MOTO HEROES

Bavaroise façon caviar

- texte Philippe Canville - photos Bertrand Brémont

Chef de cuisine émérite, Thomas Letourneur du French Atelier construit depuis six ans maintenant de superbes motos à l’unité et à la demande de clients… épicuriens et de bon goût. Sur cette BMW série 2, il imagine un racer style ‘60s étonnant et sacrément séduisant.

Certaines préparatio­ns troublent l’esprit au premier regard. Des BMW retravaill­ées par quelques artistes de la mécanique, designers talentueux ou carrossier­s habiles, nous avons pu en accrocher une bonne palanquée dans nos pages, depuis nos débuts. Peu sexy à l’origine, les Flats teutons des séries 5, 6 et 7 (de 1971 au début des ‘90s) se prêtent cependant assez bien à l’exercice. Cependant, de la tendance café racer jusqu’aux “bobberisat­ions” ou “scrambléri­sations” les plus en vogue ces derniers temps, il est beaucoup plus rare de voir une base série 2 employée dans ces exercices. Avec cette moto réalisée par Thomas du French Atelier, c’est chose faite et pas seulement à moitié. Pour situer l’artiste, un petit retour en arrière est utile. Ce jeune cuisinier partage son amour pour les bonnes choses de la bouche avec sa passion pour les belles mécaniques à fort caractère. Une façon, comme il dit : « De faire un peu le même genre de choses dans mes deux domaines. En cuisine, je pars d’un produit simple que je transforme et pour les motos, c’est la même démarche. » Mais pas les mêmes ingrédient­s… Donc Thomas

Letourneur (un nom prédestiné pour la mécanique ?) a décidé il y a six ans, en compagnie d’un ami photograph­e parti aujourd’hui vers d’autres lumières, de fonder Le French Atelier, un “worshop à la française” où il pourrait se livrer à des transforma­tions libres sur des motos. Depuis, une vingtaine de superbes réalisatio­ns sont nées sur des bases les plus diverses : Ducati, BMW, Yamaha, Suzuki et on en oublie. Dans tous les styles, café racer, bobber, scrambler, et toutes les architectu­res moteur. Aucun modèle ne le rebute, l’essentiel étant de le laisser gamberger dans son coin, en lui laissant carte blanche si possible. C’est ce qui s’est passé avec cette BMW encore toute fraîche. Il raconte : « Un de mes clients à l’atelier voulait avoir une moto originale et moins commune que ce qui se fait en général. Il avait cette R 60 série 2 et quelques transforma­tions avaient été commencées, notamment la greffe d’un bloc de 1000 cm3. Le châssis de série 2, c’était la première fois que j’envisageai­s de travailler dessus. Il a fallu se creuser un peu les méninges. » Au passage, signalons que Thomas ne passe pas par l’étape dessin. Il travaille directemen­t sur la moto, avec des petits bouts de cartons, des fils de fer, des bidouilles et de longues séances de méditation et de documentat­ion sur les années d’avant. Ensuite, il s’enferme au fond de son atelier et passe du temps. Pour cette moto, sans compter précisémen­t toutes ses heures, il a oeuvré durant cinq mois, au cours desquels

il a : « Tout mis à poil. Le bloc moteur a été entièremen­t contrôlé et, comme il était encore en alliage brut, j’ai fait la préparatio­n pour le passer en noir avec le polissage des ailettes du carter de distributi­on à l’avant, des culasses et des couvre-culbuteurs. Ensuite, j’ai procédé à l’installati­on d’un cache en alu formé à la main pour accueillir les bobines au-dessus du carter de boîte. La cadre a été débarrassé de toutes les pattes de fixation inutiles et j’ai renforcé certains points pour être sûr qu’il encaisse la puissance du 1000. La fourche provient d’une R 100 RS et elle a été raccourcie d’une douzaine de centimètre­s. Elle est installée dans des tés BMW et celui du dessus est en fait un té inférieur retourné et fraisé pour un surfaçage idéal. A l’arrière, le pont est récupéré sur une R 75/5 avec un bras modifié, rallongé en fait. Les jantes sont des modèles à profil H de chez Borrani, en 19 à l’avant et 18 pouces à l’arrière. Le double disque avant est d’origine BMW R100 RS avec les étriers ATE habituels sur ce modèle. Pour les pneus, j’ai retenu un Avon à l’avant et une copie Firestone de chez Shinko pour l’arrière. Il y a eu la réalisatio­n de l’habillage des tubes de fourches avec des pièces de série 5 débarrassé­es des grosses pattes et des tubes en carbone peint placés sous le té inférieur. Avec le mini phare récupéré d’un vieil engin agricole et installé entre les deux tés, le guidon de série 5 recoupé et monté sur des pontets très courts, j’ai obtenu un poste de commande plutôt racé. Ce que je cherchais. » On s’en doute, vu l’allure générale de sa BMW typée racer des ’50-60’s. Il confirme que c’est ce qui l’a inspiré dans ses réflexions. Pour parler de la carrosseri­e, Thomas raconte : « Le réservoir traînait sur mes étagères.

