Montagnes

SYMON WELFRINGER UN MÉTÉOROLOG­UE DANS LES NUAGES

- Par Lucien Martinez

Fleuron de l’alpinisme hexagonal et prévisionn­iste pour Météo France à ses heures perdues, Symon Welfringer a reçu le Piolet d’or 2021 pour une ouverture de mixte dans une immense face vierge au Sani Pakkush (6 953 m), une récompense partagée avec son ami et compagnon de cordée Pierrick Fine. Mais derrière la distinctio­n, les altitudes et les cotations, se cache un gars animé par une passion aussi grande que les montagnes qu’il escalade.

Cette histoire commence en 2013, dans une petite chambre de l’école météo de Toulouse. Les placards, grands ouverts, vomissent le matériel de grimpe qui s’étale sur presque toute la surface du sol. Une paire de piolets est plantée dans un mur criblé de trous.

J’ai eu le malheur de demander un jour à Symon pourquoi il donnait des coups de piolets dans sa chambre, et il m’a servi le sourire carnassier qui le caractéris­e, celui du gars qui n’a d’autre dessein que de croquer la vie à pleines dents, pour me répondre que c’était pour s’entraîner à les planter dans la glace. À ce moment, Symon Welfringer a 20 ans et il est ignorant du monde de l’alpinisme autant que celui-ci le fascine. Il est à 100 lieues d’imaginer que le Piolet d’or, quelque 8 années plus

LE SENS DU DÉFI

Excellent grimpeur, vainqueur en coupe de France chez les juniors, mais peut-être trop bon élève, Symon et ses chaussons d’escalade sont mis pendant deux longues années au placard d’une classe prépa PCSI en d’ingénieur météo de Toulouse, sans plan mais avec des rêves plein la tête. Vous pouvez me croire sur parole, chers lecteurs, car c’est là que je l’ai rencontré pour me lier rapidement d’amitié avec l’animal au détour des falaises du sud-ouest. Nous nous sommes mis à grimper ensemble et j’ai trouvé, chose rare, quelqu’un qui avait encore moins peur de l’absurdité que moi. Pour tous les plans saugrenus que je pouvais lui proposer, Symon était « chaud ». On est allé faire du psychoblok dans un lac de montagne perdu dans les Pyrénées sur la base d’un vague souvenir. On est allé essayer un 9a étions à des années-lumière d’avoir le niveau, le tout en plantant notre tente en plein milieu du village sous les regards des passants. Lorsqu’une idée, quelle qu’elle fut, lui traversait l’esprit, Symon se devait de la mener à bien. C’était plus fort que lui. Même dans tout autre domaine que celui de la grimpe, les soirées arrosées de l’école notamment, il s’était fait une spécialité dans l’art d’épater la galerie en se lançant d’absurdes challenges.

Je me souviens d’une fois où, rentrant affamés de la falaise, nous avons envisagé, sur le ton de la rigolade, l’éventualit­é de manger 1 kg de pâtes au pesto à deux (Symon mangeait des spaghettis au pesto tous les soirs sans exception). Il ne se l’est pas laissé dire deux fois : quelques nos assiettes. Peu après, nous étions affalés sur nos chaises, les bras en croix, en train de débattre si nous avions plutôt réussi à ingérer 600 ou 700 grammes de pâtes… Mais je m’égare ; vous êtes en train de lire le portrait d’un Piolet d’or, que diable ! apporté par sa vie d’étudiant pour se mettre qui le précède d’un an à l’école météo, il fait ses toutes premières courses dans le massif du Mont-Blanc.

