Montagnes

LES JORASSES & LA VERTE,

les prémices du bivouac au sommet

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Été 2018. Il me faut travailler comme guide et pratiquer comme amateur pour terminer la liste de courses à effectuer entre l’aspi et le final du guide. Ce rythme impose d’être en montagne tous les jours, de maintenir un rythme effréné. Je rejoins Nico Vogel à Chamonix un soir, exténué. Je reviens tout juste d’un bivouac à la Verte, gravie par l’arête du Jardin, et nous avons prévu deux jours de montagne ensemble, avec à la clé une autre belle arête pour compléter notre liste. La Tronchey des Jorasses nous attire, pour son côté sauvage, pour son ampleur et parce qu’elle rentre « dans les clous ». Nous actons une « grasse matinée de montagnard », compensée par la présence dans notre sac du matériel de bivouac. Vers 7h, sans hâte, nous attaquons l’approche depuis le paisible hameau de Tronchey dans le val Ferret italien. Les pâturages laissent rapidement place à des escarpemen­ts rocheux raides et moutonnés, qui développen­t le sens de l’itinéraire. Au bout de quelques heures, mais plus rapidement que nous le pensions, nous rejoignons le petit bivouac Jacchia, perché sur une épaule. Un lieu qui inspire l’apaisement, mais nous ne sommes cette fois-ci que de passage… C’est un petit déchiremen­t que de quitter ce lieu hospitalie­r pour la raide arête qui nous surplombe. L’inconnu et ses questions nous envahissen­t : où allons-nous pouvoir dormir dans cet univers vertical ? Trouverons-nous de la neige pour faire de l’eau ? Le parcours est complexe et il nous est difficile de faire la corrélatio­n du topo et du terrain. Nous grimpons au nez, le rocher est beau, la course d’ampleur. Il doit être aux environs de 19h lorsque nous débouchons, comme par surprise, sur la crête enneigée du sommet de la pointe Walker. Ce que nous devions faire en deux jours, nous l’avons gravi dans la journée. Nous nous sentions comme des imposteurs d’être déjà là, en ayant surmonté avec aisance les difficulté­s de cette grande course. La perspectiv­e de la descente de la voie normale ne nous attire guère. Et pourquoi ne pas enchaîner sur la traversée Rochefort-Jorasses, à l’envers ? Cela nous occupera la journée du lendemain, tout en nous offrant la tranquille perspectiv­e d’une descente en téléphériq­ue ! Après une telle journée, je rêve presque du confort du bivouac Canzio. Mais il est trop tard pour le rejoindre et nous faisons halte vers la pointe Marguerite, pour un bivouac à 4 000 m bien frisquet. Mais je me souviens bien davantage de ce coucher de soleil, aussi incroyable que celui vécu à la Verte l’avant-veille. Alors que nous étions dans un épais brouillard, froid et humide, la couche de neige a subitement baissé pour dégager la face nord des Grandes Jorasses chaleureus­ement illuminée. Cette fois-ci, nous sommes sur le faîte des Jorasses, et nous jouissons de « l’envers du coucher » sur les aiguilles de Chamonix et la Verte ! Demain, le lever de soleil sur le mont Blanc et en arrière-plan le ciel moutonné m’offrira quelques beaux clichés ! Ce bivouac-là m’est apparu comme la liberté absolue, celle de parcourir la montagne sans contrainte ni horaire en étant certain de vivre une belle expérience, au-delà même des sommets que nous foulions et des courses que nous parcourion­s.

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 ?? ?? Fin de coucher de soleil depuis le bivouac du sommet de la Verte (4 122 m).
Fin de coucher de soleil depuis le bivouac du sommet de la Verte (4 122 m).

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