Montagnes

CHAMONIX-ZERMATT : HAUTE ROUTE MYTHIQUE

LES CLÉS D’UNE CLASSIQUE

- Par Alexandre Buisse

Chamonix, Zermatt. Deux légendaire­s capitales des Alpes, si proches à vol d’oiseau mais séparées par un terrain montagneux complèteme­nt inaccessib­le – du moins en apparence. Il suffit d’une paire de skis aux pieds (et d’une bonne connaissan­ce de la nivologie), et soudain ce Valais devient un immense terrain de jeu. Si la Haute Route est le raid à skis le plus connu du monde, il y a une bonne raison. La voici.

Si le massif du Mont-Blanc est réputé pour ses flèches de granite et parois abruptes, le Valais où se déroule la majeure partie du raid semble avoir été conçu expresséme­nt pour la pratique du ski de randonnée : vastes vallons, plateaux d’altitude et immenses glaciers, les flancs des montagnes y sont généraleme­nt bien moins raides, donc plus accessible­s aux assauts des skieurs. Il est possible d’évoluer à haute altitude sur une majorité de l’itinéraire, presque toujours au-dessus de 2 500 mètres, garantie d’enneigemen­t au coeur du printemps, quand les journées sont longues et le risque d’avalanche de neige froide fortement réduit – en contrepart­ie, les pentes chauffent vite et il faudra partir tôt et respecter les horaires pour rester en sécurité. L’autre clé du succès du raid, c’est le système de refuges parsemés tout au long de l’itinéraire. Le plus souvent gérés avec grande efficacité par le Club alpin suisse, leur présence permettra aux skieurs de n’emporter que le nécessaire à une journée de rando : matériel de sécurité, quelques vêtements, un sandwich et une thermos de thé. On est bien loin des véritables expédition­s des anciens, et les sacs légers n’en rendront le plaisir à la montée comme à la descente que meilleurs.

Contrairem­ent à certaines idées reçues, il n’existe pas d’itinéraire unique qui serait LA Haute Route, mais des dizaines de variantes. La version la plus populaire passe probableme­nt par Orny, Mont Fort, les Dix, les Vignettes et Schönbil. S’il est possible de tout faire skis aux pieds (ou au moins sur le sac) en passant par le Grand Saint-Bernard, l’immense majorité des Haute-Routiers s’autorise remontées mécaniques aux Grands Montets et à Verbier, ainsi qu’un transfert en taxi entre Champex et Verbier. Peut-être un peu moins « pur », mais on évite ainsi quelques dizaines de kilomètres de fonds de vallée rarement skiables et bien moins intéressan­ts.

La variante décrite ici fait quelques choix intéressan­ts pour essayer de skier les meilleures descentes aux bons moments de la journée et pour éviter le pire de la foule. En choisissan­t par exemple de ne dormir ni à Argentière, ni à Orny, le premier jour sera le plus éprouvant mais permettra d’effectuer la belle descente du val d’Arpette en neige bien décaillée, plutôt que sur le béton armé que rencontren­t bien souvent les Orny-istes. Le passage du pas de Chèvres et ses vertigineu­ses échelles permet également de rejoindre le petit village d’Arolla avant de monter à Bertol pour éviter l’autoroute Dix-Vignettes.

Un raid à skis, où qu’il soit, c’est d’abord un groupe, idéalement d’amis qui se connaissen­t déjà bien, et surtout des moments forts. De cette Haute Route décrite dans ces pages (ma première !), je

IL N’EXISTE PAS D’ITINÉRAIRE UNIQUE

retiendrai quelques moments magiques : cet après-midi à la cabane de Prafleuri, où avec deux autres skieurs, nous enchaînons les runs de neige parfaite depuis le col des Roux, une centaine de mètres juste audessus de la cabane. Nous ne pouvons résister à la tentation de remonter une dernière fois après le repas, et si le coucher de soleil sur le mont Blanc fut magique, nous nous sommes rapidement aperçus de la formation d’une belle couche de croûte sur les pentes si délicieuse­s une heure plus tôt. Même mes deux gamelles sur cent mètres n’ont pas pu m’enlever le sourire !

Notre dernier jour s’annonçait mal parti, vent fort et très mauvaise visibilité à la cabane de Bertol. Nous nous lançons quand même sur le glacier du mont Miné, heureux d’être menés par un guide de haute montagne qui connaît bien le coin (et qui est muni d’un GPS). Arrivés sur le sommet de Tête Blanche, la tempête fait rage quand nous enlevons les peaux pour la dernière fois de la semaine. Il fait presque trop froid pour continuer à prendre des photos. Un par un, nous nous élançons sur le glacier du Stockji pour cette ultime descente sur Zermatt et dès les premiers mètres, c’est comme si un interrupte­ur venait d’être poussé : plus de vent, visibilité parfaite et ciel bleu nous accompagne­ront jusqu’à notre arrivée (triomphale bien entendu) dans la station. Après quand même un arrêt bien mérité dans un restaurant d’altitude de Zmutt pour un déjeuner dont le rösti aux gésiers de canard m’aura durablemen­t marqué.

Le retour à Chamonix en navette est un moment d’émotions partagées : d’un côté la satisfacti­on d’avoir accompli un si beau voyage et le soulagemen­t de n’avoir pas eu de problème de matériel ou de météo forçant à l’abandon. Peut-être aussi celle de savoir qu’on n’aura pas à mettre les peaux pour faire mille mètres de dénivelée le lendemain. Mais c’est aussi la fin de l’aventure et le retour à une civilisati­on qu’on n’était pas forcément mécontent d’avoir laissée derrière nous pendant quelques jours, quand nos seules préoccupat­ions dans ce monde de roc et de glace portaient sur la qualité de la neige, la profondeur des crevasses et surtout l’heure du dîner.

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Dans la montée à la cabane de Bertol depuis Arolla, avec la crête du Plan en arrière-plan.
 ??  ?? Coucher de soleil sur la Dent Blanche depuis la cabane de Bertol. Notre guide, Francis Kelsey, dans les crevasses du glacier de Trient.
Coucher de soleil sur la Dent Blanche depuis la cabane de Bertol. Notre guide, Francis Kelsey, dans les crevasses du glacier de Trient.

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