Montagnes

STECK PAR MESSNER

Quand un géant parle d’un autre géant... Reinhold Messner, le premier homme au sommet de l’Everest sans oxygène, le premier à avoir gravi les 14 8 000 toujours sans oxygène, pour ne citer que cela. La légende de l’alpinisme livre son regard sur Ueli Steck

- Propos recueillis par Alexandra Kohler pour le NeueZürche­rZeitung. Traduction & photos : Ulysse Lefebvre.

NZZ : Que vous est-il d’abord venu à l’esprit lorsque vous avez appris la mort de Ueli Steck ? RM : Pour être honnête, cela a été une surprise pour moi. Je ne m’attendais pas à ce qu’à quarante ans, et avec l’énorme niveau d’expérience en alpinisme qu’il avait, il puisse chuter à ce moment de sa carrière. C’était quelqu’un qui savait exactement ce qu’il faisait.

La chute de Ueli Steck s’est produite sur le Nuptse (7 861m), proche de l’Everest (8 848 m), un secteur que vous connaissez bien. Le Nuptse ne semble pas être un objectif trop difficile pour un alpiniste avec le niveau d’expérience de Ueli Steck. Comment évaluez-vous la difficulté de cette ascension ? Il tentait apparemmen­t de gravir le Nuptse par sa face nord, par une voie qui ne doit pas être sous-estimée. Cela étant dit, je ne comprends pas très bien pourquoi il s’est d’abord orienté vers le Nuptse. Il avait précédemme­nt annoncé qu’il voulait tenter d’enchaîner l’Everest et le Lhotse (8 516 m), ce pourquoi il s’était acclimaté sur les flancs de l’Everest. La seule explicatio­n que je vois est qu’il visait le « fer à cheval », c’est-à-dire gravir à la suite le Nuptse, le Lhotse et l’Everest. Cet enchaîneme­nt est un véritable défi. Beaucoup d’alpinistes rêvent de le réaliser.

Steck n’avait pas annoncé son intention de tenter ce « fer à cheval » ? Non. Nous avons tous tendance à signaler des projets plus modestes au départ d’une expédition, de sorte que lorsque nous réussisson­s (à accomplir quelque chose de plus ambitieux), nous pouvons plus facilement annoncer notre succès. Le « fer à

cheval » est extrêmemen­t difficile, personne n’a réussi jusqu’à présent. Mais si quelqu’un pouvait en être capable, c’était Ueli Steck.

Ueli Steck était un alpiniste qui testait ses limites et prenait d’énormes risques. Pensez-vous qu’il soit allé trop loin ? La question n’est pas de savoir s’il a pris une bonne ou une mauvaise décision. La question est de savoir si une ascension est possible ou non. Et Ueli Steck était quelqu’un qui rendait possibles des choses qui ne l’étaient pas auparavant. À mon époque, une ascension rapide de la face nord de l’Eiger, c’était 10 heures. 2 heures 23 minutes (le record actuel détenu par Steck pour cette voie) était un temps absolument inimaginab­le à ce moment-là. Steck a toujours eu des ambitions audacieuse­s et évoluait en permanence. Je l’admirais pour cela. En revanche, je n’ai jamais été transporté par ses ascensions éclair.

Pourquoi ? Il m’est simplement égal que quelqu’un grimpe la face nord de l’Eiger en 10 heures ou en 3. C’était beaucoup plus impression­nant, par exemple, de le voir grimper les 82 4 000 des Alpes en un seul été [ndlr : en 62 jours]. Ces quinze dernières années, son influence sur le sport a été essentiell­e.

Vous avez dit un jour qu’un bon alpiniste doit être fort et rapide pour augmenter ses chances de survie. Pensez-vous que l’exemple de Steck contredise cette théorie puisqu’il n’était pas rapide mais extrêmemen­t rapide, ce qui augmentait considérab­lement les risques ? Quiconque a vu Ueli Steck survoler la face nord de l’Eiger lors de l’une de ses ascensions éclair sait qu’il était sans cesse dans le contrôle. Il se déplaçait toujours avec une grande précision et un sens aigu de la sécurité. Pourtant, une part de risque demeure toujours. Si une grosse chute de pierres vous atteint dans l’Eigerwand, vous allez tomber et mourir. Il y a une règle simple cependant : il faut tenter uniquement ce dont on est capable. Cela signifie qu’il faut toujours rester un peu en deçà de ses propres limites. Et on est seul à connaître nos propres limites. Donc en ce qui concerne les risques pris par d’autres, il faut se garder de juger.

Aujourd’hui, quel est le défi pour un alpiniste de haut niveau, alors que toutes les plus hautes montagnes ont été gravies, que toutes les faces nord ont été parcourues ? Cette élite n’a-t-elle pas besoin aujourd’hui de trouver des projets potentiell­ement mortels pour capter l’attention ? Il est vrai qu’il y avait autrefois moins d’alpinistes de haut niveau. C’était un peu plus simple de se démarquer. Aujourd’hui, la liste des grimpeurs profession­nels est longue. D’un autre côté, il est aujourd’hui plus facile de voyager, c’est plus abordable. C’est devenu possible pour beaucoup de gens de partir en Himalaya. Il y a aussi beaucoup plus de sponsors pour l’alpinisme et les sports de montagne, et donc plus d’argent à trouver. Il est vrai cependant que repousser les limites signifie aujourd’hui qu’il faut réaliser l’une de ces trois choses : grimper toujours plus dur, plus dangereux ou plus exposé. Plus vous avez d’expérience, plus vous pouvez repousser ces limites. Ueli Steck, j’en suis certain, avait une sorte de pulsion intérieure très forte qui le conduisait à repousser les limites. Et il avait établi des standards très élevés pour lui-même.

Merci au Neue Zürcher Zeitung (Suisse) pour l’autorisati­on d’utilisatio­n de cet article publié sur leur site Internet le 2 mai 2017.

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