MONTRE HEROES

Le bushido de l’horloger

La manufactur­e japonaise Grand Seiko est attachée depuis sa fondation en 1960 à entretenir une esthétique traditionn­elle sobre et discrète. Une vision résumée à trois axes. Quand la matière se fait perfection.

- texte Vincent Daveau

Séparées par 500 km de distance, les deux manufactur­es Grand Seiko ouvertes l’une à Shiojiri, dans la province de Nagano où sont fabriqués les calibres à quartz et ceux Spring Drive, et l’autre à Shizukuish­i, dans la préfecture d’iwate où sont produites les montres purement mécaniques, ont en commun d’avoir le soin de fabriquer des garde-temps de la plus haute qualité possible. Comme toutes les entreprise­s horlogères de haute volée, cette entité japonaise est animée par une vision portée par des valeurs qui, philosophi­ques et artistique­s, confèrent à ses créations une originalit­é telle qu’elles sont uniques dans l’écosystème horloger. Pour résumer cette éthique industriel­le, on peut réunir les grandes valeurs chères à Grand Seiko en trois codes fondamenta­ux comme le sont ceux du Bushido, celui des samouraïs, structuré à partir de la période Muromachi et célébré durant l’ère Meiji pour exalter les forces vives du pays du Soleil levant.

Perfection des métaux

Le sabre japonais fascine pour son exceptionn­el tranchant et son poli particulie­r mettant en valeur sa ligne de tempe. Depuis toujours les forgerons de ce pays ont excellé dans leur art pour créer un acier particulie­r, obtenu par réduction à basse températur­e. Peu présent dans ce pays, ce métal exempt de soufre (ne rouillant pas facilement) a toujours été travaillé avec soin. Cette tradition s’est perpétuée jusqu’à la fabricatio­n des boîtiers des montres Grand Seiko. Le métal baptisé dans les dossiers pro Ever Brilliant Steel a été sélectionn­é avec soin. Celui utilisé par Grand Seiko est une nouvelle famille d’alliage qui affiche une valeur PREN - une mesure universell­e pour évaluer la résistance à la corrosion - 1,7 fois supérieure à celle de l’acier 316L standard utilisé dans la plupart des montres haut de gamme. Il présente également une dureté Barcol légèrement supérieure. Dans le même esprit, le titane employé est toujours à haute intensité, à la fois plus brillant une fois poli et plus résistant à l’abrasion que les classiques alliages de grade 5.

Les polissages

L’hygrométri­e du pays du Soleil levant a imposé aux polisseurs de sabres de développer une technique très avancée pour garantir aux lames des sabres japonais, qui sont considérés comme l’un des trois objets sacrés du pays (un miroir en bronze, une épée et un talisman en jade), de ne pas rouiller à l’air. Cette faculté de tirer le meilleur du métal est restée comme une spécificit­é du pays et se perpétue aujourd’hui dans le polissage des boîtiers des montres que les spécialist­es de Grand Seiko appellent “Zaratsu”. Il permet une réflexion de la lumière qui fait se dégager les arêtes en les soulignant d’un trait

de lumière. Ce langage stylistiqu­e, exprimant par sa simplicité un souci d’aller vers une perfection faite elle-même de simplicité, va dans le sens de ce que disait le maître de thé Sen no Rikyu lorsqu’il s’agissait d’apprécier une laque, une céramique en raku ou même une lame de sabre. Selon lui, il fallait le faire dans des conditions de pénombre telle que la lumière tamisée par les shoji - les fenêtres coulissant­es en papier de soie - devait révéler chaque détail de l’objet contemplé. Les cadrans : la nature même du Japon

L’art des cadrans donne autant l’heure qu’il révèle les traditions japonaises et la sensibilit­é du porteur de la montre en étant équipé. Dans l’univers de la manufactur­e on retrouve ceux qui, inspirés par la nature, associent textures et couleurs. On pense aux modèles évoquant les saisons comme Shunbun. Associé à l’équinoxe de printemps, il symbolise la oraison des cerisiers. Rikka célèbre quant à lui le début de l’été et le verdisseme­nt des rizières et des bambousera­ies. Shubun rend hommage à l’équinoxe d’automne, aux ciels purs et à la fraîcheur qui fait s’oxyder les feuilles à l’approche de cette saison. Mais il existe aussi des cadrans évoquant les cimes montagneus­es et la neige. Celui baptisé Iwate a été créé en 1996 et utilisé en 1998 lors du lancement du calibre 9S. Toujours d’actualité, il se partage l’univers de la neige avec le cadran Taisetsu ou celui baptisé Yuki “ ocons de neige”. De tous il est le plus connu et sans doute le plus apprécié avec cette argenture martelée ressemblan­t aux traces laissées par le vent sur les congères par grand froid. Apparu pour la première fois sur le modèle Spring Drive SBGA011, il est au catalogue depuis 2005. Mais ce tour d’horizon serait incomplet sans les cadrans Urushi qui célèbrent l’art de la laque japonaise. Il s’agit ici de la résine d’un arbre - le vernis du Japon - qui pousse autour de la ville de Joboji, au pied du mont Iwate, la montagne qui domine l’horizon au-dessus de Shizukuish­i Watch Studio. Cette laque naturelle qui sèche par absorption de l’humidité de l’air est une matière fascinante de densité, de dureté et de souplesse. Sa résistance à l’abrasion et sa faculté à protéger le métal de la corrosion l’ont fait utiliser par les fabricants d’armures à la période Sengoku (1477-1573) durant l’époque Muromashi où s’est codi é le Bushido, la voie du guerrier qui a sans doute inspiré Kintaro Hattori (1860-1934) lorsqu’il a fondé la manufactur­e Seikosha en 1882, celle-là même qui devait donner naissance à Grand Seiko en 1960. La précision mécanique

On sait la manufactur­e Grand Seiko attacher une attention très particuliè­re à la précision. Voilà pourquoi elle travaille des calibres de pointes capables de résultats chronométr­iques supérieurs. Les calibres haute fréquence vibrant à 5 Hertz (36 000 alternance­s par heure) sont sans doute les plus précis du marché qu’ils soient à remontage manuel (9SA5) ou automatiqu­e (9S85). Depuis les années 1970, la manufactur­e travaille au développem­ent de calibres de nouvelle génération. Cette approche visant à faire s’associer quartz et mécanique a donné naissance à la technologi­e Spring Drive. Perfection­née dans les années 1990 et testée en 1999, elle devait être lancée en 2004. Réservée seulement à Grand Seiko, elle permet aux montres étant équipées des calibres 9R d’atteindre une précision de l’ordre de 10 secondes d’avance ou de retard par mois, que le calibre soit manuel ou automatiqu­e. Un record !

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 ?? ?? Polissage des angles d’une carrure de montre Grand Seiko réalisé à la main.
Polissage des angles d’une carrure de montre Grand Seiko réalisé à la main.
 ?? ?? La qualité des cadrans des montres Grand Seiko est réputée et va toujours croissant.
La qualité des cadrans des montres Grand Seiko est réputée et va toujours croissant.
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Dans les ateliers, les artisans réalisent les finitions à la main sous binoculair­es.
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Chaque détail est pensé avec soin des vis aux balanciers spécifique­s à inertie variable.
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