Montagnes

Le mot de THOMAS DULAC

gardien du refuge des Cortalets & équipeur de la face est

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Travaillan­t à 21 ans comme objecteur de conscience pour le Club alpin français de Perpignan, j’ai pu gravir en quelques années la majorité des voies répertorié­es dans le massif du Canigou, dont au passage l’arête du Quazemi qui scelle la naissance de l’escalade dans les Pyrénées-Orientales, le 5 juillet 1908.

C’est butant sur cette fin de chapitre que je me suis dit : « Si tu veux grimper dans du nouveau, il faut que tu ouvres. » Première voie : commencée du bas, engagée, exposée, sur coinceurs… Cotations assez élevées pour le niveau dans lequel je grimpais à l’époque. Mais un réel plaisir à ne pas savoir où je vais en dehors de ce que j’imaginai être une ligne depuis le bas, suivre la faiblesse de la roche, essayer de trouver une ligne aux cotations homogènes dans les longueurs qui s’enchaînent, éviter les passages trop exposés, savoir se situer dans son niveau en imaginant ce qui pourrait être au-dessus, et surtout orchestrer le tout pour que la mayonnaise prenne et que la consistanc­e de la voie transmette cette magie qui fait que l’on se demande si la roche n’a pas laissé parfois des itinéraire­s dans le but de faire corps et tête avec et d’y revenir. Quelques voies plus tard – je ne sais plus combien dans le Canigou –, je me retrouve à m’installer comme gardien de refuge aux Cortalets. Ici, la roche est moins belle, c’est un peu une déception, mais j’avais, après de longues années d’observatio­n, trouvé la ligne d’Em

mène-moiauboutd­umonde et ce n’était pas trop mal. C’est alors que je me suis remis à scruter aux jumelles, longtemps et souvent, depuis la terrasse du refuge. Entre le départ matinal des clients et l’arrivée de ceux du soir, je laisse le refuge à mon équipe, je pars plein de fougue et ouvre une première voie. Maintenant, j’ai le sourire en coin de me dire qu’il y a huit itinéraire­s qui rayent la face et que la roche pourrie et pleine d’herbe où les premiers grimpeurs se faufilaien­t à l’époque ne valait pas grand-chose en dehors du fait qu’il s’agissait du seul endroit où pouvaient se loger les pitons. Comme un pied de nez de l’histoire, l’avènement des chevilles forées et des plaquettes permet de passer dans des dalles propres et agréables à grimper… Elle est loin l’époque où je démarrais dans des voies pourries en 4 sur des pitons rouillés, sur des itinéraire­s engagés, car il n’existait que cela. Aujourd’hui, je permets à des débutants de grimper dans du 5 sur goujons de 12 en inox avec des chaînes au relais sur une face beurrée de soleil se terminant par une vire bien confortabl­e au relais inarrachab­le. Un jour, vieux papy, je serais heureux d’y traîner mes chaussons.

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Thomas Dulac dans RêvedePier­re.
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