Montagnes

FRED & BÉA DEUX GARDIENS UNIS

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Fred et Béa nous accueillen­t avec un immense sourire. Ces deux-là sont le yin et le yang. Un ballet bien orchestré entre eux prend place dans leur refuge surplomban­t le glacier d’Argentière, aux premières loges de ces immenses faces nord allant de l’Aiguille Verte au mont Dolent.

De « l’espace gardien » de la terrasse, angle proche de la cuisine, les gardiens visualisen­t les alentours, à l’affût des arrivées et départs, et de l’avancée des courses. Avec toujours un oeil sur les montagnes, le glacier, les alpinistes, Fred arbore sa paire de jumelles comme un marin sa lunette, tandis que Béa s’occupe des abords. Jamais un départ sans un chaleureux au revoir, sans une main tendue à la fenêtre, même lorsque l’effervesce­nce bat son plein ! Chaque passage en ces hauts lieux reçoit l’attention particuliè­re des gardiens.

Dans ce refuge d’Argentière, la musique est parfaiteme­nt rodée. Chacun son rôle. En cuisine, Fred est à l’oeuvre, et Béa gère la salle. Génie de la cuisine, il saisit une immense poêle et fait cuire une omelette, toute aussi grande ! Chaque geste est savamment dosé, jusqu’au persil clairsemé en note finale. Quant à Béa, bercée par le restaurant étoilé dans lequel elle travaille lorsqu’elle est en plaine, elle prépare des mets hauts en couleurs, autant pour sublimer la bonne cuisine de Fred que pour le plaisir des yeux des convives :« Une belle assiette, c’ est important !» On perçoit leur immense générosité dans leurs plats. Parfois même, les jeunes sans les ou ou les« chouchou sdel’ EN SA» deBé are partent avec une canette offerte ou un plat à peine payé .« On les connaît, ces petits, ils sont passion nés .» Même le ménage est fait avec entrain, chaque jour, méticuleus­ement. Chacun son rôle, aucun vent de brassé, des gestes précis et rapides : rien ne doit venir les perturber dans leur programme. Ici, chaque retard peut être lourd de conséquenc­es, car les deux gardiens se lèvent souvent bien avant l’aube. Une heure de plus à veiller le soir attise une fatigue difficile à encaisser en pleine saison.

Du respect en toutes circonstan­ces

La fatigue et l’altitude ont parfois raison des bonnes manières… Un matin, un alpiniste est rentré avec son sac, dont les gardiens ne veulent pas dans la partie haute du refuge. Béa lui demande alors de le descendre, il s’emporte. Les règles sont les règles, et lui n’y dérogera pas. Dans l’après-midi, elle retourne le voir et entame calmement la discussion. La conversati­on dérive sur la course du lendemain, et la gardienne tente de convaincre la cordée de partir à 3h du matin pour profiter d’un meilleur regel, et du départ d’un groupe guidé. Malgré le conseil, ils partiront à 3h30 ; butant assez rapidement, ils reviendron­t sur leurs pas, tendus mais sains et saufs.

Ces deux gardiens tâchent de mettre en sécurité ceux qui parcourent ce vallon d’Argentière. Aucun alpiniste ne part en course sans un « soyezprude­nt! » ou autres recommanda­tions spécifique­s aux conditions du jour. Après des épisodes de secours absolument dramatique­s, ils ont mis en place de nouveaux moyens dans le refuge, s’équipant d’une barquette d’évacuation et d’une pharmacie de premiers secours bien plus étoffée qu’avant, ce qui leur permet de prodiguer les premiers soins dans l’attente de l’arrivée du PGHM. « Aupire,tumeurs! », lâche Fred de son humour grinçant, lui qui a trop souvent contemplé la mort. « Ilfaut

seprotéger » dit-il tout en pudeur. Les prénoms de ceux qui sont partis sont tour à tour prononcés, des photos caressées du regard, des souvenirs égrenés… Ici, personne ne crie à l’ absurdité de la décision ou àl’ ir responsabi­lité. Un seul constat: « pas au bon endroit, pas au bon moment ». Fred et Béa sont gardiens des vivants, mais aussi du respect des mémoires .« On n’ en parle jamais, mais c’ est aussi ça

laviedegar­diens », souffle Béa.

Des bouquetins passent au-dessus du refuge .« Ils sont réapparus en sep

tembre l’ année dernière », explique Fred. Depuis 15 ans qu’il garde ce refuge, il n’en avait jamais vus. Quelques chamois sont dans les parages, mais dans les parois, le bouquetin est pourtant roi. C’est toutefois un autre animal sauvage qui entoure les gardiens au quotidien : leur chatte Sergio les accompagne partout. D’une beauté troublante, parfaiteme­nt indomptabl­e, elle sait gérer son monde, et les mains cherchant la douceur de son pelage se voient souvent accueillie­s d’un vif coup de patte, avec ou sans griffe, selon l’humeur. Si Fred et Béa prennent soin du lieu qu’ils habitent et des alpinistes de passage, être pris d’affection par Sergio, voilà bien un honneur que peu de personnes goûtent !

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