MONTRE HEROES

Les bâtisseurs horlogers

Comme le secteur viticole un peu avant elle, l’horlogerie s’est entichée d’architectu­re autour des années 2000. Les marques ont appelé les plus prestigieu­x bâtisseurs pour réinventer leurs manufactur­es. Revue de détails.

- Texte Nicolas Dembrevill­e

ARCHITECTU­RE

Pendant longtemps, en matière de manufactur­e horlogère, l’aspect pratique primait sur le glamour. Les bâtiments devaient être vastes, lumineux et fonctionne­ls. Bref, les plus efficaces possible. Et puis, la “vague archi” a déferlé sur le secteur. Après les années 2000, le paradigme change. Les marques veulent des édifices beaux et spectacula­ires. Elles font appel à la crème des architecte­s pour la réalisatio­n de leurs nouveaux ateliers, musées ou extensions. Le secteur viticole a connu un phénomène assez similaire. Au cours des années 2000, les vignerons veulent tous des chais éblouissan­ts. Ils appellent Christian de Portzampar­c, Renzo Piano ou encore Jean-michel Wilmotte, à la rescousse. En matière d’architectu­re prestigieu­se, le groupe Richemont fait figure de précurseur. À partir de 1990, Alain-dominique Perrin, PDG de Cartier (qui appartient à Richemont), entame une étroite collaborat­ion avec Jean Nouvel. Il souhaite que le bâti de sa marque serve aussi à “être vu”. Le fameux architecte au chapeau noir, Prix Pritzker 2008 (le “prix Nobel” des architecte­s), signe en 1992 la constructi­on de la première manufactur­e horlogère de la marque de luxe. « Nous avions pour mission d’imaginer un vaste espace de production modulable », se souvient le célèbre architecte. Sur la façade de verre du bâtiment de Villeret en Suisse, Cartier s’écrit en lettres démesurées. Difficile de passer à côté… En 1994, la collab avec l’homme en noir se poursuit. Cartier lui confie la réalisatio­n de sa Fondation pour l’art contempora­in à Paris. D’autres constructi­ons vont suivre pour le groupe Richemont. À chaque fois, ces édifices marquent les esprits par leur élégance et leur modernité. Les autres maisons horlogères suivent le mouvement. En 2004, Vacheron Constantin souhaite s’appuyer sur une nouvelle manufactur­e. La marque de tradition opte pour un projet au design très audacieux. C’est Bernard Tschumi, architecte franco-suisse, connu notamment pour les “folies rouges” du parc de La Villette, qui est à la manoeuvre. Il crée à Plan-les-ouates, près de Genève, un bâtiment “oeuvre d’art” qui a pour mission de réunir l’ensemble des activités jusque-là dispersées. L’originalit­é

esthétique du projet vient de son toit plissé, façon vague de métal. « Je l’ai conçu comme une double peau, fonctionna­nt à la manière d’une veste et sa doublure, décrit l’architecte. La membrane extérieure en acier perforée protège et laisse passer la lumière. L’enveloppe intérieure en bois procure chaleur et silence ». Vacheron Constantin est visiblemen­t satisfait du travail réalisé. En 2015, c’est à nouveau Bernard Tschumi qui signe une tout aussi spectacula­ire extension à cette manufactur­e. Les horlogers demandent souvent aux architecte­s de relier le passé au présent. La jeune marque Greubel & Forsey, spécialist­e des grandes complicati­ons, s’installe aux Éplatures (non loin de La Chaux-de-fonds), en 2009. Sur le site, on trouve une majestueus­e ferme classée du XVIIE siècle. Le studio des pièces uniques s’y installe. Pierre Studer est appelé pour ajouter une extension moderne à cet émouvant édifice. L’architecte suisse imagine un stupéfiant agrandisse­ment aux lignes futuristes, comme brutalemen­t sorti de terre. Un tunnel souterrain, sorte de trait d’union entre patrimoine et avant-garde, connecte les deux constructi­ons. L’édifice contempora­in à toit végétalisé abrite le grand atelier de fabricatio­n. « Ce qui change aujourd’hui, c’est que les horlogers reçoivent au sein même de leur manufactur­e », résume celui dont l’agence est installée à La Chaux-de-fonds. Au Brassus cette fois, c’est le nouveau bâtiment du musée Audemars Piguet qui relie histoire et période contempora­ine. Inauguré en 2020, il est l’oeuvre du danois Bjarke Ingels (BIG). Il réunit l’atelier des origines dans lequel les fondateurs s’installent en 1875 à la nouvelle galerie muséale en verre. Cette élégante structure en forme de spirale reçoit un toit végétalisé. Elle s’intègre subtilemen­t au paysage. « L’architectu­re comme l’horlogerie est l’art d’animer la matière avec intelligen­ce, mouvement et mesure », rappelle

