Montagnes

PAUL-ÉRIK MONDRON

Il y a une petite décennie, Paul-Erik Mondron a créé sa propre maison d’édition, Nevicata, dont le nom signifie « averse de neige » en italien. Le ton est donné. Le rapport à l’espace se calque sur un rapport à l’écrit. La montagne l’amène à des passions

- Par Virginie Troussier

Il n’y a pas une page de roman entre PaulErik Mondron et ses choix. Sa maison est comme un prolongeme­nt organique de luimême. Les livres, le voyage, la montagne ne font qu’un. Éclectique, atypique, bourlingue­ur et alpiniste, le catalogue de ces éditions belges reflète la personnali­té du fondateur : un passionné de grands espaces, de cimes, de peuples.Après des études de droit et le service militaire, Paul-Erik Mondron avait envie de tout « excepté le métier d’avocat ou juriste ». Il découvre alors le travail d’éditeur, au sein des éditions Duculot et des éditions Racine. En 1999, il souhaite quitter le plat pays pour des horizons plus hauts. « Je voulais aller loin, dans un lieu qui m’était inconnu. Et je voulais également voir ces fameuses Alpes néo-zélandaise­s. » La montagne, c’est une passion depuis toujours. Il y est venu par la lecture. Les récits de Frison-Roche le collaient déjà aux parois. Il pouvait passer des heures à décrypter des cartes. Vers 14 ans, il découvre alors l’alpinisme à travers des stages en Suisse. Enfin, la sensation physique de voir le monde, avec des plans et des arrière-plans. À partir de cette époque, la pratique deviendra plus intensive, il gravira des sommets de 4 000, la face nord du Cervin notamment. En 1994, il monte une expédition en Antarctiqu­e pour atteindre la plus haute montagne du continent austral, le mont Vinson, pour le centenaire de l’expédition de Gaston de Gerlache. La NouvelleZé­lande, c’était à la base pour une durée indétermin­ée. Mais on l’accueille dans les règles de l’art en lui demandant de prévoir un billet retour. Impossible de séjourner sans. Par chance, une agence lui propose un billet à 700 dollars qui lui permet de rester quelque temps là-bas (il en profitera pour gravir les grands classiques : les monts Aspiring et Cook) avant de partir en Amérique du Sud, vers l’Argentine et le Chili. Seule contrainte : revenir six mois après en Belgique. C’est ainsi qu’il se confronter­a à son plus grand choc esthétique, culturel, vertical : la Patagonie. Le jour où il a vu l’immensité de cette terre, il a senti des poids se détacher un à un de ses épaules et s’est presque senti voler. Il se laisse absorber par des assonances ou des couleurs, il semble avoir trouvé le lieu de son exigence. Quand on lui demande ce qui le fascine dans la Patagonie, il nous parle avec fougue de ses grands espaces, de « cette région où l’on a l’impression d’être au commenceme­nt du monde ». Ce qui aimante, « c’est que l’on sent qu’on pourrait y faire souche, faire de ce lieu un chez soi ». Depuis, il y est revenu au moins une quinzaine de fois, seul, ou avec du monde, en expédition. La Patagonie devient sa terre précieuse, promise. « Les paysages sont hallucinan­ts. On a l’impression que tout est possible. » Côté montagne, « tout était à faire ». Il y a une tradition de l’exploratio­n très forte chez les grimpeurs locaux. Là-bas, on souhaite « faire quelque chose de neuf », « aller là où on n’a pas toutes les infos en main ». Rien n’est jamais gagné – et Paul-Erik Mondron a bien assimilé leur adage : « Celui qui est pressé perd son temps. » Ce qui l’a particuliè­rement marqué, c’est la fraîcheur, « l’enthousias­me latino », la possibilit­é de faire de la montagne avec sérieux et légère folie. Sans le savoir peut-être, il rencontre de nombreux aventurier­s qui partagent sa passion pour les cimes et qui deviendron­t des amis et des collaborat­eurs. En rentrant, il prend des parts dans un magasin de montagne à Bruxelles, rare enseigne de la région spécialisé­e dans le ski et l’escalade. Cela durera six ans. Il décide ensuite de revenir à l’édition et de créer sa propre maison. Cela fait des années qu’il découvre des textes inouïs, riches, encore jamais traduits. Il maîtrise parfaiteme­nt l’anglais, l’italien, l’espagnol. « À force de passer du temps dans les refuges avec les Sud-Américains, on finit par bien parler leur langue ! » Un ami écossais lui parle de ce texte, Aux confins de la Terre, de E. Lucas

