La victoire dans la peau
Giacomo Agostini cumule 13 titres mondiaux aux guidons de MV Agusta quatre temps. Avec Yamaha, il ajoute deux titres à son palmarès grâce à une motorisation deux temps victorieuse.
En décembre 1973, Giacomo Agostini annonce son transfert chez Yamaha, répondant ainsi aux sollicitations du constructeur japonais à l’écoute de ses demandes. Dans le même temps, MV Agusta, qui ne voulait pas démordre d’une motorisation quatre temps ayant atteint ses limites, l’obligeait à faire équipe avec le Britannique Phil Read, pilote agressif sur la piste, qui tenta de le déstabiliser psychologiquement. Comme baptême du feu, en 1974, Giacomo s’aligne aux 200 Miles de Daytona. Pour sa première sortie sur une moto deux temps, sur un circuit inconnu, avec la particularité du banking et une chaleur accablante, la pression est énorme. L’Italien s’impose, à la limite de la déshydratation face à Kenny Roberts, qu’il battra à nouveau quelques semaines plus tard aux 200 Miles d’Imola, en s’imposant dans les deux manches. L’histoire est belle et avec Yamaha, Ago gagnera le titre 350 en 1974 et 500 en 1975. Cette YZR 750 OW 29 est celle avec laquelle il se classa 4e des
200 Miles de Daytona 1975 derrière Johnny Cecotto, Steve Baker et le vainqueur Gene Romero. Elle exhibe la bande rouge entourée de filets noirs, signature graphique des motos d’usine des années 70. C’est la première 750 équipée d’un châssis avec suspension arrière Cantilever. Elle bénéficie d’un système de remplissage rapide et de jantes en magnésium. Son moteur quatre cylindres deux temps délivre 115 ch à 10000 tr/min. Notez que les pots de détente ne sont pas encore équipés de silencieux et que le sélecteur est côté droit, un montage propre à Giacomo Agostini.
La 750 OW 29 pèse 150 kg pour 115 chevaux. Aux 200 Miles de Daytona, sur le banking, elle file à 308 km/h.
Takazumi Takayama s’est forgé une solide réputation via un pilotage tranchant comme une lame de katana. Il exerçait une pression très forte sur ses rivaux qu’il pouvait déborder à tous moments grâce à des trajectoires très audacieuses. En 1977, même blessé (clavicule cassée huit jours plus tôt en Hollande), il gagne la course des 350 et fait 2e en 250 au GP de Yougoslavie ! Lors de cette saison 1977, il utilise deux Yamaha différentes pour la catégorie 350: un bicylindre pour les circuits techniques et sinueux et un trois cylindres pour les circuits rapides. C’est une moto unique, développée par Rudi Kurth (pilote-ingénieur) et Kent Andersson (ex-champion du monde ayant pris sa retraite en 1975 pour rejoindre Yamaha Motor Europe) sous l’autorité de Ferry Brower. Son moteur 3 cylindres à refroidissement liquide (87 ch à 12300 tr/min pour un poids de 116 kg) est issu du bloc TZ 250 auquel on a ajouté un troisième cylindre en rallongeant le vilebrequin, d’où son appellation (en japonais, San = 3 et Kito = cylindre). La moto est assez large, ce qui limite la garde au sol dans les virages, mais en contrepartie, elle a du couple, de la puissance et une excellente vitesse de pointe. Takazumi reconnaît qu’elle est plus difficile à piloter, mais il apprécie car cela, dit-il, « ajoute à la beauté de l’exercice ». À son guidon, il remporte le GP à Hockenheim et Imatra et, à l’heure des comptes, avec cinq victoires en onze épreuves, il devient champion du monde, deux courses avant la fin, devant Tom Heron et Jon Ekerold.
Faire gagner la Sankito réclamait de l’engagement, à la hauteur du défi technique mené par une poignée d’Européens.
