Montagnes

LE MOT DES ÉQUIPEURS

Laurent Belluard & Christophe Savioux

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Pourquoi a-t-on cherché avec Christophe Savioux, le principal artisan de cette ouverture, à s’évertuer à parcourir cette ligne qui n’existait pas ? La prétention sûrement, l’envie aussi et puis, pourquoi pas le dire, une vision : tirer droit jusqu’au sommet. Ceux qui connaissen­t ce merveilleu­x endroit savent que la face sud est rayée par une rampe oblique imposant sans l e vouloir aux alpinistes-grimpeurs des lignes qui ne la traversent pas. Nous, on s’est dit que ça serait vraiment bien de passer outre en équipant les premières longueurs de la célèbre Visite obligatoir­e. C’est aussi la raison qui fait que Physique et sans issue débute du même point de départ. On avait repéré la possibilit­é de franchir le surplomb permettant de se rétablir sur la rampe de la Madier sud par une traversée aérienne pas simple mais vraiment pas impossible, qui s’est avérée assez majeure : un bon 6c, peut-être un peu plus – comme on a équipé du bas et sans perfo, laissez-nous le droit à l’erreur. À l’époque, on avait mis un relais au milieu d’une longueur de Coup de Bambou, que le regretté Jean-Michel Cambon a viré dès que possible parce que croiser des lignes historique­s, pourquoi pas, mais pas des voies Cambon ! La suite est vraiment majeure également puisque la voie part à l’intersecti­on de la Madier sud et de la Berthet pour tirer droit jusqu’au sommet ou presque, la fin se faisant une longueur (7a morpho) au-dessus de la confortabl­e vire d’où débute par exemple la fissure Madier. Entre ces deux étapes, quelques longueurs en dalle cannelée dans le 6b/c s’enchaînent avec, il faut le dire, un peu d’air entre les points, pour une raison simple : impossible de s’arrêter ! D’ailleurs, un peu plus à gauche, Christophe Moulin avait plus tôt équipé lui aussi du bas La Petite main, avec un court passage vraiment difficile (7b/7b+), et un équipement encore moins abondant après. Même problémati­que, même résultat.

Bref, tout ça, c’était il y a bien longtemps…

Alors quand Laurent Thevenot m’a appelé pour me demander l’autorisati­on de rééquiper cette voie, ça a été comme Mac Fly revenant en arrière dans Retour vers le futur : carrément ! Il l’avait répétée, bien appréciée, tout en trouvant l’équipement vieillissa­nt. Bien sûr ! Même les spits peuvent avoir les cheveux blancs ! C’était évidemment flatteur mais intéressan­t également en termes de discours éthiques, si passionnan­ts pour les alpinistes-grimpeurs… Remplace-t-on les points d’assurage pour sécuriser la voie ou améliore-t-on l’existant en mettant un point là où il manque ? En fait, il n’y a pas eu de discussion : la voie garderait son caractère mais serait « sécurisée » là où ça pouvait être dangereux. Ça nous paraissait un juste milieu, non pas acceptable, mais nécessaire : en face sud, on ne grimpe pas pour l’aventure mais pour le plaisir. Il y a l’alpinisme flamboyant de The Alpinist [sur le regretté soloiste canadien Marc-André Leclerc, ndlr], et ceux qui restent, parce qu’ils aiment la montagne mais pas au prix de leur vie. Chacun sa voie.

Personnell­ement, l’aiguille Dibona m’a tout donné. J’ai dû faire une vingtaine de voies sur ce frêle sommet, écrit le premier topo qui m’a permis d’être aujourd’hui journalist­e [Laurent Belluard est aujourd’hui directeur des rédactions chez Nivéales Médias, éditeur de Montagnes Magazine, ndlr], mais j’ai vu aussi une personne tomber à côté de moi (alors qu’on équipait justement «Physique et sans issue», et un jeune perdre la vie dans une voie que j’avais équipée avec Éric Allene en face est. Dans les cimetières de l’Oisans, les pierres tombales en granit reprennent souvent la silhouette de la Meije. Sous son aspect radieux, il ne faut pas oublier les drames vécus ici. La Dibona mène parfois au ciel, plus probableme­nt au septième. Rééquiper cette voie dans l’esprit de l’ouverture est la démonstrat­ion de ce que peut être le lien ou l’interactio­n entre la petite histoire de l’alpinisme et les grimpeurs du moment, une illustrati­on du respect aussi, et de la volonté d’améliorer l’ordinaire. Améliorer l’éphémère créé par deux jeunes qui, ce jour, se sont sentis pousser des ailes. Merci à toute l’équipe de nous avoir fait revivre nos 20 ans !

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