Moteur Boat Magazine

De la terre à la mer

Les bateaux amphibies ne sont pas nouveaux, mais celui-ci présente la particular­ité d’être le seul homologué pour rouler sur route. Une première qui valait bien un essai, sur le bitume comme sur l’eau.

- TEXTE: FRANÇOIS PARIS. PHOTOS: P IER RICK CON TIN.

Maman, l es petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes ? La réponse à la célèbre comptine devra désormais être revue et corrigée ! Car oui, les bateaux possèdent bien des j ambes – et même des roues ! – et ce Tringa est en la meilleure illustrati­on. Ce dernier est sorti de l’imaginatio­n de Guirec Daniel en 2011, lorsque cet ingénieur passé par les Arts et Métiers était à la recherche d’un bateau pour son usage personnel. Ce Costarmori­cain d’origine s’étonnait de ne pouvoir trouver de place de port dans le village qui l’a vu grandir, à quelques encablures de Perros-Guirec. « On me proposait soit des places visiteurs qu’il fallait quitter à la belle saison, soit des places appartenan­t au concession­naire et qu’il aurait fallu rendre à brève échéance. Quant à mettre mon bateau sur remorque, il n’en était pas question, car cela comporte des mises à l’eau fastidieus­es avec des cales bien occupées l’été. C’était une aberration pour moi, précise-t-il. Habitant à proximité du rivage, je me suis mis en quête d’un bateau capable de rouler sur la route tout en étant doté de bonnes qualités marines. Il fallait m’y résoudre : ce

bateau n’existait pas ! J’ai donc décidé de le fabriquer moi-même. » Voilà comment est né le Tringa. Mais d’où vient ce nom ? Les ornitholog­ues sauront répondre, il s’agit du nom latin du chevalier gambette, un oiseau de la famille des limicoles, très familier des rivages de Bretagne. L’ornitholog­ie étant également une des passions de Guirec Daniel, cette appellatio­n allait de soi, « car le bateau avec ses jambes repliables imite ces oiseaux marins parfaiteme­nt à l’aise au bord de l’eau ». Ce concept est pour le moins original et assez unique, car les unités capables de rouler en toute légalité sur route étaient inexistant­es. Les Iguana (dotés de chenilles) et autres Sealegs (avec ses trois roues non carénées) peuvent rejoindre l’eau, mais en partant d’ un domicile proche de la mer ou de la cale de mise à l’eau. Quant au Wetton 56, lui aussi capable de rejoindre de façon autonome la mer depuis une cale de mise à l’eau, il peut rouler sur la route, mais à la manière d’une remorque, c’est-à-dire en étant tracté.

Quitter son jardin et se mettre à l’eau !

Avec ce Tringa, il est concrèteme­nt possible de quitter son domicile, d’aller par exemple à la station d’essence faire le plein ou chez son concession­naire, et de rejoindre enfin sa plage favorite. Le tout sans avoir à se mouiller les pieds! Précisons que le Tringa peut rouler 10 kilomètres maximum entre son point de départ (appelé point de remisage) et la plage ou la cale. Il est bien sûr capable de rouler davantage, mais le législateu­r impose une distance de 10 kilomètres. Le Tringa dispose donc de tous les attributs obligatoir­es pour devenir routier, feux, clignotant­s, rétroviseu­rs, pare-brise, etc., sans oublier les ceintures de sécurité. Côté vitesse maximum, il atteint 16 km/h, ce qui représente une distance parcourue d’un kilomètre en quatre minutes. Le législateu­r autorisait sur route une vitesse minimum de 10 km/h et une vitesse de pointe de 25 km/h. « Nous avons coupé la poire en deux, en choisissan­t 16 km/h », précise Guirec Daniel. De prime abord, cette vitesse pourrait sembler faible, mais il ne faut pas perdre de vue qu’avec ce bateau les propriétai­res n’auront aucune contrainte de port, d’annexe ou de mouillage. In fine, ils gagneront du temps.

Pour l’heure, rendez-vous est pris au domicile de l’inventeur, dont la maison est située à quelques kilomètres de la plage de Trestraou, en plein coeur de la côte de Granit rose. Un galop d’essai sur route précède notre mise à l’eau, ce qui nous permet de tester le comporteme­nt du bateau sur le bitume. Ceintures de sécurité bouclées, nous mettons le moteur routier en marche. Il s’agit d’un quatre temps de 27 chevaux qui se loge sous la console, donc dans les fonds. La conduite du Tringa n’a rien de déroutant. Il faut seulement prendre en compte que l’unique pédale fait à la fois office d’accélérate­ur et de frein. Pour ralentir ou s’arrêter, il suffit de la relâcher en douceur, sous peine d’un arrêt un peu trop brutal. Il n’y a qu’aux stops qu’un équipier sera le bienvenu, car ce dernier pourra se placer à l’étrave et prévenir le pilote si la voie est libre.

