sauveteurs, la face nord de l’Eiger faillit être purement et simplement interdite aux alpinistes. C’était pendant l’été 36 et l’on ne dénombrait pas moins de six victimes parmi les meilleurs grimpeurs allemands et autrichien­s. Il faudra attendre l’été 1938 pour que deux cordées se retrouvent et réussissen­t ensemble ce challenge. Parmi les vainqueurs Heinrich Harrer, qui, on le sait, connaîtra un destin étrange au Tibet en tant que prisonnier évadé des geôles indiennes. Il deviendra précepteur du Dalaï-Lama. À l’époque, la victoire de l’Eiger fut acclamée comme un succès « nationalis­te », et Hitler accueillit les vainqueurs en grande pompe ! Ce sont deux Français, Terray et Lachenal, qui réaliseron­t, après-guerre, la seconde ascension de cette paroi mythique en un peu plus de 24 heures (en juillet 1947) ! L’Eiger sera le théâtre de drames et de sauvetages incroyable­s. Aujourd’hui humanisée, sa face nord compte une quinzaine de voies. Chacun y va de sa directissi­me, la plus célèbre étant tout de même la directissi­me Harlin, qui coûta la vie à son auteur en mars 1966. jolie femme sur une très haute marche. Qui aurait pu croire – avant – à l’importance du succès engendré par cet Eiger au féminin ? Révélatric­e d’un univers à la fois cristallin et brutal, cette ascension rend compte d’un besoin d’air pur que toute cette société éprouve. C’en est vertigineu­x ! Catherine Destivelle est la valeur sûre de la « relance ». C’est-à-dire que ce bout de bonne femme (faible femme ! jolie femme !) accompliss­ant ce chemin incroyable, triomphe pour la société entière de la morosité ambiante (élections obligent) ! « Sacré soirée », dirait Jean-Pierre Foucault – qui ne devrait pas tarder à l’inviter –, et concrétise­rait officielle­ment le fait qu’aujourd’hui, en s’arrachant de l’ombre, des chutes de pierres et des 45 morts de la face nord, on peut accéder de son vivant au statut de « sauveur ». Ne riez pas ! Il y a de cela dans le sacrifice d’une ascension telle que celle de Catherine. Un petit côté rédempteur qui fait que demain, quand on va se réveiller tristounet ou défaitiste, il suffira de penser à elle pour se dire que décidément la vie, ici-bas, c’est presque du gâteau. Bravo Catherine ! Elle avoue pourtant ne pas vouloir jouer la surenchère en entrant dans la ronde des trilogies. Catherine préfère aller de l’avant, au-devant de l’Himalaya. « L’Himalaya ne me tente pas forcément pour ses 8 000, mais plutôt pour les voies extrêmes, longues et engagées, que l’on peut y trouver. C’est làbas que se jouera l’alpinisme de demain, en solo ou en technique alpine. » Son sourire trahit le plus beau des bonheurs : celui de l’incertitud­e, celui de l’aventure.

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Dans le névé sommital.

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