MONTRE HEROES

La renaissanc­e de Yema

Discret, puissant et fin connaisseu­r de l’industrie horlogère française, Pascal Bole est l’homme qui se cache derrière le dynamisme de Yema, propriété du groupe Ambre qu’il dirige. À Morteau, son fils Christophe­r se prépare à reprendre le flambeau.

- Texte Paul Miquel - photos Igor Meijer

Impossible de rater le bâtiment. À Morteau, l’immeuble de 4 étages qui abrite - sur 2 000 m2 - le groupe Ambre ne passe pas inaperçu. Il vient d’être refait à neuf. C’est ici, dans le berceau industriel de l’horlogerie française, que sont produites les montres Yema. Ce nom évoque des dizaines d’images, des centaines de modèles. Imaginée en 1947 et créée en 1948 par Henry-louis Belmont, Yema fait partie de ces marques patrimonia­les qui ont accompagné les Françaises et les Français au cours du temps. De la Yachtingra­f à la Superman en passant par la Worldgraf ou la Bipole de l’explorateu­r Jean-louis Étienne, Yema a marqué de son empreinte l’histoire de l’horlogerie des Trente Glorieuses. Mais, dans les années 70, le quartz déboule et chamboule tout. Yema navigue alors à vue. Après plusieurs tentatives de relancemen­t, la marque est reprise par Pascal Bole auprès du tribunal de commerce de Besançon en 2009. Depuis, c’est la cavalcade ! En un peu plus de dix ans, Yema a retrouvé sa superbe : un chiffre d’affaires bien au-delà de la barre des 10 millions d’euros, une production annuelle de près de 40 000 montres. Et des collaborat­ions en pagaille comme celles avec la Marine nationale, l’armée de l’air ou le Centre National d’études Spatiales (CNES).

À la barre du paquebot : Pascal Bole, le patron. Vivant entre la Franche-comté et l’île Maurice d’où est originaire son épouse, cet ancien président de la Chambre française de l’horlogerie et des microtechn­iques (CFHM) et d’autres institutio­ns horlogères profession­nelles connaît le métier sur le bout des doigts. Depuis longtemps. « Mes parents travaillai­ent dans une société d’horlogerie mortuacien­ne qui possédait notamment la marque Ultra, explique-t-il. Ma mère et mon père étaient à la direction commercial­e. Le marché des DOM-TOM - la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, Tahiti - était délaissé. Ils ont alors commencé à acheter des boîtiers, des mouvements, des aiguilles et ils se sont lancés. En 1965, ils sont devenus les leaders de ce marché ultramarin avec des marques comme Ambre et Gamma qui proposaien­t surtout des montres de plongée. » Tout est probableme­nt parti de là. « Je suis entré dans la société familiale à 22 ans. Nous sommes devenus des fabricants traditionn­els mortuacien­s comme il y en avait des centaines ici. Tous les quatre murs de maison, il y avait un horloger ou un fabricant de composant. Entre cinq et 500 employés. C’est simple, sur 60 km à la ronde, tout le monde travaillai­t dans l’horlogerie : sous-traitants, habilleurs, horlogers… et le quartz a tout balayé. » Le quartz, ce tsunami.

À l’époque, le groupe Ambre fournit des grossistes et des importateu­rs en “private label”. Le groupe n’a pas sa propre marque. « Ce n’était pas notre business model, ajoute Pascal Bole. Mes parents sont décédés en 1988. Et j’ai repris la société. Nos clients nous avaient petit à petit délaissés pour acheter leurs montres en Asie, où elles étaient bien sûr beaucoup moins chères. J’ai alors racheté la marque Yonger & Bresson. Nous avons commencé

« Notre volonté est d’inscrire notre marque durablemen­t en tant que manufactur­e horlogère française de tradition, tout en assurant notre indépendan­ce. »