Aujourd’hui, les marques de luxe soignent leurs ateliers qui constituen­t des composants de leur image de marque globale.

l’architecte scandinave. Le public qui visite le musée qu’il a imaginé conserve la vue sur les ateliers où les horlogers créent en direct les montres de la marque. De quoi susciter les vocations ! On pouvait s’en douter, le courant écolo-durable qui recouvre tout sur son passage a frappé à la porte des maisons horlogères. Les nouveaux bâtiments du secteur, en plus d’être beaux et efficaces, sont sommés de respecter l’environnem­ent. C’est le cas à la manufactur­e IWC, à Schaffhous­e, non loin de Zurich. La maison, spécialist­e des montres de pilote, partait avec un avantage certain. Christoph Grainger-herr, son PDG, est en effet architecte de formation. Quelle chance ! « Je me suis investi personnell­ement dans l’édificatio­n du nouveau bâtiment inauguré en 2018, déclare le responsabl­e. Son style épuré s’inspire des pavillons moderniste­s des exposition­s universell­es. Ses lignes claires évoquent davantage un élégant studio d’artiste qu’une imposante usine ». Mais, comme si cela ne suffisait pas, l’édifice vise aussi l’exemplarit­é écologique. « Nous employons 100 % d’énergie renouvelab­le. Nous disposons d’une centrale photovolta­ïque installée sur le toit. Le chauffage est assuré par des pompes à chaleur, se félicite le président. Enfin, la collecte de l’eau de pluie permet d’économiser 255 000 litres par an » . Pour leur nouveau siège de Bienne, en Suisse, les petites montres Swatch choisissen­t, en 2019, Shigeru Ban. Sur place, l’architecte japonais, Prix

Pritzker 2014, signe un fabuleux bâtiment de 240 m de long, sinueux et arrondi comme un boa. Il s’agit de l’une des plus vastes structures en lamellé au monde. « J’ai tout de suite choisi le bois, principale­ment de l’épicéa suisse, entièremen­t renouvelab­le, déclare l’architecte. Bienne n’est pas, en effet, seulement une capitale horlogère, c’est aussi un épicentre de la constructi­on de pointe en bois ». Ce matériau a aussi été choisi pour ses propriétés écologique­s et durables. « Ce matériau naturel limite significat­ivement l’empreinte carbone du bâtiment. Les émissions en CO2 du bois représente­nt, en effet, la moitié de celles du béton et un tiers de celles de l’acier. Il est en outre capable de stocker le carbone », se réjouit le bâtisseur japonais. Aujourd’hui, les ateliers sont devenus des éléments essentiels des enseignes de luxe dans leur volonté de construire une image cohérente et globale en matière de design. « Nous intégrons les manufactur­es à notre politique de communicat­ion », confirme Christoph GraingerHe­rr, président D’IWC. Les bâtiments de fabricatio­n doivent être le reflet de la personnali­té de la marque. L’architecte japonais Shigeru Ban l’a bien compris. « Pour Swatch, j’ai créé un bâtiment à l’esprit proche de cette enseigne iconoclast­e. Résultat, le design provocateu­r de cet édifice suscite bien des réactions ». Le cahier des charges est rempli. Mission accomplie !

Après les années 2000, la “vague archi” déferle sur l’horlogerie. Les manufactur­es veulent des édifices beaux et spectacula­ires.

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Le style épuré de la manufactur­e IWC, inaugurée en 2018 à Schaffhous­e, s’inspire des pavillons moderniste­s des grandes exposition­s universell­es.
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Pour Swatch, Shigeru Ban a signé un fabuleux bâtiment de 240 m de long qui utilise principale­ment de l’épicéa suisse.
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Le site de Greubel et Forsey comprend notamment une majestueus­e ferme du XVIIE siècle. Le studio des pièces uniques y est installé.
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En 2015, c’est à nouveau Brenard Tschumi qui signe, dans un style similaire, l’extension de la manufactur­e.
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Pour Vacheron Constantin, l’architecte franco-suisse Bernard Tschumi réalise un bâtiment très spectacula­ire au toit plissé.

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