Le mouillage mode d’emploi…
Accrocher son bateau à l’aide d’une ancre et d’une amarre afin de l’arrêter paraît simple a priori. Mais, dans la pratique, la manoeuvre est souvent plus complexe que prévu, aléatoire, voire mystérieuse...
En théorie, une ancre pénètre dans le substrat des fonds sous l’effet de deux forces conjointes, celles de sa propre masse et celle de la traction exercée sur la ligne de mouillage à laquelle elle est reliée. Le terme générique de mouillage désigne l’ensemble du dispositif, qui réunit l’ancre, la ligne de mouillage (chaîne ou textile), le système de fixation (taquet, guindeau…) et la méthode utilisée. Par définition, l’effet de masse de l’ancre est statique et suffisamment faible pour autoriser son stockage et sa manipulation à bord sans trop de difficultés. En revanche, l’effet de la traction exercée sur la ligne est dynamique, augmentant avec la force du vent, des vagues et des courants. L’usage de l’ancre remonte à la nuit des temps et elle a été déclinée au fil des siècles sous d’innombrables formes et matériaux. Les plus anciennes datent de l’âge du bronze et ne reposent que sur le principe d’une masse rocheuse posée au fond de l’eau et reliée au bateau par un cordage. Pour d’évidentes raisons de manoeuvre, la masse de l’ancre (et son pouvoir de tenue) est limitée par les capacités physiques de l’équipage et par la taille du bateau qui la transporte. Les navigateurs antiques ont ensuite imaginé d’associer le lest rocheux avec une croix en bois, dont les branches se plantent dans les fonds pour s’opposer à la dérive du bateau et augmenter la résistance du mouillage à la traction. Le principe de l’ancre moderne était né et, matériaux mis à part, il est toujours valide. La force de retenue (effort de décrochage) d’une ancre est la première référence pour évaluer ses performances, mais son comportement à l’approche des conditions limites l’est tout autant. En effet, lorsque l’effort maximum atteint le niveau d’arrachage, certaines ancres commencent à dériver sur le fond (effort de chasse). Pour ne pas devenir dangereux, le phénomène doit être lent et régulier, afin de présenter une résistance aussi constante que possible à la traction. Comme la nature et la densité des fonds peuvent à elles seules faire varier les capacités de tenue du simple au double, il est plus que recommandé de ne pas sous-dimensionner son équipement, qui participe pleinement à la sécurité du bord.
Bien dimensionner son équipement
Les différents éléments du mouillage (taquet d’amarrage, câblot, chaîne, manille, émerillon, ancre…) sont reliés les uns aux autres comme les maillons d’une chaîne et la résistance finale est celle de l’élément le plus faible. Il faut donc veiller à dimensionner son équipement de manière cohérente, chaque pièce devant présenter une résistance au moins égale à celle de la précédente et de la suivante. Équiper une ancre capable de résister à une traction de 2 tonnes à une manille dont la charge maximale utile ne dépasse pas 600 kg est non seulement inutile, mais potentiellement dangereux. Pour éviter ce genre d’erreur, les fournisseurs proposent tous des tableaux de dimensionnement, sur la base de la taille et du déplacement du bateau. D’autres critères doivent cependant être pris en compte. À longueur égale, le fardage (prise au vent) d’un timonier est plus élevé que celui d’un semirigide ou d’un open, et les efforts exercés sur le mouillage seront beaucoup plus importants si la brise se lève. Les références étant souvent calculées pour des voiliers, mieux profilés que les unités à moteur, il sera prudent de surdimensionner les résultats de 25 % environ pour s’assurer d’une bonne marge de sécurité. Le programme de navigation est aussi important, car les exigences attendues d’un mouillage le temps d’un pique-nique estival devant une plage méditerranéenne abritée
ne sont pas celles d’une croisière hors saison dans les eaux irlandaises par exemple... On peut distinguer deux grandes familles d’ancre, les ancres traditionnelles à jas ou les grappins dont la tenue au fond dépend de la masse et de la taille étroite de ses pointes. Inchangées depuis des siècles, les ancres à jas ne sont aujourd’hui plus guère utilisées dans la plaisance, même si elles en sont restées le symbole international. Un grappin, sorte d’ancre à quatre branches, reste toutefois très utile pour les petites unités, annexes par exemple, ou en complément de l’ancre principale. Dotée de pelles larges et d’une verge, fixe ou articulée, sur laquelle le câblot est fixé, l’ancre moderne ne se contente pas, comme une ancre à jas ou un grappin, du seul effet de masse pour pénétrer dans le sol ; elle détourne aussi l’effet de traction dynamique exercée sur la ligne pour enfoncer les pelles dans les fonds. La résistance au dérapage est due ensuite à la compression de la partie du sol situé devant les pelles. L’enfoncement varie selon la nature des fonds, de la géométrie propre de l’ancre et de ses articulations, de la surface des pelles, du centre de gravité, etc., mais il peut être important dans les sols meubles, comme le sable ou la vase.
