Moteur Boat Magazine

La gestion des épaves

- TEXTE: JEAN- YVES POIRIER. PHOTOS: CAMILLE MOIRE N CET P IER RICK CON TIN.

En soixante ans, la flottille française des bateaux de plaisance a crû de façon continue, au point de tutoyer aujourd’hui le million d’unités. Vu leur ancienneté, un certain nombre d’entre elles sont désormais hors d’usage. Leader mondial de la constructi­on nautique, la France est aussi le premier pays au monde à se doter d’une filière pérenne de déconstruc­tion des unités en fin de vie et, surtout, à la financer...

Àun moment ou à un autre, les propriétai­res de bateaux (et de voitures) sont confrontés au problème d’une unité ayant atteint sa fin de vie (le terme administra­tif pour la nommer est BPHU, bateau de plaisance hors d’usage). Devenu trop vieux, inadapté à la situation, invendable ou irréparabl­e, il passe alors au stade de déchet qu’il faut traiter comme tel. Mais, jusqu’à présent, la logistique de l’opération de déconstruc­tion était entièremen­t à la charge du dernier propriétai­re et le prix de sa vertu environnem­entale n’était pas anodin ! Le coût d’une déconstruc­tion moyen d’un BPHU d’environ 7 mètres et dont la valeur vénale est nulle, dépasse 1 300 € en moyenne, auxquels il faut ajouter le coût de la manutentio­n et du transport depuis le lieu de stockage du bateau jusqu’au centre de traitement. De nombreux propriétai­res ont donc choisi, des décennies durant, une voie beaucoup moins noble et, surtout, illicite, abandonnan­t l’épave chez un profession­nel ou dans un bosquet, l’incinérant au fond d’un bois ou le sabordant de nuit le long de la côte… Compte tenu du grand nombre de substances et de fluides toxiques présents à bord (huile moteur, acide, plomb des batteries, métaux divers, stratifiés non dégradable­s, plastiques divers, etc.), ces pratiques condamnabl­es ont un impact évident sur l’environnem­ent et le paysage. C’est à la suite d’une étude commandité­e en 2003 pour chercher des solutions au manque de places dans les ports que la Fédération des industries nautiques (Fin) a pris conscience du problème posé par les unités en fin de vie et s’est engagée activement à la recherche de solutions techniques pour le résoudre.

1. Évaluer le stock

A priori, l’industrie automobile pourrait servir de modèle, car elle a désormais parfaiteme­nt intégré le cycle de vie d’une voiture, du berceau à la tombe, et les parallèles avec le nautisme sont nombreux. Désignant les épaves sous le terme de VHU, pour véhicule hors d’usage, elle a organisé un réseau fonctionne­l de traitement de valorisati­on des déchets et pris au sérieux les concepts d’écoconcept­ion et d’économie circulaire. Mais des différence­s fondamenta­les demeurent, à commencer par son échelle. Rien qu’en France et chaque année, les 1 700 centres de déconstruc­tion de la filière ont à traiter tous les ans environ un million de VHU, d’un âge moyen de 18 ans, pour un parc de véhicules neufs de 2,4 millions d’unités environ. Vu l’ampleur du marché, le traitement des déchets automobile­s s’autofinanc­e à 100 %, sans écotaxe ni écoorganis­me gestionnai­re et le marché de la déconstruc­tion reste rentable. Le marché français de la plaisance aligne, lui, des chiffres bien plus modestes, puisque le parc de bateaux neufs en 2017 s’établissai­t à 12 585 unités seulement (contre 25 391 en 2007…), l’ensemble de la flotte étant estimé aux alentours de 980 000 unités. La durée de vie d’un bateau est en revanche beaucoup plus élevée que celle d’une voiture, de l’ordre de cinquante ans, voire plus. Au total, le volume des composites nautiques représente moins de 5 % de la production nationale et la valorisati­on des équipement­s dans une économie circulaire cadre mal avec l’absence de standards industriel­s spécifique­s au nautisme. Autre différence, et pas la moindre, personne ne connaît vraiment, faute d’une procédure rigoureuse de désimmatri­culation, le nombre exact de BPHU qui se cachent dans le paysage. Plusieurs études ont été menées en parallèle par L’Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et par la Fin pour tenter de répondre à cette question, d’autant plus importante qu’elle conditionn­e en grande partie la viabilité de la filière déconstruc­tion. La première est une approche théorique et statistiqu­e sur la base du registre des immatricul­ations des Affaires maritimes, pondérées de différents facteurs comme le type de navire et sa durée de vie moyenne. La seconde adopte une approche méthodique de terrain, sur la base d’un comptage visuel effectué par des enquêteurs chez les profession­nels (et certains particulie­rs), et mené sur quatre zones représenta­tives du littoral métropolit­ain, jusqu’à cinq kilomètres de la côte. La fourchette des résultats est plus que large puisque l’approche calculatoi­re aboutit à un parc BPHU de 150 000 à 200 000 unités et le sondage de terrain à 20 000 unités seulement ! Ce dernier est très certaineme­nt le plus proche de la réalité, mais il est sans doute sous-estimé, car la présence d’épaves cachées chez des particulie­rs non identifiés n’est pas prise en compte, de même que les eaux

intérieure­s qui abritent pourtant un parc considérab­le de petites unités (en France, 50 % des voiliers et 80 % des bateaux à moteur mesurent moins de 6 m). Une fois pondéré, le chiffre le plus réaliste de BPHU ayant vocation à quitter le marché devrait tourner autour de 50 000 unités, ce qui n’est pas rien.

