CONFLIT D’INTÉRÊT GILLES CHABERT DANS LE VISEUR
Le milieu de la montagne, prompt à afficher ses « valeurs », n’échappe pourtant pas aux « affaires ». Ces dernières semaines, Gilles Chabert, le monsieur Montagne de la Région Auvergne Rhône-Alpes, a fait couler beaucoup d’encre. Retour sur les faits.
La nomination en janvier 2016 de M. Chabert comme conseiller Spécial montagne de Laurent Wauquiez – nouveau président de la région Auvergne Rhône-Alpes – a interpellé des élus et acteurs de la montagne. Président du Syndicat national des moniteurs du ski français (SNMSF) depuis 1994, M. Chabert défend vigoureusement la montagne aménagée. « Cequ’onveutc’est faire du ski, le reste c’ est du blabla », déclarai t-ille 3 mai 2016 dans las tationisér ois e de Lans-en-Vercors alors que Laurent Wauquiez expliquait que « laneigede culture est la base de notre politique montagne ». Dès le 6 janvier 2016, l’élue régionale d’opposition Corinne MorelDarleux (PG) s’étonnait de la nomination du « Présidentdutrèsc onservateur Syndicat national des moniteurs de ski, membre des conseils d’ administration de la Compagnie des Alpes, de la Banque populaire des Alpes et du Dauphiné libéré, ami influent d’ un grand nombre de députés ».« Quidd es potentiels conflits d’ intérêts ? » interrogeait-elle. Lors de la séance plénière de la Région du 23 juin 2016, M. Chabert prenait sa casquette de président du Syndicat des moniteurs de ski pour inviter les élus à voter son plan Neige.
PRISE ILLÉGALE D’INTÉRÊT ?
Le 27 janvier 2017, le sujet revenait sur le tapis avec la parution d’une enquête dans la revue La Tribune/Acteurs de l’économie, indiquant que Gilles Chabert aurait « commis plusieurs prises illégales d’intérêts dans le cadre de ses fonctions ». Il est soupçonné d’avoir instruit pour son plan Montagne des dossiers ayant conduit à l’attribution de subventions à des structures auxquelles il est lié, et représentant «plus du quart de l’ enveloppe financière régionale » (voir encadré p.15). Le même jour, le Groupe socialiste, démocrate, écologiste et apparentés à la Région demandait dans un courrier à Laurent Wauquiez de « clarifier trèsr apidementla situation avec Monsieur Chabert », l’enjoignant de quitter les structures bénéficiaires ou de renoncer à son mandat régional. Jean-François Debat, président du groupe, constate que sur certains dossiers, M. Chabert « s’estmisà la fois dans la position d’ ordonnateur et de principal bénéficiaire
LE RAPPORT CENSURÉ SUR L’ENSM
Le 15 février 2017, le site d’information Mediapart s’est intéressé à un rapport de l’Inspection générale de la Jeunesse et des Sports de mai 2016 intitulé « Mission de contrôle de l’École nationale des sports de montagne ». L’ENSM est en charge de la formation professionnelle des moniteurs de ski, des guides et accompagnateurs en montagne. Le rapport du ministère a été mis en ligne le 10 février à la demande de la Commission d’accès aux documents administratifs, saisie de cette question. Problème : de larges passages de ce document de 208 pages ont été noircis et rendus illisibles. Selon Mediapart, les extraits expurgés concernent « lamainmisede trois syndicats historiques sur le secteur» et« évoquent de possibles fraudes au code des marchés publics », notamment sur la question du recyclage. Les trois syndicats pointés sont le Syndicat national des guides de montagne (SNGM), le Syndicat national des accompagnateurs en montagne (SNAM) et le Syndicat national des moniteurs du ski français (SNMSF). Le 20 février, trois organisations professionnelles de montagne (SIM, UNAM, ADDMES) ont saisi la Cour de justice de la République, demandant que soient établies, voire sanctionnées, les responsabilités du secrétaire d’État au Sport Thierry Braillard et du ministre Patrick Kanner. des politiques régionales qu’ il présent ait ». Il renvoie M. Wauquiez à la charte éthique adoptée par la Région à sa propre demande, dont l’engagement n° 7 spécifie que « pour toute dé libération concernant une entreprise, une association ou un organisme public ou privé dans lequel ils seraient susceptibles d’ avoir un intérêt quelconque, les conseillers région aux s’ engagent à ne pas prendre part au vote ni à l’ instruction des dossiers concernés ». Le 15 février 2017, l’élue du Rassemblement citoyen écologiste et solidaire et membre de la commission Montagne, Corinne Morel Darleux, a saisi le Procureur de la République de Lyon au vu de« faits laissant à penser que M. Gilles Ch abert […] se trouverait en si tua-
« M. CHABERT S’EST MIS À LA FOIS DANS LA POSITION D’ORDONNATEUR ET DE PRINCIPAL BÉNÉFICIAIRE DES POLITIQUES RÉGIONALES QU’IL PRÉSENTAIT »
ti onde prise illégale d’ intérêt », et faute de plainte émanant de la société civile. Le même jour ,« l’ inévitable Gilles Ch abert» était cité dans une enquête de Mediapart pointant le rôle de son syndicat dans un autre dossier (voir encadré p.14).
