LES OLYMPIADES DE CHAMONIX
24 janvier-5 février 1924 : 16 nations, 16 épreuves dans 6 sports, 258 athlètes dont 11 femmes, entre 10 000 et 20 000 spectateurs selon les sources, pour ces premières Olympiades d’hiver dans une ville dénommée depuis peu (novembre 1921) Chamonix-Mont-Blanc. Des pays représentés, notons l’absence de l’Allemagne, pays vaincu et mis à l’index depuis sa défaite de 1918, exclu de la compétition parce que non-membre de la Société des Nations.
Une athlète de 11 ans
Temps radieux pour le défilé des nations, par ordre alphabétique, le jour de l'ouverture. Les athlètes d’Autriche défilent en tête de cortège, en rang par discipline : patineurs de vitesse, patineurs artistiques, fondeurs, skieurs militaires avec leurs officiers, hockeyeuses, joueurs de curling, bobeurs. Nation favorite, la Norvège avait placé devant sa délégation la plus jeune athlète de ces Olympiades, une enfant de 11 ans, Sonia Henie, félicitée et admirée un peu plus tard dans les démonstrations de patinage artistique malgré sa dernière place, future reine de la discipline, trois fois championne olympique, 10 fois championne du monde (un record toujours inégalé), future actrice et patineuse professionnelle aux États-Unis après les Jeux olympiques d’hiver de Garmisch-Partenkirchen. Les athlètes de Yougoslavie, pays récemment créé, comme la Société des Nations, au traité de Versailles, ferment la marche du cortège qui remonte lentement la rue Vallot jusqu’à la tribune d’honneur dressée près du stade de glace. De la tribune, Gaston Vidal, ancien capitaine de chasseurs alpins, député radical de l’Allier, grand ami d’Aristide Briand, sous-secrétaire d’État à l’enseignement technique, proclame solennellement l’ouverture de cette Semaine internationale des Sports d’hiver, selon une terminologie choisie depuis 1907 en France pour ce type de rencontre sportive. Les Olympiades de Chamonix, premiers Jeux olympiques d’hiver, ne furent baptisés ainsi qu’après coup en 1925, sur une décision du Comité international olympique en accord avec les pays scandinaves qui craignaient jusqu’alors une concurrence avec les Jeux du Nord qu’ils organisaient tous les quatre ans depuis 1901. Les porteurs de drapeaux entourent un homme, l’adjudant Camille Moudrillon, du 15-9 de Briançon, le fameux régiment des neiges. Solennel, d’une voix forte, il prononce le serment : les jeux commencent.
Le plus grand stade de glace du monde
Parmi les spectateurs, un certain Roger Frison-Roche, secrétaire avec Auguste Cachat du Comité des sports d’hiver de Chamonix. Pleinement engagé dans l’organisation de ces Jeux, Frison-Roche les raconta dans son discours du cinquantenaire (1974) et dans ses Mémoires (Le versant du soleil). Choisie par le Comité olympique pour les capacités de son hôtellerie, Chamonix avait promis de construire un tremplin de saut à ski qui permettrait des sauts de 60 m, une piste de bobsleigh et surtout une grande patinoire, plus de 20 000 m2 au moins, qui offrirait deux surfaces de hockey, deux autres surfaces pour les figures du patinage artistique, un anneau de vitesse de 400 m, et une patinoire adjacente pour le curling. La construction du tremplin olympique au Mont, hameau proche du glacier des Bossons, ne posa aucun problème. Coûteuse en maçonnerie, comprenant 19 virages très serrés, la piste de bobsleigh fut aménagée dans la forêt des Pèlerins.
Frison-Roche : « On utilisait pour la remontée des bobs le vieux téléphérique de l’aiguille du Midi avec station provisoire au double pylône de la cascade du Dard. » Rive droite de l’Arve, la patinoire de 5 000 m2 fut abandonnée. Rive gauche de l’Arve, aux Mouilles, on s’attaqua, fin mai 1923, à la construction de ce qui devint la plus grande patinoire et le plus grand stade de glace du monde. Avec ses 36 000 m2, Chamonix surpassait Davos, la station suisse de l’Engadine. Mais le chantier avait pris du retard. Il fallut instaurer à l’automne un travail 24 heures sur 24. Livrés en décembre avec un mois de retard, lors d'une période de gel intense où il fallait les arroser à la lance pendant la nuit, stade et patinoire étaient entretenus par une trentaine d’hommes.
