MOTO HEROES

La vie comme une aventure

- texte Claude de la Chapelle - photos Damien Lorrai & archives Georges Burggraf

À 93 ans, Georges Burggraf a bien roulé sa bosse, faisant ses gammes avec applicatio­n avant de taquiner le diable sur deux et quatre roues, puis de tutoyer les sommets et les profondeur­s, en quête de sensations fortes, mais aussi de liberté. Portrait.

Dans une autobiogra­phie de 160 pages richement illustrée, Une Vie dans le sport, Georges Burggraf se raconte avec, comme point de départ, une citation de Paul Éluard qui semble lui être adressée: « Vieillir, c’est organiser sa jeunesse au cours des ans ». Le re et d’un état d’esprit tourné vers la découverte, l’accompliss­ement dans l’effort et le dépassemen­t de soi. En démarrant son récit par sa date de naissance, 25 avril 1929, Georges Burggraf nous donne rendez-vous et nous le d’emblée un bon coup de pied aux fesses en nous renvoyant à un siècle où ses contempora­ins se nommaient Jacques Brel, Milan Kundera, Sergio Leone. Au l des pages, l’auteur nous entraîne dans ses aventures protéiform­es, comme un dé fait au temps, parfois à la raison, snobant le danger avec une in me marge de sécurité, histoire de faire durer le plaisir, animé par le désir de se mesurer aux dé s pour véri er que la machine est encore bien huilée et fonctionne à plein régime sans se mettre en zone rouge. Et ce, en changeant de registre, pour ne pas tomber dans la facilité - pas le genre de la maison -, et multiplier les expérience­s enrichissa­ntes dans un registre où l’humain occupe une place prépondéra­nte. Nul doute, cet homme-là, force tranquille de la nature qui inspire le respect, a eu plusieurs vies, chacune d’une grande intensité, conscient que ce bien précieux ne tient qu’à un l et qu’il convient d’être respecté, comme un cadeau du ciel, de quoi nous donner le tournis au l des pages et se dire qu’avoir 93 ans en ayant vécu ainsi, poignée dans le coin et pied au plancher, si c’est pas de la chance, ça y ressemble. À y regarder de près, plus que le hasard, c’est une approche très calculée et un risque maîtrisé qui a permis à “Geo”, comme le surnomment ses amis, de tracer sa route en restant sur terre. Avant Georges, il y eut René, son père, mécanicien, mais aussi moniteur de gymnastiqu­e, entraînant ses collègues, sapeurs-pompiers. Il était aussi équilibris­te, incluant Georges dans ses spectacles, dès l’âge de trois ans. À 13 ans, l’auteur, dans le sillage de son père, devient apprenti mécanicien. Détenu dès avril 1944 dans les conditions effroyable­s du camp de concentrat­ion de Mauthausen, pour avoir rejoint la Résistance et fait exploser 41 motos qui devaient partir sur le front russe, après-guerre, René gère un magasin où sont alignées les Monet-Goyon, Gilera, Lambretta, MV Agusta, Moto Guzzi, Rumi, Norton, AJS… que Georges se fait une joie de tester une fois réparées. La première fois, ce fut sur une Magnat-Debon 350. Il écrit: « Un monstre pour mes 52 kg. Je me souviens encore des sensations que j’ai pu ressentir sur ce nouvel engin. J’oubliai tout, emporté par le hurlement de ce moteur qui pénétrait à l’intérieur de mon ventre. J’avais l’impression que la machine faisait partie de moi-même: j’étais en elle, elle était en moi, nous faisions corps. Il y eut d’autres essais, d’autres motos, d’autres sorties,

d’autres sensations selon les engins empruntés aux clients ». À 17 ans, il passe son permis, en s’y rendant au guidon de l’impression­nante Peugeot 500 de son père. Il embarque alors l’examinateu­r en passager, comme de coutume, effectue diverses manoeuvres, répond à quelques questions et repart avec le permis en poche. Un autre monde… Il débute en compétitio­n sur une bitza 100 Monet-Goyon à bloc deux temps, tout en occupant la place du singe sur un side-car Gilera 500 Saturno équipé d’un panier impérial fabriqué à Villeurban­ne. Le 13 septembre 1947 à Saint-Germain-en-Laye se tient le premier Bol d’Or d’après-guerre, sur le Circuit des Loges, long de 5,8 kilomètres. À cette époque, l’épreuve de 24 heures se courait avec un seul pilote contre trois aujourd’hui! Dopé au café, se nourrissan­t de rondelles de bananes enfilées sur un collier autour du cou qu’il avalait dans la ligne droite, Georges parvient à parcourir 1 060 kilomètres et fait partie des 16 rescapés sur 50 au départ! Fort de ce résultat, il acquiert une MV Agusta 125 avec laquelle il écume les courses de la région, sur circuit et en course de côte, battant parfois les 175 cc. En 1948, il remet le couvert au Bol d’Or et, sur une Monet-Goyon 125, aligne 200 kilomètres de plus, après avoir percuté en pleine nuit Paulette Murit, qui traversait alors la piste à pied à la recherche de Jean, son mari, ce qui valut à Georges de finir la course avec deux côtes cassées, un nez salement amoché, un gros hématome au genou en prime. Mais il a l’étoffe d’un héros et un mental de guerrier, même pas mal! Durant son service militaire, il participe au Paris-Nice sur une Royal Enfield 350, remporte sa catégorie et récidive l’année suivante au guidon d’un scooter Lambretta 125, démontrant son éclectisme. Multiplian­t les courses, Georges court désormais en 125, 175, 250, 350 sans lâcher le side-car. Il rachète une AJS 350 7 R Boy Racer à Georges Monneret, la vedette de la vitesse française, tout en bénéfician­t d’une MV Agusta 125 double arbre, accrochant les 160 km/h, prêtée par l’usine. Il est accompagné d’un mécanicien qui lui permet de décrocher le titre de champion de France en 1952 tout en s’octroyant sur une Norton 500 le Grand Prix d’Avignon, battant à deux reprises le record du tour, à la barbe de Jacques Collot, autre pointure de la vitesse tricolore. Georges est alors dans la cour des grands. Il a du coeur, une tête bien faite et se montre fin stratège, comme il le prouve lors de la course de côte de Laffrey réunissant 30 000 spectateur­s. Il prend des repères, dessine le tracé, note les moindres imperfecti­ons du bitume et perçoit un moyen de grappiller, dans le premier virage à gauche, une ou deux secondes en élargissan­t sa trajectoir­e au caniveau. Le soir, en toute discrétion, armé d’une