Yamaha YZE 750T OWC5 1991 Victoire au Dakar
C’est au guidon de cette imposante machine, bien née, que Stéphane Peterhansel, pour sa quatrième participation, remporte son premier Paris-Dakar, permettant à Yamaha de réaliser le triplé avec la deuxième place de Gilles Lalay et la troisième de Thierry Magnaldi. La YZE est articulée autour d’un solide châssis poutre et d’un bicylindre de 902 cc à cinq soupapes par cylindre, développant plus de 75 ch à 7 000 tr/min. Elle emporte 64 litres d’essence répartis dans trois réservoirs.
Yamaha YZE 750 OW 93 1988 Proto mono 5 soupapes
Prototype d’usine engagé au Dakar 1988, bénéficiant d’un monocylindre de 702 cc à 5 soupapes, la YZE pèse 153 kg à sec et 198 kg avec le plein de ses réservoirs de 55 litres. Bien suspendue, elle est équipée d’une fourche Kayaba de 43 mm et d’un mono-amortisseur Öhlins. À son guidon, Jean-Claude Olivier, malgré un poignet cassé, se classe 7e, Thierry Charbonnier 16e et Stéphane Peterhansel, qui découvre l’épreuve, 18e. André Malherbe, triple champion du monde de motocross, est victime d’un accident grave.
Faut-il encore présenter Éric de Seynes ? C’est le dernier “grand patron” d’une époque qui a vu la moto changer de trajectoire, s’imposer, non plus comme une rebelle habillée d’un blouson noir, mais comme un objet de loisir et de consommation, dans la peau d’un utilitaire glamour par excellence. Dans le sillage de Jean-Claude Olivier, pendant quatre décennies aux commandes de Yamaha, Éric de Seynes a tracé son sillon en France, puis en Europe, et même au niveau mondial, livrant bataille pour imposer ses idées avec la diplomatie et les convictions d’un motard qui a roulé sa bosse. Grâce à une connaissance encyclopédique de la moto, des amitiés sincères et un solide réseau, Éric de Seynes, passionné parmi les passionnés, a saisi nombre d’opportunités d’acquérir des motos de compétition à un moment où l’on ne se battait pas pour les acheter et où elles étaient encore très accessibles
(il a ainsi payé 15 000 francs sa première TZ 350 et les suivantes avec ses bonus annuels de Yamaha). Et surtout, il a eu la sagesse de les conserver (interdisant à son père de vendre sa Laverda), mieux, de les restaurer, avec l’aide des mécaniciens qui les ont fait courir, préservant ainsi leurs spécificités. Elles sont toutes en état de fonctionnement et il ne se prive jamais de les mettre en piste lors des meetings historiques à Spa ou au Paul Ricard où il côtoie les pilotes qui l’ont fait rêver, devenus depuis des amis, de Giacomo Agostini à Christian Sarron en passant par Steve Baker, Freddie Spencer, Takazumi, Katayama, Carlos Lavado, etc.
Ces mécaniques, à elles seules, ne représentent que du métal et de la performance. À travers cette exposition, Éric de Seynes met en lumière des hommes à qui il rend hommage, ainsi qu’à leur intelligence et à leur savoirfaire, derrière les machines, prétextes à des rencontres, des moments de partage, des anecdotes. Elles sont aussi le reflet d’une technologie qui avance. Éric de Seynes, bien qu’il soit tenté de se freiner, poursuit sa quête, avec la volonté de préserver les plus illustres machines de Grand Prix françaises (Pernod, But, Fior, Motobécane…) qui se seraient exilées à l’étranger sans son intervention. Il a en tête un projet qui fait son chemin, et il n’est pas homme à renoncer: une exposition permanente ouverte au public, sous l’égide du Fonds de Dotation pour le Patrimoine du Sport Motocycliste, créé il y a cinq ans sous la présidence de Jacques Bolle, afin que le plus grand nombre puisse en profiter. Ce sera là le plus beau des cadeaux faits à la moto.
Éric a saisi nombre d’opportunités d’acquérir des motos de compétition à un moment où l’on ne se battait pas pour les acheter.