Des suspension­s pour amortir

De la console, la visibilité n’est en effet pas suffisante pour estimer si d’autres automobile­s arrivent d’un côté ou de l’autre, à moins de s’avancer sur la route, au-delà de la bande du stop ou du cédez-le-passage, ce qui peut s’avérer gênant. Les voitures, étonnées de croiser un tel engin sur la route, ralentisse­nt à notre passage. Suffisante au regard du trajet à effectuer, la vitesse maximale est atteinte rapidement. Les suspension­s amortissen­t bien les défauts de la route, y compris sur le chemin qui mène à la plage de Trestraou. La mer s’est retirée au loin, au niveau du château de Costaérès. En prévision du passage du mode routier en mode maritime, nous retirons la plaque protectric­e de l’hélice, puis mettons le cap vers le bas de l’eau. Nous dévalons la plage en slalomant à travers de gros blocs de granit rose aux formes arrondies, caractéris­tiques de cette région. À mesure que l’on se rapproche de l’eau, le moteur – un Honda de 150 chevaux, sa puissance conseillée – est abaissé partiellem­ent. Le passage dans l’eau s’effectue tout en douceur. Quelques secondes avant que le Tringa ne flotte, le hors-bord est démarré et finit par propulser le bateau. Les roues peuvent se relever via un boîtier de commande situé à gauche du volant. Celle située à l’avant disparaît dans l’étrave, puis une trappe vient isoler l’ensemble et l’eau, environ 200 litres, se vide en quatre minutes. Pour les deux roues à l’arrière, le système est différent, sans carénage. Elles remontent verticalem­ent et disparaiss­ent dans un logement non isolé, mais qui ne perturbe pas l’écoulement d’eau.

Un pilotage facile qui ne surprend pas

Les premiers tours d’hélice sont un peu déroutants, surtout en raison du poids du bateau. Mais en accé- lérant ce détail se fait vite oublier, et le T ring a se pilote finalement comme n’importe quel open de cette taille. La carène, dépourvue de virures, passe bien dans la houle courte et résiduelle d’une tempête survenue la veille. Par mer de face, les sauts de vague s’enchaînent en douceur, tout comme les retombées. Idem par mer arrière où le bateau n’enfourne jamais. Le pilote et les passagers restent au sec, entre autres grâce au V marqué de l’étrave, mais aussi au gros redan qui évacue loin les vagues. Il n’y a qu’en virage très serré que l’hélice montre une tendance à ventiler, en

raison d’un montage trop haut ou d’un modèle inadapté (il s’agissait d’une hélice trois pales de 15 x 17 pouces), mais le chantier travaille à supprimer ce problème. Tringa Boat cherche aussi à rendre plus souple la direction, qui sert à la fois sur route et en mer. Le plan d’eau formé nous empêchait d’atteindre la vitesse maximale (nous nous sommes approchés des 25 noeuds), mais le constructe­ur annonce atteindre 32,5 noeuds sur mer plate à 6 000 tr/mn, ce qui semble tout à fait cohérent vu le poids du bateau et sa puissance ; un 175 chevaux est également disponible au catalogue. Le Tringa déjauge à plat, et passe du zéro à 20 noeuds en 8 secondes.

EN CONCLUSION

Toute la difficulté d’un bateau amphibie est d’être à la fois bon marcheur sur route et bon navigateur sur l’eau. Ce Tringa y parvient aisément, tout en intégrant de nombreuses astuces. Le prix de vente de 96 398 € avec 150 chevaux Honda est à mettre en rapport avec la technologi­e embarquée. Mais il faut surtout intégrer les économies substantie­lles réalisées grâce à l’absence de place de port (que ce soit en location ou à l’achat), de remorque, de carénage, d’antifoulin­g, etc.

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 ??  ?? La carène, totalement dépourvue de virures, passe très bien la mer de face.
La carène, totalement dépourvue de virures, passe très bien la mer de face.
 ??  ?? La partie avant, typique d’un open, peut être recouverte de rallonges pour se transforme­r en bain de soleil.
La partie avant, typique d’un open, peut être recouverte de rallonges pour se transforme­r en bain de soleil.
 ??  ?? Le pilote, qu’il soit sur route ou en mer, prend place à gauche. La poignée des gaz du hors-bord n’est pas située sur le tableau de bord, mais tombe naturellem­ent sous la main, à droite.
Le pilote, qu’il soit sur route ou en mer, prend place à gauche. La poignée des gaz du hors-bord n’est pas située sur le tableau de bord, mais tombe naturellem­ent sous la main, à droite.
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 ??  ?? Le moteur routier (un quatre temps de 27 ch) prend place dans les fonds du Tringa, sous la console, et permet de répartir les poids au plus juste, sans déséquilib­re.
Le moteur routier (un quatre temps de 27 ch) prend place dans les fonds du Tringa, sous la console, et permet de répartir les poids au plus juste, sans déséquilib­re.
 ??  ?? Le chantier a conçu un mode de stationnem­ent situé à 5 cm du sol. Il permet de monter à bord plus facilement. Notez la présence d’une poignée sur le capot moteur.
Le chantier a conçu un mode de stationnem­ent situé à 5 cm du sol. Il permet de monter à bord plus facilement. Notez la présence d’une poignée sur le capot moteur.
 ??  ?? Image peu commune d’un bateau sur la route, aux côtés de voitures ! Le Tringa est en effet le seul bateau amphibie homologué pour rouler sur route.
Image peu commune d’un bateau sur la route, aux côtés de voitures ! Le Tringa est en effet le seul bateau amphibie homologué pour rouler sur route.

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