LES DROITES & LA GRANDE ROCHEUSE :
partir de bonne heure pour rentrer à bon port
Fin mai 2020, nous sortons d’une épreuve universelle avec un certain appétit de liberté. Je propose à Antoine un projet sûrement un peu trop ambitieux vu l’inactivité des derniers mois : traverser les Droites d’ouest en est, et, si nous sommes assez rapides, poursuivre par les Courtes le lendemain après avoir bivouaqué quelque part sur l’arête. Nous arrivons dans un local d’hiver du Couvercle bondé, encore traumatisés par cette rengaine salutaire de la distanciation sociale. Les conditions en haute montagne sont (encore) excellentes, et nous permettent de rejoindre rapidement le Signal Vallot, qui marque le début de la traversée. Antoine subit de plein fouet les effets de l’altitude et notre progression est plus lente que ce que j’escomptais. Je me fais rapidement à l’idée que la traversée des Droites suffira amplement à notre séjour en altitude et nous commençons à nous mettre en quête d’un emplacement de bivouac confortable. Nous avons emporté la tente et aimerions bien pouvoir l’installer pour nous protéger du vent. Nous dépassons un bel emplacement au pied d’un grand gendarme caractéristique, mais décidons de rejoindre le sommet, avec la secrète idée de bivouaquer à 4 001 m d’altitude. Le souci du confort nous fera rebrousser chemin. J’ai rarement fait d’aussi belles photos lors d’un bivouac que ce lever de soleil au (quasi) sommet des Droites. La récompense de la nuit fraîche que nous venons de vivre est le regel parfait de la neige, qui nous permet une descente sûre dans les imposantes pentes sud du col des Droites. Je n’aurais vraiment pas eu envie de me retrouver là aux plus chaudes heures de la journée !
Mi-juin 2022, c’est le grand jour pour Thibault. En voisins, nous partageons souvent un petit café au bar du village, et le sujet de la Verte est devenu routinier autant que le rêve chez lui est ancré depuis l’enfance. D’emblée, je l’ai prévenu que si nous allions à la Verte, nous dormirions là-haut pour redescendre le couloir Whymper « à la fraîche », tout en profitant avec une certaine insouciance du temps qui passe durant l’ascension. Une ascension de l’arête du Jardin qui aurait donc pu se dérouler au ralenti, mais il n’en a rien été. Malgré des conditions que l’on aurait jugées dégradées dix ans auparavant et que l’on considère comme passables aujourd’hui, notre cordée progresse rapidement entre les bandes de glace du couloir d’accès et la neige détrempée des portions d’arête enneigée. Nous arrivons en milieu d’après-midi au sommet de la Grande Rocheuse, et je propose à Thibault de tenter le terrassement d’un endroit qui me semble prometteur pour poser la tente, deux mètres en contrebas du sommet, pas trop mal protégé des 60 km/h de vent d’ouest annoncé et censé se renforcer encore dans la nuit. Même si la météo s’était royalement trompée, je redoutais toujours un brusque changement qui me fasse regretter le choix de l’emplacement de bivouac. Ni véritable coucher de soleil ni lumineux lever de soleil cette fois-ci, mais un bel après-midi à profiter là-haut, sans pression de la descente remise au lendemain matin. Une descente pénible, entre neige non regelée, glace et gravier du couloir, si tant est que l’on puisse encore le qualifier de couloir…