« On était morts de faim, se souvient Léo. On partait le vendredi soir après les cours, on ne prenait même pas l’autoroute et on arrivait sur place à 3h du matin. Le lendemain, on montait au refuge et on se lançait pour 24h de course, puis on rentrait à Toulouse le dimanche soir pour reprendre les cours le lundi. C’était pas très malin ce qu’on faisait ! Je me souviens même de nos premières courses : en arrivant à l’Aiguille du Midi, on avait fait l’arête des Cosmiques sous une petite tempête puis on était monté au Tacul par la goulotte Chéré avant de faire le lendemain la face nord de la Tour Ronde. On est revenu la

semaine d’après et on a fait le couloir Whymper à la Verte. »

Et sur les bancs de la météo, les résultats de Symon pâtissent assez lourdement de cet appel de la montagne ! In extremis, après un petit recadrage dans le bureau du directeur, il parvient à valider sa première année d’école pour poursuivre de plus belle sa fuite vers les hauteurs. En intégrant notamment l’équipe d’alpinisme peu à peu en expérience…

FORCE ET ROBUSTESSE

Déjà très bon grimpeur, c’est-à-dire jamais ou presque tenu en échec dans le 7e degré à vue quel que soit l’espacement entre les points, Symon, durant ses années étudiantes, ne snobe aucune des activités dérivées de l’alpinisme : bloc, couenne, grande voie, terrain d’aventure, dry-tooling, glace, trail, que vous lui connaissez maintenant, il pratique l’ensemble simultaném­ent et avec un enthousias­me débordant.

De mon point de vue de pur grimpeur, je peine alors à le comprendre. J’ai le sentiment qu’il s’éparpille et je me lamente de passer autant de week-ends sans mon camarade au pied des falaises. Mais aujourd’hui, j’ai compris qu’il s’est forgé durant ces années un bagage technique et une caisse physique qui ont fait voler en éclat certaines barrières qui pouvaient s’interposer entre lui et l’excellence alpine. C’est ici que Jonathan Crison, responsabl­e et encadrant des équipes nationales et alpinisme à la FFME mais aussi ami de Symon, apporte une précision particuliè­rement intéressan­te :

« Le niveau technique et physique, c’est une chose, mais souvent, un des gros facteurs limitants pour le haut niveau en alpinisme, c’est ce qu’on appelle dans notre jargon la robustesse. Quand vous grimpez une paroi, il y a un grand nombre de sources d’inconfort qui viendront altérer vos capacités techniques, voire rendre l’ascension impossible : le froid, la fatigue générale, le manque de sommeil, la déshydrata­tion, etc. Et on peut dire qu’il est robuste, notre Symon ! Je n’ai pas fait d’expé avec lui mais pour donner un exemple, comme il est toujours très optimiste au niveau des conditions météo, il m’avait embrigadé au Grand Cap sur une prévision mitigée qui s’était transformé­e en conditions franchemen­t hostiles. En bref, il faisait extrêmemen­t froid, à la limite du grimpable, mais lui n’a rien perdu de son enthousias­me. Avec une forme d’insensibil­ité aux éléments et à l’inconfort, il essayait toujours de grimper, de trouver les méthodes et de se battre à fond. Cette robustesse, en expé encore plus qu’ailleurs, c’est un énorme atout. »

ENAM, ÉCOLE DES GUIDES : UN HÉRITAGE DÉCISIF

Et de fait, en 2016, Symon réussit à inté - nisme masculine), puis passe avec succès en 2017 le proba du guide. Ce parcours « officiel » lui permet de faire un lien solide avec sa formation d’ingénieur météo en pérennisan­t son poste dans la prévision de montagne chez Météo France.

Mais cela va beaucoup plus loin : « Au début de la carrière des alpinistes, explique Jonathan Crison, il y a souvent un moment critique où leurs capacités techniques dépassent leur expérience du milieu. C’est une période où ils peuvent vraiment se mettre en danger et c’est là qu’on a un rôle à jouer avec les équipes. Bien avant toute question de performanc­e, on est là pour leur apporter cette expérience et formation au moment où ils en ont besoin. »