Les solutions techniques sont nombreuses
La concurrence fait rage entre les fabricants pour offrir un modèle polyvalent, adapté à toutes les conditions de mouillage et à tous les fonds, mais aucun comparatif, aussi sophistiqué soit-il, n’a jamais réussi à mettre en évidence l’incontestable supériorité d’un modèle par rapport à un autre. Et pour cause, les variables sont si nombreuses, nature des fonds, type et poids du bateau, conditions environnementales, expérience de l’utilisateur, équipement du bord (taquet, guindeau, davier…), etc., que le concept d’ancre universelle est inopérant. La preuve, le marché compte toujours autant de modèles, et tous rencontrent leur clientèle ! Les ancres modernes à haute résistance sont déclinées en deux grandes familles, les ancres plates articulées, popularisées dans les années 1960 par Armand Théodore Colin et sa fameuse Britanny, et les « socs de charrue », chacune déclinée en de nombreuses variantes. Les premières présentent une résistance extrêmement élevée au décrochage, parfois à la limite de la résistance des matériaux, car elles pénètrent profondément dans les fonds meubles, sableux ou vaseux, et ne bougent
pratiquement plus. Dans certains cas, elles peuvent néanmoins décrocher brutalement, surtout sur des fonds de gravier ou d’algues, et éprouvent ensuite des grandes difficultés pour s’enfoncer à nouveau. Elles tendent aussi à présenter une certaine instabilité sous charge, en tournant d’une pelle sur l’autre. Certains fabricants ajoutent un jas transversal qui sert de stabilisateur pour annuler ou freiner la tendance au vrillage. Mais ce dispositif augmente l’encombrement général, qui reste le point fort des ancres plates, tirant leur compacité de leur verge articulée et de leurs pelles plates et fines. Comme leur nom l’indique, les ancres « socs de charrue » ont une pelle monobloc dépourvue de partie mobile, qui s’enfonce et laboure le sol sous l’effort, un comportement spécifique qui lui assure des performances plus homogènes que celles de l’ancre plate, y compris sur des fonds difficiles, gravier ou herbiers.
La forme du soc est le fruit de recherches poussées
En données brutes, leur tenue est généralement un peu inférieure à celle des ancres plates, mais elles ne décrochent quasiment jamais et chassent lentement, ce qui impose d’ailleurs une certaine vigilance par gros temps sur un mouillage encombré. Au fil des développements, les fabricants ont optimisé les performances des socs de charrue avec une pointe lestée qui déplace le centre de gravité vers le bas et facilite l’accrochage sur une grande variété de fonds. La forme du soc fait aussi l’objet de recherches poussées, avec un aspect concave proche d’un outil de coupe qui compacte la matière du sol en son centre pour en augmenter la résistance, ou des concavités multiples augmentant le tulipage et la surface utile des pelles. En raison du volume du soc et du fait que la verge est généralement fixe, l’ancre charrue est nettement plus volumineuse qu’une ancre plate, ce qui oblige à soigner son rangement à bord. Faute de disposer d’une place suffisante dans la baille à mouillage, un stockage sur delphinière ou davier dédié est le plus commode, car l’ancre reste
à poste et elle peut être larguée très rapidement. Commode en cas d’urgence… Les qualités respectives des ancres plates et socs de charrue étant complémentaires, les adeptes du mouillage forain auront tout intérêt à se doter des deux modèles de famille, un mouillage principal et un secondaire étant de toute façon indispensables pour la sécurité de ce type de programme de navigation. Très facile à manoeuvrer, un troisième mouillage léger, associant une ancre légère et un bout plombé, pourra servir pour immobiliser le bateau sur une courte période et dans un cadre abrité, le temps d’un pique-nique par exemple. Ceux qui ne mouillent qu’occasionnellement et en période estivale choisiront le type d’ancre le mieux adapté aux fonds qu’ils ont l’habitude de fréquenter.
La chaîne fait la jonction entre l’ancre et le câblot
Pour aider l’ancre à pénétrer le plus rapidement possible dans le fond, la traction exercée par la ligne de mouillage sur la verge doit, dans l’idéal, être parallèle au fond. Pour cette raison, le câblot en textile, trop léger surtout immergé, n’est pas relié directement à l’ancre. La liaison entre les deux est confiée à une chaîne, pour les ancres classiques, ou à un bout plombé pour les ancres légères. L’extrémité de la ligne est ainsi suffisamment lourde pour tirer horizontalement sur la verge, et ce quelle que soit la hauteur d’eau. À l’inverse, une traction perpendiculaire permet de dégager les pelles et de remonter l’ancre à bord. Le diamètre des maillons de la chaîne (de 6 à 16 mm ou plus) sera évidemment proportionnel à la charge de travail prévue. Au minimum, il faut compter deux fois la taille du bateau en longueur de chaîne et cinq fois pour l’ensemble chaîne et câblot (ou bout plombé). Il est nécessaire d’augmenter ces longueurs si vous naviguez dans des zones venteuses ou sur des fonds importants ou difficiles. Si vous utilisez un guindeau, les maillons doivent être soigneusement calibrés pour pouvoir s’adapter
au barbotin. Pour d’évidentes raisons de fiabilité, la chaîne doit être d’un seul tenant. Il existe des maillons à riveter pour relier deux longueurs, mais comme leur résistance est bien inférieure à celle d’un maillon standard (la charge de rupture d’un maillon de 10 mm est trois fois inférieure à celle d’une chaîne calibrée de même diamètre), ce dispositif ne doit s’employer qu’en dépannage.
Un modèle trois torons en polyester ou polyamide
Le type de cordage le plus utilisé pour la ligne de mouillage comprend trois torons en fibre polyester ou polyamide, de 6 à 20 mm de diamètre selon la taille et le déplacement du bateau. Ses capacités d’allongement sont élevées pour amortir les rappels de la coque dans les vagues. La liaison du textile avec la chaîne se réalise grâce à une cosse épissée qui, exécutée dans les règles, ne fait pratiquement rien perdre en résistance. La liaison de la chaîne et de l’ancre s’effectue à l’aide d’un connecteur spécial ou d’une manille. Dans tous les cas, l’échantillonnage de ces pièces devra être cohérent avec celui des autres éléments du mouillage. Les ancres légères sont couplées à des bosses plombées sur un tiers de leur longueur afin de courir à plat sur le fond. Ces textiles étant beaucoup moins résistants à l’usure que la chaîne, les mouillages légers sont réservés à des séjours de courte durée et sur des fonds réguliers qui limiteront l’abrasion. ■