LE MONT BLANC SOMMET DE TOUS LES ESPOIRS
Environ 20 000 personnes tentent chaque année le sommet du mont Blanc. Dans ce nombre impressionnant d’ascensions, certaines ont une saveur particulière. Un petit goût de sel. Celui de larmes de joie qui viennent de très, très loin.
En grand groupe soutenu par une vaste logistique sous l’objectif d’une caméra, ou en toute discrétion avec un petit fanion dans le dos, chaque année se glissent parmi les prétendants quelques ascensionnistes atypiques. Ils vont chercher là-haut, à 4 808 m, sur le toit de l’Europe occidentale, bien autre chose qu’un sommet célèbre. Pour eux, c’est l’existence ellemême qui n’a pas la même saveur. En proie à un combat contre la maladie ou le handicap, réfugiés en attente de recommencer leur vie, détenus purgeant leur peine au centre pénitentiaire, ou orphelins de sapeurs-pompiers, la vie ne leur a pas fait de cadeau. Comment se sont-ils retrouvés au sommet du mont Blanc, et pourquoi ?
Si tous les regards se tournent vers lui, c’est qu’il cumule les superlatifs. « C’est le plus connu, celui qui parle au plus grand nombre et qui incarne le symbole de la haute montagne », souligne Mathieu Besnard qui l’a choisi pour assurer de la visibilité à son ascension handisport, convaincu qu’un Grand Capucin ou des Drus ne parlent pas à tout le monde… Autre atout, sa relative facilité, comme explique Clélia Compas, qui a accompagné trois réfugiés au sommet avec son association Yambi : « En plus du symbolisme, le mont Blanc reste un sommet assez accessible, et c’est un projet abordable si on est bien entraîné et qu’on le fait sérieusement. »
Sur ce point précis, toutes ces expéditions ont en commun le sérieux de leur préparation. Quand c’est l’ascension d’une vie, on ne la prend pas à la légère. Tous se sont astreints à un programme de préparation physique et mental long et exigeant, avec une période d’acclimatation sérieuse
dans les jours précédents. Chez Yambi, la crainte était telle de sous-estimer l’ascension qu’elle a plutôt été surestimée, et l’entraînement avec ! Ce qui a valu cette remarque croustillante de l’un des réfugiés, Jomah-Khan, qui à l’approche du sommet déclara ingénument à Pierre-Idris, le guide en chef : « C’est un peu comme la Tournette, en fait ! »
PARALLÈLE AVEC LA VIE
Personne n’était dans le secret de leurs pensées quand ils marchaient dans les pas de leur guide, les yeux fixés sur la corde. Ni où les menait cette introspection exacerbée par l’effort, à l’approche du sommet. Sans doute à l’ascension, en parallèle, de leur « montagne intérieure »… Clélia raconte que lorsqu’elle a rencontré les trois réfugiés qui allaient devenir, quelques mois plus tard, les premiers à atteindre le sommet du mont Blanc, la difficulté de l’existence les avait conduits peu à peu dans une spirale dépressive. « Au début, se souvient-elle, Sikou ne voulait pas y aller, il était persuadé qu’il n’y arriverait pas. Deux mois après, il m’a annoncé : “J’ai bien réfléchi, je pense qu’il faut que je le fasse, sinon je vais mourir.” »
Et pour aller chercher, tout en haut, la saveur subtile de la vie, il faut passer par une série d’épreuves et de dangers qui ne sont pas sans rappeler ceux qui ont déjà jalonné leur parcours. « Le parallèle était très fort entre la difficulté de leur chemin pour obtenir des papiers et se reconstruire une nouvelle vie, et la difficulté de l’ascension, avec les mêmes incertitudes, attentes, difficultés et espoirs déçus… », confirme Clélia. Même sentiment chez Franck Hamoneau qui a accompagné les orphelins de l’OEuvre des Pupilles. « Le mont Blanc s’est imposé pour ce projet parce que c’est le toit de l’Europe, et que pour y aller, il faut se surpasser. Quand on s’accroche, que l’on n’abandonne pas, on y arrive », résume-t-il. Pour eux aussi, la symbolique était forte. « Cela leur a permis de se rendre compte que quand une montagne se dresse devant eux, ils peuvent trouver en eux le courage et les ressources pour la surmonter », relate Franck, également convaincu de l’analogie avec la vie et les épreuves à surmonter dans la perte d’un parent.
Cette comparaison, c’est aussi ce qui a frappé Christine Janin et l’a incitée à fonder l’association À chacun son Everest, qui propose depuis 30 ans des séjours en montagne à des enfants et des femmes atteints de cancer : « La cordée, les crevasses, tenir bon jusqu’au sommet, tout ce parallèle entre la maladie et une ascension s’est imposé à moi », se souvient-elle. Autre bienfait : l’ascension change aussi le regard que l’on porte sur vous, ce qui est capital pour des malades : « Gravir le mont Blanc alors qu’on a traversé une leucémie, ça force l’admiration », illustre Christine. Il serait erroné de réduire l’aventure à cet élixir de leçon de vie. Parce que le mont
Blanc, c’est peut-être avant tout un rêve. C’est d’ailleurs ce rêve qui appelle des milliers d’alpinistes sur ses flancs chaque année. Et tout le monde a le droit de rêver. Sauf que certains ne savent plus faire… « Ces gens ont tout perdu et subissent d’interminables procédures administratives. Ils ont déjà eu tant de déceptions qu’ils se contentent de rêver à des choses basiques