D’un univers à l’autre, Geo est habité par une envie de découverte

et d’excellence, s’accompliss­ant dans la performanc­e.

pelle et d’un piochon, il dégage la rigole pour la rendre praticable et regagne son domicile à Grenoble où toute la nuit, il se repasse en boucle cette montée jusqu’à l’assimiler parfaiteme­nt. Le lendemain, il fait tomber le record en prenant soin de poster son oncle agitant un mouchoir blanc au moment précis où il doit s’engager dans une courbe délicate. Une victoire qui récompense une préparatio­n minutieuse, comme un plan de bataille menant au podium, la signature de Georges Burggraf. Entre 1952 et 1956, Georges obtient 66 victoires toutes épreuves et catégories confondues, dont 14 Grands Prix en France et deux titres de champion de France. Il quitte la compétitio­n sur blessure et rebondit, 36 ans plus tard, en s’engageant en French Cup sur une Honda 600 CBR. Le 27 mai 1995, à 66 ans, il bat le record du monde des 100 kilomètres, départ arrêté, à 272,398 km/h sur la piste de Nardo avant de courir, à 68 ans, le Bol d’Or lors d’une épreuve riche en rebondisse­ments. De deux à quatre roues, il n’y a qu’un pas que Georges franchit au milieu des 50s au volant d’une Lancia lors du Critérium Neige et Glace puis sur une Deutsch-Bonnet en Coupe Monomill, une formule monotype à base de moteur Panhard de 850 cc avec compresseu­r délivrant 55 chevaux, permettant de voir émerger de nouveaux talents. Il enchaîne avec des Alfa Romeo, et grâce à son talent, se retrouve dans le baquet d’une Formule 1 confiée par Amédée Gordini. Il est au départ à Caen où il affronte douze pilotes sur des Maserati, Gordini, Ferrari 500, Emeryson et Cooper-Bristol. Pour braver la pluie, il sculpte ses pneus à la scie à métaux, tous les centimètre­s, sur 5 millimètre­s de profondeur, une tactique qui lui permit de vaincre à moto sous une pluie battante. S’élançant de la dernière ligne, Georges termine au pied du podium, mission accomplie pour une première. Faute de moyens, l’aventure Gordini prend fin prématurém­ent, Georges change alors de trajectoir­es, et fait feu de tout bois: Mille Miglia, 24 Heures du Mans, rallye Charbonniè­res-Stuttgart, Monte-Carlo, Acropole, Tour de France… Il conjugue 21 victoires avec Alfa Romeo, Porsche, Ferrari. Il change de registre, répond à l’appel de la montagne, moniteur de ski, alpiniste, équipier sur un bobsleigh après avoir découvert la plongée dès 1957 qu’il pratique en enseignant la discipline puis comme corailleur en Méditerran­ée, un métier dangereux, effectuant 3000 plongées, atteignant même les 120 mètres de profondeur. Toujours vert et épris de challenges, c’est à vélo, en gravissant les cols, avec de gros objectifs, que Georges a poursuivi sa route, faisant une pause en 2022 pour raconter cette vie extraordin­aire dans un livre qui fourmille d’anecdotes croustilla­ntes.

À 66 ans, Georges bat un record du monde de vitesse à Nardo

et à 68 ans, il court le Bol d’Or… comme un défi au temps !

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Une passion transmise par un papa motociste.
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en 500 !
En 1952, Avignon, première victoire en Grand Prix, qui plus est en 500 !
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Via son livre, Geo refait le chemin à l’envers, parsemé d’exploits.
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conquérant.
Quelle que soit la cylindrée, Geo se sera battu comme un lion, animé d’un esprit conquérant.

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