Il provient d’un Peugeot BB3 SP ”petit modèle” (NdR ; une french “mopette” sport des ‘60s). J’ai fait un travail pour adapter le tout et ensuite j’ai conçu le dosseret à partir d’un habillage en poly que j’ai adapté et formé en acier. Ensuite, la selle en Alcantara hydrofuge est venue compléter le tout. J’ai aussi réalisé deux caches latéraux en alu pour habiller la boucle arrière et planquer pas mal de choses, dont certaines connection­s. La batterie est installée dans un coffret sous la boîte de vitesses et une partie du circuit électrique est dans le dosseret. J’ai dû remplacer les amortisseu­rs dans les tourelles de suspension arrière par des pièces rigides, vu que la selle dosseret, au ras du pneu arrière, n’offre aucun débattemen­t. » Un petit sacrifice, justifié par la ligne générale et l’esprit racer extrême. On détaillera encore la ligne d’échappemen­t réalisée à la main en un superbe deux-en-un prolongé par un silencieux inox de récup. Le tout étant réalisé en inox et habillé d’une grille pare-chaleur du plus bel effet. L’ensemble sera ensuite recouvert de noir pour le cadre et de bleu marine à filets blancs pour les pièces de carrosseri­e (une teinte en provenance des références Porsche, SVP !). Thomas veut remercier au passage son peintre favori Aerografik Custom, un artiste que nous avons déjà cité dans nos pages et qui travaille au petit poil - et au pistolet en cabine aussi. Le monde est petit quand on navigue dans la qualité et le bon goût. Pas étonnant dès lors que le jury du dernier Midnight Garage, un de nos shows favoris à Paris organisé par 4h10, ait élu cette moto à la première place du contest bike fin octobre. Pour son originalit­é et la qualité de sa réalisatio­n, elle le valait largement.

Pour osé qu’il soit, ce racer BMW n’en est pas moins une belle réinterpré­tation d’une époque disparue.

 ?? ?? Sculpture d’acier surprise au coeur d’une cathédrale de béton improbable…
Sculpture d’acier surprise au coeur d’une cathédrale de béton improbable…
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 ?? ?? L’esthétique inédite du racer BMW de French Atelier s’intègre parfaiteme­nt dans les décors les plus
étranges.
L’esthétique inédite du racer BMW de French Atelier s’intègre parfaiteme­nt dans les décors les plus étranges.
 ?? ?? La position de pilotage induit la sportivité, la ligne et la finition apportent l’élégance.
La position de pilotage induit la sportivité, la ligne et la finition apportent l’élégance.
 ?? ?? Il n’y a rien d’étonnant à voir une femme, sensible à l’élégance, aux commandes de ce racer.
Il n’y a rien d’étonnant à voir une femme, sensible à l’élégance, aux commandes de ce racer.
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 ?? ?? Mathilde Barazer de Lannurien, artiste peintre et compagne de Thomas Letourneur, s’est prêtée de bonne grâce à la séance de prise de vues.
Mathilde Barazer de Lannurien, artiste peintre et compagne de Thomas Letourneur, s’est prêtée de bonne grâce à la séance de prise de vues.
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années 60.
Le réservoir provient d’une “chine” de Thomas. Il était à l’origine installé sur un cyclo sport Peugeot des années 60.

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