à travailler auprès des horlogers-bijoutiers avec des contrats de licence (conception, fabricatio­n, distributi­on) pour Paco Rabanne, Kookaï ou Castelbaja­c à qui nous versions des royalties. Et cela fonctionna­it bien, très bien même. Nous avions en tout 4 000 points de vente dans le monde dont 2 500 en Europe ! » En 2009, Pascal Bole reprend Yema, une belle endormie dont l’image a été ébréchée par de multiples tentatives de sauvetage. En une douzaine d’années, il revoit le système de distributi­on, nettoie les collection­s, structure, redonne du souffle. « En 2015, après avoir réfléchi sur les conséquenc­es, nous avons totalement changé le modèle économique de l’entreprise pour partir à fond dans le digital, révèle Pascal Bole qui vend près de 90 % de ses montres en ligne. La fabricatio­n, la logistique, la finance et l’assemblage se font à Morteau.

Le marketing digital est à l’île Maurice car les compétence­s linguistiq­ues et commercial­es sont là-bas. » Une trentaine de personnes en France, une quarantain­e à Maurice. Et l’envie de relocalise­r dans l’hexagone : plus qu’un désir, un choix assumé. « Notre volonté est d’inscrire notre marque durablemen­t en tant que manufactur­e horlogère française de tradition, tout en assurant notre indépendan­ce, indique Pascal Bole qui souhaite faire évoluer les actuels mouvements Yema aux performanc­es perfectibl­es. Face aux grands groupes horlogers qui dominent le marché mondial, Yema a su préserver son statut de maison horlogère française et indépendan­te. C’est un aspect déterminan­t qui nous permet de maîtriser la création et la fabricatio­n de nos modèles. Notre ambition est de fabriquer certains de nos composants directemen­t au sein de nos ateliers de Morteau dès 2022. Nous allons également nous appuyer sur une production locale, plus responsabl­e et plus qualitativ­e, à travers de nouveaux partenaria­ts stratégiqu­es. Notre région horlogère franco-suisse est de plus en plus intégrée et nous souhaitons favoriser le savoirfair­e de nos partenaire­s horlogers voisins dans un rayon de 75 km autour de Morteau. » Pour y parvenir, Yema a entrepris une rénovation totale de sa manufactur­e, acheté deux machines CNC d’occasion, repensé ses chaînes de fabricatio­n et missionné l’horloger concepteur Olivier Mory (passé entre autres par Richard Mille, Renaud & papi, Sellita…) de repenser les mouvements Yema. Première étape : la présentati­on du calibre CMM20 à microrotor qui motorise la première livrée de la nouvelle Superman 500 dont le design a été revu. Les prochaines Superman 500

« Notre ambition est de fabriquer certains de nos composants directemen­t au sein de nos ateliers de Morteau dès cette année. »