VOIR L’AVENTURIER AVANT L’ÉCRIVAIN, C’EST OUBLIER L’IMPLACABLE DISCIPLINE QU’IMPOSE LE TRAVAIL DE LA PLUME.

Bridges paru en 1948. L’éditeur naissant le cherche partout. Il le trouve finalement chez un petit bouquinist­e, dans une très ancienne édition. Ce texte le fascine dès les premières lignes et le passionne encore. « C’est un trésor caché. » L’histoire et l’espace de la Terre de Feu y sont décrits comme nulle part ailleurs. La maison cherche les héritiers et les bonnes rencontres réussissen­t au projet. Paul-Erik Mondron détecte des textes oubliés avec une méthode spéciale, à l’intuition et avec passion. Quand il tient un ouvrage audacieux, ses yeux se mettent soudain à pétiller comme s’il venait d’acquérir un pur-sang, prêt à prendre tous les paris. Aux confins de la Terre paraît donc en langue française après deux premiers ouvrages : un topo d’alpinisme dans lesAndes et Mont Blanc et Aiguilles Rouges à ski d’Anselme Baud. Cet ouvrage fête d’ailleurs sa troisième réédition. Nevicata se spécialise depuis dans la littératur­e de voyage et de montagne, dans la littératur­e de non-fiction. Les récits vécus possèdent de vraies matières romanesque­s. La maison traque les perles rares. Elle souhaite que ses textes puissent permettre d’entrer en contact avec une forme d’intimité, de connaître les ressorts profonds d’un pays, d’un peuple, d’une personne. Et les récits de montagne ne s’adressent pas qu’aux pratiquant­s de ces sports exigeants. Géographie sans frontière, la montagne est un espace où l’on se sent relié au monde. La spécificit­é de Nevicata est de se démarquer des livres bien connus du milieu. Cet éditeur cherche, déniche, part en quête de l’oxygène rare et trouve des mines d’or, « des histoires à faire absolument connaître ». On pourrait citer notamment Défonce verticale de Jim Bridwell ou Libres comme l’air de Bernadette McDonald. Il se taille ainsi une réputation de découvreur hors pair, publiant peu et visant juste. Il s’entoure des meilleurs traducteur­s, d’une rigueur implacable. Nevicata présente des volumes racés, reconnaiss­ables à leurs belles photos en couverture. La maison travaille avec une intransige­ance méticuleus­e. Il y a un côté absolu. C’est rare. Elle a le flair. Mais, il est bon de le rappeler, un écrivain voyageur ne se contente pas de jeter ses aventures sur le papier, changeant en récits épiques ses impression­s de voyage. Voir l’aventurier avant l’écrivain, c’est oublier l’implacable discipline qu’impose le travail de la plume. Paul-Erik Mondron aime ceux qui façonnent le texte sur un rythme immuable, soucieux du flot furieux du récit qui prend le lecteur par le collet à la première phrase pour l’abandonner au dernier mot de la dernière page. Il aime ceux qui ont redessiné la carte et circonscri­t le territoire avec leurs tripes et leurs souffles. Les auteurs de Nevicata ont couru le monde en quête d’aventure. Mais l’aventure ultime de ces voyageurs, ce ne sont finalement pas ces expédition­s lointaines. Ce sont les livres.

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