Montagnes

LE CHANTIER

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7 juin 2021. Nous nous retrouvons sur le parking non loin de La Bérarde. Le refuge a ouvert deux jours plus tôt. Le temps s’annonce orageux les après-midi, mais les matinées devraient être clémentes. Après une montée encore bien enneigée pour la saison, nous arrivons au refuge vers 13h sous une légère pluie qui ne fera que s’intensifie­r jusqu’à la nuit. Marielle et Quentin nous accueillen­t chaleureus­ement. Le refuge est quasi vide : un guide, son client et nous quatre. Six tables pour six personnes, le protocole Covid est respecté. On pensait rééquiper une ou deux longueurs pour cette première journée, c’est raté. Nous préparons le matériel, organisons les cordées et élaborons un plan d’attaque pour rattraper le retard. Grimper dans la voie depuis le bas semble être la meilleure option. La stratégie est la suivante : le leader grimpe et hisse le matériel, le second rééquipe. Le processus est simple : atteindre le premier point ; se vacher ; percer le nouveau trou ; installer le nouveau goujon ; démonter l’ancien point ; boucher l’ancien trou avec du sika ; grimper jusqu’au point suivant, et ainsi de suite… une centaine de fois ! Les points en place sont constitués d’un insert fileté installé dans un trou de U mm de diamètre (trou souvent réalisé au tamponnoir à l’époque) et d’un boulon à sertir. Pour démonter le point, il suffit de dévisser le boulon. L’insert ne peut pas être enlevé. Pour terminer, nous appliquons du sika pour masquer le trou.

Deuxième jour. Réveil matinal pour profiter du beau temps. Le ciel est nuageux et la paroi bien humide. Manon et Seb attaquent le rééquipeme­nt des trois premières longueurs. La première longueur en dalle est bien mouillée et nécessite déjà une concentrat­ion certaine pour le leader. Avec Damien, nous profitons de la proximité de la voie Madier pour grimper dans plus facile et ainsi rejoindre rapidement le pied de la quatrième longueur. Pour les connaisseu­rs, le hissage des sacs dans le passage dit « du tunnel » restera mémorable. La stratégie semble efficace et tout se déroule comme si nous faisions ça depuis des années. Grimper dans la voie permet de repérer des points qu’il serait judicieux de légèrement décaler ou de repérer les passages exposés. Les anciens relais et les amas de cordelette qui les accompagne­nt sont enlevés. Cette première journée nous permet de rééquiper quatre longueurs et de hisser l’ensemble du matériel (sans oublier de redescendr­e les batteries des perforateu­rs pour les recharger). L’ambiance est au beau fixe. Nous sommes seuls sur la paroi, on prend le temps, on profite. Nous rejoignons le refuge vers 16h juste avant le début des averses du soir. Trois minutes entre la fin des rappels et le thé bien chaud, c’est grand luxe. On se dit que ça ne serait pas le même chantier si le refuge n’était pas là. Pour cette deuxième soirée, nous sommes seuls avec Marielle et Quentin. L’occasion de partager un très bon moment avec eux et d’échanger comme c’est rarement possible de le faire. En saison, les gardiens sont souvent bien occupés. Remettre un refuge en route après l’hiver relève d’une sacrée organisati­on. En arrivant la semaine précédente, il n’y avait pas d’eau au refuge. Pas d’eau, pas de refuge : les gardiens étaient à deux doigts de redescendr­e et de revenir une fois la neige fondue. Finalement, ils ont passé trois jours à pelleter dans la neige encore bien présente pour retrouver et réparer la canalisati­on d’arrivée d’eau. Troisième jour. La veille, nous avons rééquipé quatre longueurs sur huit. L’objectif est de finir dans la journée en espérant que la météo le permette. Nous grimpons jusqu’au dernier point atteint, récupérons le matériel laissé en paroi et continuons avec la même méthode. Seb et Damien passent devant. Manon et moi derrière. Les longueurs en dalle sont tout aussi magnifique­s que l’année précédente. Même si l’escalade reste parfois engagée entre les points, notamment dans les sections plus faciles, la voie va gagner en sécurité. Pour les gros changement­s : nous nous permettons de décaler d’un

mètre un point mal placé au départ de la cinquième longueur et rajoutons trois points dans la septième, autrefois paumatoire et très engagée. Ce seront les seules modificati­ons par rapport à l’équipement d’origine. Le bruit des perforateu­rs rythme notre journée. Au pied de la longueur finale, nous prenons place sur la large vire Boell. Ce petit jeu est tout de même bien fatigant et nous sommes heureux de pouvoir nous étaler sur la vire. L’occasion de manger et ré-ré-réorganise­r encore une fois le matériel pendant que Seb finalise la dernière longueur. Le dernier point est posé et la pluie arrive aussitôt nous applaudir. Dommage pour nous qui pensions célébrer cette réouvertur­e en se posant une bonne demi-heure au soleil… On enchaîne les six rappels permettant de rejoindre le pied de la face. Nous sommes littéralem­ent trempés. L’eau coule entre nos mains et jaillit des descendeur­s. Encore une fois, trois minutes de marche et nous sommes à l’abri au refuge. Un régal.

La voie est rééquipée, les vieux ancrages enlevés et rebouchés. L’équipe heureuse et fatiguée. Avis aux amateurs !

Dernière étape de ce projet : redescendr­e l’ensemble du matériel. Le poids laissé sur la paroi est vite compensé par l’eau qui imbibe les cordes. Avec Sébastien, nous avions monté nos petites voiles de parapente : idéal pour clôturer cette belle mission ! La pluie cesse et un créneau pour décoller se dessine. Il y a encore beaucoup de neige devant le refuge. Pour décoller, la neige est plus accueillan­te qu’un pierrier, mais elle est molle et humide et nous sommes très chargés, peut-être 25 ou 30 kg sur le dos. Nous savons qu’il ne va pas être facile de prendre la vitesse nécessaire pour être pris en charge sous notre voile. Après deux tentatives infructueu­ses, la troisième sera la bonne. Un décollage engagé, surtout du fait du poids du sac, que je me promets de ne pas recommence­r de sitôt. Pour l’atterrissa­ge, nous optons pour la technique du largage de sac. Impossible d’espérer retomber sur nos pieds avec une telle charge. Le sac est largué à une dizaine de mètres du sol pour un posé en douceur. Seul hic : j’ai largué mon sac à trois mètres du bord de la rivière ; une dernière séquence émotion qui se termine bien. En parallèle, Manon et Damien ont attaqué la descente en nous laissant une bonne partie du matos. On les attendra une petite heure. Le trajet du retour jusqu’à Grenoble permettra une nouvelle fois d’échanger sur la chance que nous avons d’avoir autant d’itinéraire­s d’escalade équipés.

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Ça perce en parallèle pour plus d’efficacité !
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Avant - Après ; deux-trois tours de clés et c’est joué !
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