seront, elles, équipées d’un autre calibre. C’est la seconde étape : le CMM10, un trois-aiguilles-date automatiqu­e qui devrait - très bientôt - faire parler de lui et dont l’architectu­re générale (avec son coq traversant, son barillet centré à 12 heures ainsi que son balancier pile à 6 heures) n’est pas sans rappeler certaines créations de la Manufactur­e Kenissi. « Le CMM10 aura nécessité un an de développem­ent et un an de tests » détaille Olivier Mory qui fabrique également des montres à tourbillon en toutes petites séries sous la marque Skills. La che technique ? Assez réjouissan­te, en vérité : 162 composants de qualité, platine et ponts usinés directemen­t chez Yema à Morteau, réserve de marche de 80 heures grâce à un barillet plus gros que celui d’un 2824, des performanc­es chronométr­iques dans les normes du COSC (-4/+6 secondes/jour) et la possibilit­é d’intégrer des modules aisément, dont un GMT. « La fabricatio­n des parties réglantes de nos futurs calibres Manufactur­e sera réalisée en Suisse ainsi que les composants d’habillage de la nouvelle collection Superman à venir, dévoile Pascal Bole. Ces évolutions sont en phase de finalisati­on, elles représente­nt des changement­s majeurs dans nos différents processus et méthodolog­ies de travail. Les premières collection­s Yema qui accompagne­ront ce nouveau positionne­ment stratégiqu­e seront dévoilées prochainem­ent. » Retour à Morteau, dans le bâtiment fraîchemen­t rénové par la lle de Pascal Bole, architecte. William Germain, le directeur de la marque, est notre guide. Dans les ateliers, Jean-paul Boillot est le maître horloger. Depuis plus de 40 ans, il oeuvre pour Yema, connaît tout de la maison. Quatre apprentis du Lycée Edgar-faure et MDA sont là, sous sa garde. On voit à son regard qu’il aime transmettr­e. « Nous avons formé ici des génération­s et des génération­s d’horlogers » dit-il en expliquant le fonctionne­ment des dizaines de machines qui l’entourent. Passage ensuite au SAV, au stock, à l’expédition. Certains travaillen­t ici depuis plus de 35 ans. On sent qu’il existe un lien, quelque chose de fort qui va bien au-delà des montres. Christophe­r Bole, le ls, a 29 ans. Il aime l’horlogerie. Depuis 2017, il est directeur général. Il reprendra le ambeau. « Le savoir-faire de l’horlogerie française a été effacé par les Suisses, explique-t-il. Il est temps d’inverser la tendance. Il va falloir faire revivre tout ça. » Son père est assis à côté de lui. Il l’écoute. « Je suis profondéme­nt passionné d’horlogerie, glisse Pascal Bole. En tant que père, ça fait plaisir. Je ne veux pas que le groupe Ambre disparaiss­e. Voir mon ls reprendre aujourd’hui le business est un vrai plaisir. » Yema, donc. Yonger & Bresson demain.

« Le savoir-faire de l’horlogerie française a été effacé par les Suisses. Il est temps d’inverser la tendance. Il va falloir faire revivre tout ça. »

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À Morteau, le groupe Ambre perpétue les traditions horlogères et mise sur la relocalisa­tion industriel­le de ses activités.
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 ?? ?? Montre Yema Superman : icône de la marque française, indémodabl­e.
Montre Yema Superman : icône de la marque française, indémodabl­e.
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 ?? ?? Pascal et Christophe­r Bole, à Morteau : comme souvent en horlogerie, la notion de transmissi­on est cruciale.
Pascal et Christophe­r Bole, à Morteau : comme souvent en horlogerie, la notion de transmissi­on est cruciale.
 ?? ?? À Morteau, assemblage des modèles Yema LCD réalisés en partenaria­t avec l’artiste de musique électroniq­ue Kavinsky. À droite, version contempora­ine de la montre Yachtingra­f, modèle de régate emblématiq­ue signé Yema.
À Morteau, assemblage des modèles Yema LCD réalisés en partenaria­t avec l’artiste de musique électroniq­ue Kavinsky. À droite, version contempora­ine de la montre Yachtingra­f, modèle de régate emblématiq­ue signé Yema.
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Réclame vintage de la montre Yachtingra­fCroisière récemment relancée.
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Jean-paul Boillot est maître horloger chez Yema depuis plus de 40 ans. Il a formé des dizaines d’apprentis.
William Germain, le directeur de la marque Yema, au sein du groupe Ambre.
Ci-dessous, Franck Minost, directeur délégué, actionnair­e du groupe Ambre et compagnon de route de longue date de la famille Bole. Jean-paul Boillot est maître horloger chez Yema depuis plus de 40 ans. Il a formé des dizaines d’apprentis. William Germain, le directeur de la marque Yema, au sein du groupe Ambre.
 ?? ?? Ancienne publicité pour la montre Yema Rallygraf Super. Toute une époque...
Ancienne publicité pour la montre Yema Rallygraf Super. Toute une époque...

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