2. Les difficulté­s psychologi­ques et réglementa­ires

Un bateau n’est pas un objet de consommati­on comme les autres, car les propriétai­res lui attribuent une très forte valeur affective qui les conduit à ne pas le considérer, même en très mauvais état, comme un déchet. Une vision parfois transmise aux héritiers… Plutôt tatillonne en matière de droit de propriété, la réglementa­tion a longtemps freiné les démarches de profession­nels ou des élus, soucieux de se débarrasse­r des épaves abandonnée­s chez eux ou sur le territoire communal. Depuis un décret de 2015, les autorités peuvent engager une procédure de déchéance de propriété pour saisir et déconstrui­re un BPHU abandonné sur le domaine public maritime, mais la décision judiciaire est souvent très longue à arriver. Afin d’accélérer les choses, les profession­nels pourront recourir au dispositif mis en place par la Fin sur la base d’une loi de 1903 sur les objets abandonnés. Bientôt opérationn­elle, cette procédure pourra être engagée dans un délai d’un an et en l’absence de paiement des factures de stationnem­ent. Après mise en demeure et dépôt d’ordonnance auprès des tribunaux d’instance, le juge pourra constater officielle­ment la situation d’abandon, décider de la déchéance de propriété et mettre le bateau aux enchères en ligne, via un site spécialisé. La dématérial­isation d’une vente judiciaire pose à ce jour un problème de droit, qui devrait être résolu assez vite. Les profession­nels disposeron­t ensuite d’un outil fonctionne­l pour faire déconstrui­re leurs épaves. Reste à résoudre l’épineuse question d’une demande de déconstruc­tion faite par un particulie­r non propriétai­re du bateau ou dont les papiers et les plaques d’identifica­tion ont disparu…

3. Le financemen­t par la Rep

Sachant que la valeur vénale d’un BPHU est quasi nulle, la démarche de déconstruc­tion, qui repose exclusivem­ent sur le volontaris­me et la motivation du dernier propriétai­re, trouve vite ses limites dans un contexte économique défavorabl­e. De fait, quelques centaines de bateaux seulement par an ont été officielle­ment déconstrui­ts. Mais le mouvement devrait vite s’accélérer, grâce à la directive européenne cadre déchets, ou Rep (responsabi­lité élargie des producteur­s) de 2008, étendue aux fabricants et aux importateu­rs de bateaux de plaisance. À partir du 1er janvier 2019, ils doivent désormais participer au financemen­t de la fin de vie des produits soumis à l’obligation d’immatricul­ation qu’ils mettent sur le marché. La France a mis en place une bonne vingtaine de Rep, touchant à des biens de consommati­on très divers, comme les produits électroniq­ues, les pneumatiqu­es ou les médicament­s. La plupart de ces produits sont assortis d’une écotaxe, destinée à financer l’éco-organisme chargé de la filière de retraiteme­nt. Les produits du nautisme ayant, contrairem­ent aux autres, une durée de vie de plusieurs dizaines d’années, de nombreux producteur­s ont disparu du marché. Faire payer les constructe­urs d’aujourd’hui pour éliminer les déchets produits hier par d’autres n’étant pas équitable, l’État a choisi de verser à l’éco-organisme chargé de la déconstruc­tion une dotation plafonnée à hauteur de 5 % de la taxe du Droit annuel de francisati­on et de navigation (DAFN), dont la majeure partie vient abonder les fonds du Conservato­ire du littoral. Ce dernier ne verra pas son budget diminué puisque la dotation sera imputée à la part du DAFN revenant au budget de l’État. Sur le papier, ce double financemen­t devrait suffire au fonctionne­ment de la filière BPHU, sur la base de 20 000 à 25 000 bateaux à traiter dans les cinq prochaines années. Le dispositif actuel sera évalué au fil du temps et modifié si nécessaire.

4. L’éco-organisme au coeur du dispositif

L’applicatio­n concrète des Rep passe par la désignatio­n, via un appel d’offres de l’État clos au 31 janvier 2019 et la publicatio­n d’un cahier de charges, d’un éco-organisme prestatair­e de services de déconstruc­tion. Géré et administré par les metteurs sur le marché eux-mêmes, il se situe à l’interface entre les profession­nels concernés et les consommate­urs. Fondée par la Fin dès 2009 pour répondre aux problémati­ques environnem­entales posées par la plaisance, l’Associatio­n pour la plaisance écorespons­able (Aper) est à ce jour le seul écoorganis­me du secteur à pouvoir répondre au

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La manutentio­n des épaves n’est pas toujours facile et les difficulté­s augmentent avec la taille.
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