REBONDISSEMENTS
Quatre jours après la parution de l’article à l’origine de la polémique, on apprenait dans le Dauphiné Libéré la démission de Gilles Chabert de son siège d’administrateur de la Compagnie des Alpes (CDA), où il était entré en 2002 au Conseil de surveillance. Poste pour lequel il a perçu, sur l’exercice 2015-2016, des « jetons de présence » à hauteur de 10 500 euros. « M.Chaberta notifiés a démission à la Compagnie des Alpesle27janvier2017 » (NDLR : jour de la parution de l’article dans La Tribune/Acteurs de l’économie) assure le cabinet de Laurent Wauquiez qui ajoute que sa décision a été prise en amont et qu’elle est sans rapport avec les soupçons de prises illégales d’intérêts le visant. Le 9 mars 2017, lors de l’Assemblée générale annuelle de la CDA, il était remplacé par l’ex-championne de ski Carole Montillet, également conseillère régionale et membre de la Commission Montagne. Quant à la subvention de 20 000 euros versée à l’association Montanea, dont Gilles Chabert est membre du bureau (voir encadré), le cabinet de M. Wauquiez rappelle que la même somme a été attribuée à l’association en 2014 sous l’ancienne majorité. Il affirme que sur ce dossier, étudié lors de la Commission Montagne du 10 novembre 2016, la présidence a été assurée par le conseiller régional Fabrice Pannekoucke. Pourtant, le compte-rendu de la réunion indique qu’elle s’est tenue sous la présidence de M. Chabert. Le 16 mars, au moment où nous bouclons ces lignes, on apprend que la Région a décidé d’annuler cette subvention votée le 17 novembre 2016 pour la reporter sur la Commission Lycées, et la soumettre au vote de la Commission permanente du 27 mars 2017. L’explication ? « Uneerreurmatérielle. »« Lavolontéde ramenerlesbudgetssuruneseuleligne pourplusdevisibilité », précise le cabinet de M. Wauquiez. Pour Monique Cosson, présidente du Rassemblement citoyen écologiste et solidaire et membre de la Commission Lycées, « çaressemblefortà uneréorientation[…]pouréviterleconflit d’intérêt ». Le groupe dénonce un « tour depasse-passe ».
LES SUBVENTIONS À L’ORIGINE DES SOUPÇONS
Sur 7 999 779 € de subventions attribuées dans le cadre du plan Neige par la Commission permanente du Conseil régional Auvergne Rhône-Alpes du 17 novembre 2016, plusieurs sont à l’origine de la controverse, ayant été accordées à des structures liées à Gilles Chabert. Ces subventions ont été instruites par la Commission Montagne présidée par M. Chabert, qui n’a cependant pas pris part au vote de la Commission permanente, dont il n’est pas membre
- 188 100 € à la Compagnie du Mont-Blanc, 600 000 € à Saint-Gervais et 549 000 € à Avoriaz, domaines skiables où opère la Compagnie des Alpes, société dont Gilles Chabert était administrateur jusque fin janvier 2017. - 20 000 € à l’association Montanea (basée à Chambéry) pour l’organisation de l’édition 2016 du Festival international des métiers de la montagne. Gilles Chabert est membre du bureau de l’association. - 302 618 € à Villard-de-Lans-Corrençon, station dans laquelle Gilles Chabert est membre de l’ESF.
Soit un total de 1 659 718 €, représentant un peu plus du cinquième de l’enveloppe régionale (NDLR : et non « plusduquart » comme indiqué dans l’enquête de La Tribune/Acteurs de l’économie qui a intégré dans le calcul la subvention de 535 070 € versée à la commune de Lans-en-Vercors et indépendante du domaine de Villard-de-Lans-Corrençon). Le 9 février 2017, l’Assemblée plénière de la Région votait 6,25 millions d’euros supplémentaires d’aides à l’enneigement artificiel, « letout sansunmotsurlessoupçonsdepriseillégale d’intérêtsdévoilés », déplore Corinne Morel Darleux qui était, au 15 mars, sans nouvelle de sa plainte auprès du Procureur.