Obsolescence déprogrammée
Musées, collections conservent et garantissent la préservation de multiples patrimoines. Team Obsolete pose un pneu plus loin, dépasse franchement ces bornes. Elle acquiert motos de Grands Prix couronnées, joyaux de collection, les restaure, les entretient et… les fait courir. À fond.
Team Obsolete a vu le jour en 1978. Alors assistant du procureur de New York, Robert Iannucci, qui en est le fondateur, fait l’acquisition de la moto dont il rêve depuis des lustres, une AJS 7R. Cette moto sera la première d’une sublime liste à suivre. Son but? Se procurer des machines qui furent toutes symboles de victoires sur circuit et portées sur les plus hautes marches des podiums par des pilotes inscrits au firmament de la discipline. Rien que ça. À force conviction et moyens financiers conséquents, l’acquisition - parfois au prix d’âpres négociations ou d’histoires assez rocambolesques - de ces bêtes de concours fut suivie de leurs sérieuses et passionnantes restaurations en configuration d’origine de course. Par son action, son ambition et une implication sans faille, Iannucci dépassera très largement le stade d’amateur éclairé ou celui d’avide collectionneur. L’engouement suscité dépassant toutes les attentes, il crée en réalité le premier vrai club national de moto de course vintage aux États-Unis. Sous le leitmotiv du “achète-la et court avec” les humbles débuts deviennent francs succès et les modestes courses locales franchissent les océans. Pour attirer toujours plus de monde et donner un supplément de panache à la démarche, Iannucci fait en sorte de réunir
les pilotes autrefois titrés avec les sources d’adrénaline et de victoire de leurs glorieux passés. Imaginez, vous êtes en tribune au Paul Ricard, Assen, Brands Hatch, Mallala en Australie, La Carrera à Mexico ou à peu près tous les circuits sur le continent nord-américain. Sous vos yeux et loin au fond de vos tympans explosés file cette Honda 250 cc 1964 aux 6 cylindres prenant 18000 tours suivie d’une file indienne de 350 cc - 3 et 4 cylindres, 500 cc - 3 et 4 cylindres MV Agusta d’usine ou encore deux extrêmement rares “boxers” toujours chez MV Agusta et qui ont, suçant leurs roues arrière, une AJS 7R3 et une AJS “Porcupine”. Si cette parade mécanique ne vous suffit pas, visualisez-la cravachée par des pilotes comme Jim Redman (6 titres mondiaux) et l’inoxydable Giacomo Agostini (15 titres mondiaux). Solidement et visuellement sponsorisée par la très belle marque de protections de cuir Vanson Leathers, voilà en deux mots et bien plus de cylindres ce qu’est Team Obsolete. À bien y réfléchir, est-elle aussi obsolète que ça cette équipe? Depuis sa création, et bien au-delà du trait d’humour de son appellation, cette écurie d’exception comptabilise l’engagement à plus de 1800 courses de motos classiques à travers le monde et, pour vous donner un ordre d’idée quant au palmarès ramené
Rob Iannucci réunit les pilotes autrefois titrés avec les sources d’adrénaline et de victoire de leurs glorieux passés.
à la maison, accroche pas moins de 22 victoires à Daytona. Les autres podiums victorieux auront lieu sur l’ensemble des circuits nommés ci-dessus. L’engagement du Team Obsolete est si sérieux qu’il permettra d’offrir à Dave Roper une victoire au Senior Historic Tourist Trophy de 1984. Une première - et la seule - pour un pilote américain si l’on exclut la victoire d’un second pilote en 2010, en catégorie… électrique. Qui est exactement ce Rob Iannucci? Il est ce jeune bénévole oeuvrant dans les Caraïbes des années 70. Pour son transport quotidien, il lui semble pertinent de rouler à moto. Il se fait livrer d’Angleterre une Norton Commando, vraisemblablement la seule de l’île d’après lui. Le virus de la vitesse est très vite contracté. Rentré aux USA il rencontre d’autres passionnés d’Anglaises. Feuilletant un vieux magazine, il découvre les lignes de la Matchless G50, en tombe amoureux. Il en fait l’acquisition, suivie d’une seconde, d’une troisième et, finalement, de bien plus encore. Si bon nombre d’enthousiastes collectionneurs se garderaient bien de faire prendre le moindre risque aux exemplaires qu’ils détiennent, Iannucci s’inscrit dans l’exact contraire. Une moto de course? C’est fait pour rouler vite, sur circuit, non pour aller chercher le pain par grand beau ou finir sous cloche. On dit de certaines passions qu’elles sont contagieuses. Celle inoculée par Rob Iannucci l’a même prouvé. En 2012, après avoir restauré une Harley-Davidson 909 XRTT sur base de 750 XR, c’est bien plus qu’une moto rapide qu’il tente de remettre en route, c’est toute une catégorie. Années 80, se dispute un championnat AMA où ne s’engagent que des bicylindres. Ces courses, les “Battles of The Twins” ou BoTT, donnent lieu à quelques belles passes d’armes sur piste. Hélas, le succès grandissant des courses de Superbike et autre Supersport dominées par les Nippons relégueront ce championnat en 3e division de l’intérêt médiatique. Avec ce retour aux affaires mécaniques en 2012, Iannucci réveille les mémoires, fait retirer les bâches de ces belles aux boîtes dormantes, souhaite revoir ces motos reprendre du service. Dans cette étrange époque qu’est la nôtre où le passé est ballotté, malmené, d’une opinion à l’autre. Entre des excités déboulonneurs de statues qui ne se priveraient pas d’y ajouter l’intégralité du patrimoine thermique et les collectionneurs dont la seule vision se juge au rendement du placement financier de leurs acquisitions, Rob Iannucci, lui, a bien compris que le tour de manège est unique et qu’il compte clairement en profiter. Sa réponse? Rien d’autre que cette obsolescence déprogrammée.
Team Obsolete réveille les mémoires, retire les bâches de ces belles aux boîtes dormantes, fait reprendre du service à ces motos.