Sous 1,70 m de neige
Fin décembre 1923, peu avant l’ouverture, il tomba 1,70 m de neige en une nuit dans la vallée de Chamonix ; du jamais vu de mémoire d’homme. Frison-Roche habitait alors le hameau des Praz : « Je me souviens comme si c’était hier de ce matin étonnant où nous nous réveillâmes ensevelis sous la neige, doutant de la réalité. »
Frison-Roche et son ami Cachat, tous deux à skis, mirent 2 heures en se relayant pour faire les 2,5 km de parcours entre les Praz et Chamonix où on se désolait devant cette masse de neige à déblayer. On recruta jusqu’à 600 ouvriers, civils et militaires, pour déneiger le stade où un puissant redoux, quelques jours plus tard, tassa et durcit la neige. Tout ce travail se fit à la pelle, à la pioche, et avec des luges à bras. Le beau temps glacial ne se rétablit qu’à la veille de l’ouverture.
Champions de Norvège
Les Jeux comportaient cinq épreuves de ski, toutes très attendues par les Norvégiens et les Finlandais : le grand fond (50 km, 820 m de dénivelé), le fond (18 km), le combiné nordique (saut et fond), le saut, la course militaire (30 km par équipe de quatre hommes). Thorleif Haug, champion norvégien, remporta la médaille d’or dans trois des cinq épreuves: fond, grand fond, combiné nordique. 12 concurrents sur 33 ne finirent pas cette course de grand fond, épreuve reine, marquée par un vent violent et de redoutables plaques de verglas. Temps du vainqueur : 3 h 44 min 32 s. Le meilleur Français, Pouteil-Noble, un Dauphinois de Villard-de-Lans, était loin derrière : 4 h 58 min 27 s. Les quatre premiers coureurs étaient tous Norvégiens. Le premier des Finlandais, pourtant favori, n’arriva qu’en septième position. La France gagna au total trois médailles de bronze, dont une à la course militaire en équipe sous la conduite de l’adjudant Moudrillon. Cette course comprenait une séance de tir sur cible à l’arrivée (18 balles).
Un prix olympique d'alpinisme
Le 5 février 1924, c’est le baron Pierre de Coubertin lui-même, le père des Jeux olympiques, qui
prononça le discours de clôture sous les grands dômes du mont Blanc. Le baron y célébra longuement les vertus de l’alpinisme. Depuis la création des Jeux (Athènes, 1896), très admiratif des exploits alpins, le baron souhaitait qu’on puisse intégrer l’alpinisme d’une manière ou d’une autre dans le cadre des Jeux. Faute de mieux, à l’occasion de ces Jeux d’hiver dans un haut lieu de l’alpinisme, on avait créé un Prix olympique d’alpinisme qui fut attribué à trois reprises entre les deux guerres. À Chamonix, en 1924, on le décerna aux 11 membres de l’expédition anglaise à l’Everest (expédition du général Charles Bruce, 1922), certains d’entre eux ayant largement dépassé avec ou sans oxygène l’altitude fatidique de 8 000 m. George Leigh Mallory, l’un des récompensés, disparut à l’Everest quelques mois plus tard. En 1932, on attribua le prix à deux jeunes alpinistes allemands, les frères Schmid, récents vainqueurs (1931) d’un des trois problèmes des Alpes, selon la formule de l’époque : la face nord du Cervin. En 1936, c’est à un couple d’alpinistes allemands réputés que le prix fut décerné : Gunther Oscar Dhyrenfurth et sa femme Hettie, qui s’exilèrent en Suisse l’année suivante à cause des lois raciales, avaient dirigé deux expéditions internationales en Himalaya. La première expédition (tentative au Kangchenjunga) avait gravi le plus haut sommet jamais atteint (Jonsong Peak, 7 462 m) à cette date (3 juin 1930).