Mémoire normande
Amateurs d’authenticité ou de vintage fiabilisé ? Il vous faut rencontrer Samuel Daon. Quelque part en Basse-Normandie, il construit de bien belles motocyclettes
qui entrelacent savamment créations mécaniques et historiques.
Août 1944, Paris est libérée. Moins d’un an plus tard, le pays n’est plus en guerre. Libération et fin de conflit seront emprunts de joie, de tristesse, de désolation. L’armée américaine, installée dans de nombreuses bases en France, ne quittera définitivement la mère patrie qu’en 1967. Elle laissera derrière elle infrastructures et matériels parmi lesquels plusieurs centaines de 750 WLA Harley-Davidson. Samuel Daon, la petite cinquantaine, fabrique des motos depuis plus de trente ans, même si, d’après lui, cela n’a jamais été vraiment son métier. Après avoir bourlingué en France, au Royaume-Uni, au Danemark, il ouvre un bar motard, bosse dans le bâtiment et finit par s’occuper de jeunes délinquants en tant qu’éducateur technique. « La notion de transmission est essentielle pour moi et résume assez bien mon parcours. Hier, c’était transmettre aux jeunes de bonnes valeurs, aujourd’hui, je m’investis totalement dans mes projets pour donner satisfaction à mes clients », nous dit-il. Depuis huit ans, il a fait le choix de ne plus se consacrer à rien d’autre que la construction de motos. Hormis pour ses clients, finis les entretiens, les réparations ou le bricolage.
Ce grand virage, il le doit à Marc Joly, cet ami suffisamment convaincant pour le pousser à ouvrir son atelier. Frileux, le Normand cède et crée une première machine présentée au Wheels & Waves. Succès et retours des participants achèveront de le faire aller de l’avant. Depuis, Vintage
Racer Services, c’est son nom, est accessible sur rendezvous et seulement si vous avez un projet solide et crédible en tête. Le terme “atelier”, loin d’être ici galvaudé, est employé au même titre qu’un lieu de création artistique.
« Je fonctionne à la commande et seulement s’il y a un bon feeling avec la personne. J’apprends d’abord à la connaître et souvent, c’est autour d’une bonne table et d’une belle quille de vin car je suis aussi un passionné de cuisine ! Même si j’ai carte blanche à 90 %, je prends toujours en compte la personnalité et la sensibilité du client. » Pour Sam, l’idée n’est pas de faire des millions. Il faut environ un an de travail avant de pouvoir rouler avec une de ses créations. Préférant amour du métier et volonté du travail bien fait aux charmes des volumes de vente, le créateur ne prend jamais plus de trois commandes à la fois. L’approche est toujours couchée sur papier à travers un dessin. Vient ensuite la construction : « Je cherche souvent moi-même la base, la donneuse. Ça évite au client d’arriver avec une machine complète dont je ne garderai parfois que le moteur et la boîte ! » Sur sa palette mécanique, Samuel officie de préférence sur la période allant d’après-guerre jusqu’au 1340 Evo, principalement sur Harley-Davidson mais avec un regard amoureux pour les “bad girls” de chez
Triumph ou une pointe d’heureuse nostalgie pour quelques Japonaises. « Au-delà des années 70/80, l’électronique est arrivée et c’est devenu un autre métier. Il y a des gens bien plus compétents que moi pour ça », nous con e-t-il. Une fois le projet validé par le client, Samuel soude ses propres cadres ou crée ses propres pièces dans de l’inox, du bois, du cuir, du laiton. Pour cela il s’appuie sur un matériel acquis après la revente de son hot-rod et un savoir-faire totalement autodidacte appris au l de trois décennies d’expérience.
Son savoir-faire ? Etendez tôlerie, chaudronnerie, soudure, tournage, fraisage et toutes ces autres compétences qui séparent le bon bricoleur du créateur talentueux qu’il est. Tandis qu’il s’affaire là sur une coque de selle ou un réservoir à totalement revoir ou modi er, il peut également compter sur des partenaires de con ance.
Pour la mécanique d’un moteur à refaire ou abiliser, il s’adressera à Charly de Moto Service à Cherbourg ; à Valentin Yon pour la peinture et à Jag Revival pour la sellerie. À son autodidactisme il ajoutera quelques stages de perfectionnement où, complice auprès des enseignants, il saura capter ces détails qui apportent beaucoup. S’il est actif à la roue anglaise, la plieuse, la rouleuse ou la rainureuse qu’il manie pour donner forme au métal, il prend aussi le temps d’accueillir des adultes à l’atelier : « Que ce soit pour un stage découverte ou pour un changement radical d’orientation, mon passé d’éducateur technique est toujours vivant ! » Le temps passe et nous discutons tout en tournant autour de la moto illustrant ces pages. La base est un 750 WLA de 1943. Un petit bijou trouvé par le biais d’un ancien de chez Harley-Davidson, Pascal Mary. « Il possède une antre de pièces mécaniqueS dans laquelle j’ai eu la chance de pénétrer », nous souf e Sam. Le deal est simple entre les deux amis : « Tu me remontes un Laté d’origine et tu prends les pièces que tu veux pour te faire un projet ! » Aussitôt dit aussitôt fait à la seule nuance que Sam commencera son propre projet tandis que celui de Pascal devrait voir le jour d’ici un an. Le moteur est ainsi refait à neuf, le cadre est une repro de WR, quant aux pièces maisons elles comptent : l’échappement en inox, la création d’une coque de selle en acier, le carénage avant - véritable puzzle de cinq pièces façonnées à la main, le guidon, les poignées en essence de buis, le bac à huile, la découpe et le remontage du réservoir de Honda. « Il fallait que cette moto semble tout droit sortie des circuits de course des années 40/50! », avoue Sam. C’est ce qui explique donc l’absence de lumière ou le maintien d’une batterie 6 volts, comme à l’époque. Le reste est un savant assemblage de pièces glanées ça et là chez de multiples constructeurs souvent aujourd’hui disparus. Notant qu’à l’instar de l’éclairage la moto ne possède pas le moindre compteur, le naturel et la réponse de Sam sont sans détour : « Non, pas de compteurs, aucun intérêt. On a l’oeil, le son, les vibrations. On a l’essentiel.»
« Je fonctionne à la commande s’il y a un bon feeling avec la personne et souvent, c’est autour d’une bonne table et d’une belle quille de vin. »