La course, la vraie
Il existe une machine à remonter le temps mécanique. Une vraie. Authentiquement fonctionnelle. Elle se nomme le “Goodwood Revival”. S’y rendre, s’en servir, c’est vivre des sensations que l’on croyait perdues. Unique, fabuleux, élégant, diabolique… impératif.
« Tu vas au Goodwood Revival !? Mais quelle chance ! » Goodwood? J’en avais entendu parler de nombreuses fois pour les deux événements annuels qui y sont organisés. Celui du Festival of Speed, marquant le début de l’été, puis sa version autos et motos classiques à travers le Goodwood Revival signant élégamment la fin de la saison estivale. Ceux-là mêmes qui évoquaient leurs propres souvenirs semblaient en avoir encore des étoiles dans les yeux. Aussi, lorsque nous fûmes invités par BMW Motorrad France à nous joindre à leur “Heritage Tour”, la question ne se posa point. Passeport en cours de validité, bagage léger et tenue appropriée - vous comprendrez pourquoi - furent emmenés sans la moindre retenue. Si les deux premières journées furent consacrées à vivre pleinement cet Heritage Tour en très bonne compagnie et aux guidons d’excellentes motos, insolentes BMW nineT ou statutaires R 18, la toute dernière nous ouvrit les portes d’un événement auquel je ne m’attendais clairement pas. Nous sommes au petit matin du 17 septembre. Malgré un royaume en deuil, la journée s’annonce belle, ensoleillée. Au pied de notre hôtel nous attend un authentique autocar Bedford 1951 carrossé par Duple à la peinture beige et bordeaux délicieusement vintage. Journalistes présents, équipe BMW, toutes et tous ont joué le jeu, toutes et tous sont habillés de tenues d’après-guerre. L’instant est insolite mais ces déguisements participeront dans quelques kilomètres à faire de cette fête mécanique un événement tout simplement unique au monde. Nous montons à bord. L’engin, en parfait état de marche, n’est
constitué que d’acier, d’aluminium bouchonné, d’essence de bois, de bakélite. À cet instant précis, même si le véhicule diffère, je ne peux me retenir de penser au jeune Harry Potter embarquant pour sa première rentrée à Poudlard! Sur la route, le sentiment gagne encore. Les nuques sont malmenées tant, de toute part, convergent véhicules anciens de modèles et de marques prestigieuses. Si l’analogie gastronomique doit être faite, alors ce premier contact n’est qu’un amuse-bouche. Nous sommes devant l’entrée principale. Nous sont remis nos tickets et nos badges faits de ficelle et de papier, comme à l’époque.
Dès les premiers pas dans l’enceinte, le XXIe siècle n’est plus. Çà et là une foule immense, un public joyeux, déjà conquis, en costume d’époque lui aussi (c’est une quasiobligation) et qui se presse pour tenter d’obtenir les meilleures places dans les gradins devant la ligne droite des stands. Théâtrale, une troupe d’acteurs en tenue militaire semble vouloir protéger une soucoupe volante qui s’est apparemment écrasée sur la verte pelouse des terres du duc de Richmond and Gordon, propriétaire et organisateur de l’événement. Aurions-nous tant remonté ce temps jusqu’en 1947 et qui fit souffler ce vent d’intrigue entourant le mystère du fameux “incident Roswell” ? L’illusion et le jeu sont parfaits jusqu’au détail du jeune vendeur ambulant de gazette relayant la potentielle et fort inquiétante invasion extraterrestre! Au loin, comme à l’approche d’un zoo à l’heure du repas des fauves, les marteaux de nos tympans entrent en vibration au son de mécaniques anciennes mais définitivement assemblées et rassemblées pour en découdre sur les 3 kilomètres et 809 mètres de la piste. Nous laissant emporter dans le flux général, nous voici passant sous la piste pour ressortir, en accès VIP, aux paddocks. Au-delà, c’est la zone réservée aux compétiteurs et à laquelle nous accédons librement grâce à nos laissez-passer. Où que le regard se pose, ce ne sont que merveilles et trésors mécaniques, depuis que l’homme décida un jour de greffer un moteur sur un châssis de vélo pour aller plus vite que son voisin ; sont ici réunis : de 1928 à 1954, de 494 cc à 998 cc, Triumph T110, Norton Manx Daytona, BMW R57 Supercharged, Triton Thunderbird, Vincent Black Shadow, Matchless G80 CS, Velocette MSS, Woden-Jap, Rudge TTR ou
S’il y a un événement mécanique classique auquel vous souhaitez un jour participer, alors placez le Goodwood Revival en tête de liste!
C’est donc la rage, le couteau entre les dents, le combat pour la victoire qui se jouent ici. Le risque pris est réel.
encore Royal Enfield Meteor qui composent le somptueux plateau prêt à en découdre. N’allez surtout pas croire, les machines alignées sur la grille de départ ne sont aucunement des copies. Elles ont chacune une histoire, un palmarès. Elles ont toutes traversé le temps. Mieux, concourir à Goodwood et remporter une victoire à l’une des nombreuses courses qui jalonnent le week-end consolide ce palmarès, augmente la cote du précieux engin. Il est 11 h 20. La prégrille est aussi active qu’un essaim de frelons agacés. Dans quelques instants, je pense assister à une belle démonstration. Quel tort! Dans une course en relais de 25 minutes les équipages sont composés de deux pilotes. Un amateur, un professionnel. Avec un départ typé Le Mans, les pros s’élancent en premier. Départ canon, gaz en coin. Relayée sur écran géant, seule véritable concession à la modernité, je réalise que la course ne se limite pas à faire prendre l’air aux motos ou autos de courses engagées. Plusieurs fois aurais-je à ramasser ma mâchoire inférieure devant angles et vitesses pris par les pilotes sur des pneus, certes slick, mais moins larges que ceux de mon fat-bike pour aller à la plage ! C’est donc la rage, le couteau entre les dents, le combat pour la victoire qui se jouent ici. Le risque pris est réel. Enfiler sa combinaison et baisser sa visière pour courir à Goodwood c’est se préparer physiquement, mécaniquement et mentalement. À Goodwood, personne ne fait semblant. Je suis littéralement subjugué par la manière avec laquelle Eugene Laverty engagé en Championnat du monde
Super Bike essore, il n’y pas d’autres termes, la poignée de sa BMW R57 Supercharged de… 1929 ! Les tours défilent, machines et pilotent tiennent plus ou moins bon la cadence dans un hurlement de moteur à chaque passage devant les stands, l’adrénaline est distribuée en perfusion à tous les spectateurs. Il en sera ainsi depuis la veille jusqu’au lendemain. Sans répit, sans faiblissement aucun. De grâce, si cela vous est un jour possible, s’il y a un événement mécanique classique auquel vous souhaitez un jour participer, n’hésitez pas un instant à placer le Goodwood Revival… en tête de liste !
Les moteurs hurlent à chaque passage devant les stands, l’adrénaline est distribuée en perfusion aux spectateurs.