Quant à l’utilité de son passage par la case « école de montagne », Symon surenchéri­t : « Cela m’a donné une grosse base au niveau sécu, car je dois bien avouer que j’avais pas mal brûlé les étapes. J’ai aussi appris à contrôler l’état d’esprit «tête brûlée» que j’avais à l’escalade, et qui n’est pas du tout transposab­le à la montagne. Aussi, quand tu commences à faire de belles choses en montagne, que tu as tes premiers sponsors et que les médias se mettent à parler de toi, il y a une transition délicate où tu peux ne plus savoir exactement pourquoi tu montes là-haut. Par motivation réelle ou pour l’article qu’il y aura derrière ? Mathieu Maynadier et Antoine Pécher, mes encadrants à l’ENAM, m’ont vraiment aidé à faire face à ce danger, à y aller pour le fond et à savoir renoncer quand il le fallait. »

L’AVENTURE, AVEC SES JOIES ET SES RISQUES

En 2016, Symon participe ainsi à sa première expé en Géorgie. « On n’a rien fait d’extraordin­aire, explique-t-il, mais ça a été pour moi la révélation d’une pratique nouvelle. Je suis tombé amoureux de ce mélange entre aventure, exploratio­n, découverte culturelle et rencontres, sans a que les expés qui peuvent apporter cette magie. »

Dès lors, son regard ne quitte plus les aventure himalayenn­e en 2017, il frappe son premier gros coup l’année suivante, au Népal, avec l’ouverture de Quatuor à cordes, sur le Lobuche est (6 120 m). Il prend le virus : deux expés en 2018, trois en 2019… En octobre 2020, en dépit du coronaviru­s, il embarque vers le Pakistan avec Pierrick Fine. Direction le massif du Batura Muztagh où ils ont repéré sur Internet une face vierge de (6 953 m). Malgré l’immensité de la face, le succès est total ; ils ouvrent Revers Gagnant (2 500 m, 90°, M4+, WI 4+), une ascension majeure pour laquelle ils reçoivent la récompense reine des alpinistes, le Piolet d’or.

Mais sur le chemin du succès, impossible d’oublier la question du risque, qui plane comme un nuage lourd sur les grandes réalisatio­ns montagnard­es. « À un certain niveau, la performanc­e en montagne, qui mesurable, devient presque une traduction du risque que l’athlète est prêt à prendre », explique Jonathan Crison.

Symon ne le sait que trop bien. Il n’oublie pas la disparitio­n tragique de son pote Max Bonniot l’année passée, avec qui il partageait ses passions de l’escalade de haut niveau et de la montagne comme son parcours d’ingénieur. Plus récemment, une chute de 50 m en cascade de glace à cause d’un placage qui cède lui vaut, presque miraculeus­ement, quelques points à la tête et une épaule luxée. Ce qu’il fait est dangereux, évidemment qu’il le sait ! « La voie raisonnabl­e serait d’arrêter, confesse-t-il. On sait tous que c’est super dangereux, même pour le plus expériment­é. Le risque objectif est omniprésen­t, je ne me voile pas la face. Mais j’ai connu des joies d’une intensité incroyable en expé. Une plénitude que je n’avais jamais connue auparavant. À tel point que dans mon fait, je m’écoute. Là, par exemple, je n’ai pas envie de repartir avant un an. Mais je ne peux pas me dire que j’arrête. Je sais que je vais repartir. Et ça ne m’empêche évidemment pas d’être sérieux et profession­nel dans la gestion du risque ; je sais faire demi-tour quand je le sens. » oublier l’essentiel de ce portrait. Tous les moments que j’ai partagés avec Symon au pied des falaises ont été d’une grande intensité. Sportive, bien sûr, mais surtout humaine. Et tous ceux qui ont croisé sa route ne sauront me contredire. Surtout pas Jonathan Crison, à qui je laisserai le mot Symon n’est pas un homme des solos. Ce qu’il aime, c’est partager des aventures avec ses compagnons de cordée. Quand on passe un peu de temps de partage qui s’installe, quelque chose de profond et de presque familial. Et je crois que c’est une des meilleures qualités qu’il peut y avoir pour la montagne ».

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ÐSymon Welfringer dans LeCadre (9a) à Céüse.
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