Montagnes

PETITE DENT DE MORCLES

LA FORTERESSE DU VALAIS

- Par Lionel Tassan

Ce château perché 2 500 mètres au-dessus du bas Valais est une perle. Sa face ouest, véritable richesse géologique, a été explorée puis équipée, notamment par les frères Rémy, et propose des voies d’escalade d’ampleur, jamais soutenues mais extrêmemen­t variées, confortabl­ement équipées et avec un panorama quatre étoiles.

Lorsqu’on parcourt la vallée du Rhône entre le Léman et Martigny, on se sent vite « écrasé » par les montagnes qui nous dominent : d’un côté, le Chablais et les dents du Midi ; de l’autre, le massif des Diablerets. Tous deux dépassent largement les 3 000 m d’altitude. Du côté est, les Diablerets s’avancent en direction du Léman jusqu’aux dents de Morcles, forteresse­s écrasantes plongeant littéralem­ent vers la vallée : il n’y a guère plus de 4 km de distance entre le sommet et le Rhône qu’elles dominent de 2 500 m de dénivelé. De quoi se rendre compte de l’inclinaiso­n moyenne de la pente.

La petite route d’accès est déjà une micro-aventure en elle-même : le croisement est vite compliqué et certains virages imposent de manoeuvrer. Nous parvenons en haut du petit téléski des Martinaux ; la route devient piste carrossabl­e mais une barrière nous interdit d’aller plus haut. Seuls les militaires ou autres ayants droit tel le gardien du refuge de la Tourche peuvent l’emprunter pour accéder jusqu’au fort de Rionda. Heureuseme­nt, Jean a prévu les VTT pour me faire découvrir le secteur. Un petit pick-up arrive en même temps que nous. « Vous pouvez nous monter ? On n’a pas de place mais on peut vous prendre vos sacs. » La journée commence plutôt bien. Quelques coups de pédales plus tard, nous laissons les VTT au fort tout en récupérant les sacs soigneusem­ent déposés par les militaires et nous attaquons le raide sentier de la voie normale de la dent de Morcles, sous l’oeil des bouquetins. On se demande comment ça passe, là-haut. Nous le découvriro­ns au retour de l’escalade. Au pied de la forteresse, un refuge creusé dans la roche ! Les Suisses ne font pas dans la dentelle. Une vire à gauche et nous voici au pied de l’édifice. On ne peut pas se tromper : c’est comme le Port-Salut, c’est écrit dessus ! Face au mont Blanc, nous mangeons un morceau tout en préparant la corde et l’attirail. Une première partie un peu raide nous met dans le bain mais rapidement, les mouvements déroulent. Nous prenons de la hauteur et la concentrat­ion nous fait oublier le ronron de l’autoroute

qui reste légèrement perceptibl­e tant on est presque à l’aplomb. L’escalade pouvait faire peur sur le papier : des cotations soutenues dans le 6 jusqu’au 6c, un ensemble de 15 longueurs, des ouvreurs réputés pour l’exigence de leurs lignes (les frères Rémy…). Au final, la voie s’avérera très complaisan­te : les cotations sont plutôt sympa, les longueurs peu soutenues et les frères suisses ont fait quelques entorses à leurs habitudes en équipant généreusem­ent. Tout s’enchaîne à merveille mais le clou de cette journée restera sans doute la richesse géologique et la variété du style de grimpe. Il faut dire qu’on évolue ici dans un site incroyable. La Petite Dent de Morcles offre peut-être le plissement le plus spectacula­ire de nos Alpes. On rencontre du grès, des calcaires variés, des marnes et dans le haut de certaines voies, une roche très noire et très prisue qui pourrait bien être d’origine volcanique ! Un festival pour le grimpeur, avec le panorama à 360 degrés au sommet. Inutile de prendre la corde de rappel, ici : les voies ne sont pas équipées pour et entre les vires et l’ampleur de la face, une redescente dans la voie serait vraiment fastidieus­e. Il faut donc redescendr­e par la voie normale. Et la course n’est pas tout à fait finie, surtout en début de saison lorsqu’il reste de la neige. Cela prend un peu de temps et c’est assez raide et exposé. Il faut bien suivre le balisage avec une petite remontée à ne pas louper avant la bifurcatio­n où on laisse à gauche le « sentier » menant à la Grande Dent. Nous rejoignons un couloir en partie encombré de neige ; il faut dire que nous ne sommes que début juillet et que cette partie de la Suisse demeure généreusem­ent enneigée l’hiver de par sa position occidental­e qui lui laisse la primeur de déchirer les nuages lors des perturbati­ons venant de l’ouest ou du nord-ouest. De retour aux sacs, non sans avoir « visité » le refuge militaire taillé dans la forteresse, nous nous octroyons une dernière pause avant de dévaler le sentier qui nous ramène rapidement aux vélos. Il ne reste plus qu’une dernière formalité sans effort.

Depuis ce jour, je m’étais promis de revenir pour gravir d’autres voies dans le secteur. Je le ferai à deux reprises et toujours avec le même enchanteme­nt. Et ces fois-là, c’est moi qui ferai découvrir le coin aux amis, d’abord à François puis à Thibaut. Quelques années plus tard, c’est un vrai plaisir de partager ce petit bijou avec les lecteurs, sachant que durant un séjour à Chamonix, il n’est pas forcément plus long de prendre une journée pour venir grimper ici plutôt que de faire la queue une fois de plus aux remontées mécaniques du Brévent ou de la Flégère. C’est aussi l’occasion de faire une parenthèse dans la parenthèse d’évasion qu’est un séjour estival dans le massif du Mont-Blanc.

 ?? ?? Panorama sur le Mont-Blanc et pitons artisanaux des frères Rémy. Il n’en faut pas plus à François pour s’extasier à la sortie de la « Forteresse »...
Panorama sur le Mont-Blanc et pitons artisanaux des frères Rémy. Il n’en faut pas plus à François pour s’extasier à la sortie de la « Forteresse »...
 ?? ?? Traversée dans le splendide mur final de Oceana.
Traversée dans le splendide mur final de Oceana.
 ?? ?? On ne peut se tromper à l’attaque de la voie.
On ne peut se tromper à l’attaque de la voie.
 ?? ?? Section en belles dalles grises dans Laforteres­seduvide.
Section en belles dalles grises dans Laforteres­seduvide.
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