Montagnes

LE RISQUE D’OSER

Un gros pavé, un clin d’oeil, une écharde, une première pierre ? Ou l’illustrati­on curieuse de cette escalade de synthèse dont parle Bernard Amy ? Cette voie d’artifice, dont le degré est d’abord second avant d’être ultime, pose avec humour le problème du

- Par Jacky Godoffe. Photos Marc Auroy.

Peindre d’abord Quelque chose de joli Quelque chose de beau Des prises, quelques spits En rose fluo Jeter son dévolu Sur un morceau de toile minérale En un lieu sacré Une Mecque du bien grimper Brosser, aplanir Sans faillir Ni se décourager Composer ensuite le ballet Amoureusem­ent Pour laisser s’envoler les gestes Aux quatre vents de l’irréel Puis attendre le moment Magique de l’enchaîneme­nt Folie d’être là Délire d’avoir osé Ce gigantesqu­e pied de nez À la barbe De ceux qui en riront De ceux qui s’en offusquero­nt De ceux qui n’ont pas osé De ceux qui n’oseront jamais Et de tous les empêcheurs De grimper en rond.

POURQUOI ?

Et pourquoi pas ? Aujourd’hui, on arrange, on taille, on améliore, on creuse avec bonne conscience puisque c’est pour la bonne cause, celle de la très haute difficulté. Seul le jeu m’a guidé, avec en toile de fond, l’impression délicieuse du gamin qui lance un gros pavé près des estivants qui font bronzette. Tous pourront y trouver des raisons plus obscures. Peu m’importe. Aucune ne pourra être plus proche que l’envie d’oser… Simplement. Les exclusifs du premier degré, dépourvus d’humour et de fantaisie, n’y verront qu’un nouveau moyen de se faire mousser. Ils diagnostiq­ueront irrémédiab­lement le syndrome de la commercial­ite aiguë. Les adeptes du second degré en seront morts de rire rien qu’en évoquant le fait. S’ils poussent au troisième, certains y entreverro­nt peut-être une sonnette d’alarme. L’escalade pourrait devenir dans un proche avenir à l’image de cette parodie. Les autres imagineron­t déjà comment exploiter le phénomène et mettre l’artifice au service du libre pour l’avènement du dixième degré. Enfin pour ceux qui voudront pousser audelà, il leur suffira d’aller répéter la voie pour scander de mythiques cotations.

C’EST DUR ?

À concevoir plus qu’à réaliser, même si quelques envolées sont bien frappées. C’est surtout insolite, et c’est bien là l’essence de la création.

OÙ EST-CE ?

Non, vous n’avez pas reconnu ?

ÇA VA RESTER EN PLACE ?

Prêt à l’emploi, sans plus. Quelques trous et puis s’en vont. C’est, comme toutes les voies, une invite à aller y ressentir des émotions subtiles bien qu’artificiel­les. Parmi les oeuvres d’art, il en est qui sont brûlées, d’autres conservées dans des musées. L’avenir reste le meilleur juge. Cinq prises, une clé, le tour est joué !

IL Y EN AURA D’AUTRES ?

Une tarte à la crème fait rire, plusieurs lassent imparablem­ent. En tout cas, elles ne seront pas de mon fait. Mais qui sait ce qu’en feront les grimpeurs. Copieront-ils ? Brûleront-ils l’effigie ? L’adoreront-ils ?

Un max ET ! VOUSSi j’avais TROUVEZpu ÇA immortalis­erDRÔLE ? les visages j’aurais de en ceuxma possession­qui ont découvertu­ne tordantela voie, galerie de portraits.

ÇA S’APPELLE COMMENT ?

Mirage.

LE MATÉRIEL ?

Une perceuse Hilti, cinq prises mobiles, trois spits double expansion, une bombe fluo rose, une brosse métallique et trois jours de galère pour dix mètres de délire.

QUI A CAUTIONNÉ L’ACTION ?

Personne. C’est tellement plus drôle d’assumer ses délires. Mais quand même un grand merci à Dammarie Animation et au Vieux Campeur, sans qui je serais encore au tableau noir.

ET MAINTENANT ?

On tourne la page. C’était juste un rêve ? Un cauchemar ? Une oeuvre de Jacky Godoffe avec la complicité de Kiki Calvel à l’assurage et de Marc Auroy dans le rôle du photograph­e mateur interviewe­ur.

GLISSEMENT PROGRESSIF DE L’ÉTHIQUE

Après l’ère des coinceurs, suprême respect du rocher, a débuté celle du piton, qui est devenu plus tard, et non sans heurts, spits à simple puis double expansion, pour terminer en scellement­s béton. Toute la pratique et son évolution se trouvent résumées en ces quelques mots. L’escalade est aujourd’hui sport pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est une démocratis­ation de la grimpe, et le fait qu’elle commence à être reconnue comme majeure. Le pire, c’est la démocratis­ation à outrance qui entraîne tous les problèmes de surfréquen­tation, et le fait qu’elle ne s’assume pas totalement. La manière de considérer le rocher a donc évolué, et lorsqu’on équipe aujourd’hui une voie, c’est pour la rendre plaisante, et la plus difficile possible. De cette recherche de difficulté sans cesse croissante, est venu l’aménagemen­t des voies, charmant pléonasme pour signifier que la griffe du grimpeur allait se faire de plus en plus importante. Alors une nouvelle race de prises fit son apparition créée par et pour la main du grimpeur. Lorsque le rocher ne semblait pas offrir suffisamme­nt d’attraits, on lui en rajoutait. Et, fait plus pervers, le contraire se passa. Le pas était franchi ; on n’hésitait plus désormais à faire une voie totalement à l’image de ce que l’on souhaitait. Aujourd’hui, tous les itinéraire­s les plus durs sont émaillés de prises, taillées, collées, de grattons sicadurés, d’autres cassés. Et en tout état de cause, de prises tellement améliorées qu’elles n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient au début. C’est un progrès, certes, puisque cela permet d’avoir des passages non seulement difficiles, mais durables dans le temps. Bien sûr, personne n’est tout blanc, et que celui qui n’a jamais touché au rocher me jette la première pierre. On se dirige de plus en plus vers ce type de pratique. Toutefois, nous ne disposons pas encore d’outils, ni peut-être du recul nécessaire pour évaluer s’il faut tailler et comment le faire. À quand la microchiru­rgie du rocher ? Ce glissement progressif pourraitil aller jusqu’à la pose de prises artificiel­les dans les voies de demain ? La farce pourrait alors s’avérer prophétie. Mais jusqu’à quel point le rocher et même l’activité y auront gagné, c’est toute la question.

AUJOURD’HUI, ON ARRANGE, ON TAILLE, ON AMÉLIORE, ON CREUSE AVEC BONNE CONSCIENCE PUISQUE C’EST POUR LA BONNE CAUSE, CELLE DE LA TRÈS HAUTE DIFFICULTÉ.

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