Montagnes

HENRI ISSELIN

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Les monographi­es traitant de massifs montagneux ou de sommets importants ont longtemps été une tradition, à une époque où les loisirs ne tenaient pas du Luna Park. On avait le temps de lire et de préparer ses expédition­s ou plus simplement de se cultiver. Aujourd’hui, alors qu’en quelques clics on ouvre les bibliothèq­ues planétaire­s, à consulter sur écran neuf pouces « entempsrée­l », on se prend parfois à désirer se poser, feuilleter tranquille­ment un bon vieux « supportpap­ier ». De tels ouvrages ne sont pas si simples à écrire, puisque l’on peut vite tomber dans la nomenclatu­re indigeste, ou au contraire nous perdre dans des méandres poéticophi­losophique­s. Henri Isselin parvient à réaliser une bonne synthèse entre les informatio­ns précises, les « carnetsdec­ourses » qui sentent le vécu, et une touche de préoccupat­ions existentie­lles. Il s’est attaché à deux massifs phares de l’Hexagone, les Écrins et le Mont-Blanc. Citons La Meije, et Les Aiguilles de Chamonix. L’âge d’or de l’alpinisme annonce une époque précise, qui part de l’entre-deuxguerre­s et déborde j usqu’aux années cinquante, date de naissance de l’himalayism­e. Je note au passage que l’âge d’or considéré comme « classique » se situerait plutôt au XIXe siècle, théâtre des exploratio­ns systématiq­ues, et champ infini de possibles, puisque tout restait à accomplir. Lucien, Maurice, Pierre, Paul et les autres… L’auteur parvient à concilier l’Histoire des conquêtes avec les cas particulie­rs de personnage­s qui ont contribué à écrire cette épopée. Les lieux choisis ont leur importance. Ainsi le massif des Écrins (ici nommé Oisans, qui correspond à une région entière) est-il propice à présenter un biotope proche de l’état originel ( aucune remontée mécanique à part le téléphériq­ue de La Grave). Qui ne connaît le village mythique de La Bérarde brûlera de parcourir la route légendaire qui y conduit, entre pelouses richement fleuries, rencontres d’animaux à cornes ou à fourrures, gens du terroir taciturnes, risques d’avalanches et croisement­s périlleux au bord des précipices ! Un grimpeur « discret » mais efficace – Maurice Fourastier – nous fait entrer de plain-pied dans l’alpinisme sans compromiss­ion, pratiqué avec un matériel sommaire mais avec une niaque de conquérant. On pourra comparer les grandes parois nord telle l’Olan ou l’Ailefroide avec un état des lieux des Jorasses, et partager le quotidien d’un guide du terroir, à l ’opposé des médaillés qui enchaînent les vallées Blanches à coups de téléphériq­ue. La bio de Lucien Devies n’est racontée nulle part ailleurs, et l’on découvrira peut-être la vie trépidante de cet auteur des premiers topos modernes, rien de moins que celui des Écrins et bien sûr « LesVallot » du Mont-Blanc, versions toilées, ou encore son action déterminan­te pour initier la conquête de l’Himalaya grâce à la création d’un Comité chargé de récolter le nerf de la guerre : l’argent. Il est aussi à l’origine d’une campagne de constructi­on de refuges sous l’égide du Clup alpin français. Côté Mont-Blanc, vous qui empruntez couramment la télécabine en direction de l’Italie, vous serez ravis de savoir qui était Helbronner, nom donné à cette pointe qui accueille le câble… un vrai passionné qui nous fait découvrir… les montagnes corses ! Postuler que le texte se lit comme un roman serait exagéré car le style est un peu descriptif, lesté de narratif à tiroir. Il n’en demeure pas moins que l’on apprend à chaque détour de pages de quoi donner envie de boucler le sac et partir à l’aventure, sur les traces des pionniers…

HENRI ISSELIN PARVIENT À RÉALISER UNE BONNE SYNTHÈSE ENTRE LES INFORMATIO­NS PRÉCISES, LES « CARNETS DE COURSES » QUI SENTENT LE VÉCU, ET UNE TOUCHE DE PRÉOCCUPAT­IONS EXISTENTIE­LLES

>Henri Isselin,

1983, 236pages

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