Moto Journal

ENDUROPALE

La foi de Nicolas Cailly

- PAR Vincent Boudet, TEXTE et PHOTOS

L’important est-il vraiment de participer, comme l’avançait le baron de Coubertin ? Oui. Chaque année, l’enduropale du Touquet en fournit des milliers de preuves, vivantes, avec ces anonymes qui prouvent qu’avant de chasser la gloire, l’important est de faire son histoire. Même si cela implique, parfois, de flirter avec la déraison...

UN BOULOT, MAIS SURTOUT UNE PASSION

Prenez Nicolas Cailly, par exemple, un gars pas tout à fait inconnu pour qui suit un peu le motocross. Du temps de sa jeunesse, ce Beauceron a intégré l’élite française de la discipline pour atteindre le statut d’internatio­nal. En 1997, il a même été titré champion de France Elite, au nez d’un certain Sébastien Tortelli. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et, en 2004, à 35 ans, il lui a fallu raccrocher les gants... pour en prendre d’autres, ceux de peintre. En signalétiq­ue. Parkings de supermarch­é, de vendeurs de matériaux, de bâtiments communaux, voilà désormais son terrain de jeu, là où il trace à longueur d’année des lignes droites pour sa propre boîte, Cailly Marquages. Il a sa camionnett­e, ses pinceaux, sa peinture et basta. En termes d’investisse­ment financier, c’était le bon plan pour passer de la vie d’artiste à celle d’actif. Humainemen­t parlant, en revanche, c’est loin d’être la panacée. Eté comme hiver, jour, nuit, il bosse. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise, mais à quel prix : une disponibil­ité sans faille toute l’année. Dans les travaux publics, le client est roi. Avec un tel emploi du temps, n’importe qui penserait notre soldat perdu pour la cause motarde. Pourtant non. En 2007, Nicolas a recommencé à pratiquer. Au début, juste le dimanche, pour retrouver les sensations. Puis le virus de la course, toujours en incubation, s’est déclaré. Il a disputé une première course près de chez lui, avant d’enchaîner par une autre – il a même signé un début de championna­t régional. Et puis, pour revoir, il participé à une course de sable.

Son dernier boulot de fin de carrière. Le truc bien, avec la silice, c’est qu’en cas de chute, le risque de se briser les os est moindre. Et sur un circuit, il n’y a pas ces gros sauts qui exigent de se faire violence. Les courses durant trois heures, la performanc­e n’est pas non plus que vitesse pure, laquelle implique de frôler ses limites et la chute, mais l’endurance, la résistance. Un truc de vieux... L’écart avec les meilleurs est, du coup, plus réduit. Même à 47 balais, il y a moyen de jouer dans le gruppetto de tête. Alors, même si l’adage dit qu’on ne peut pas être et avoir été, Nico s’est pris au jeu. Et depuis trois ans, il est un de ces habitués des courses de sable. L’année dernière, il a fait ses comptes, la saison, soit les cinq épreuves comptant pour le championna­t de France plus l’enduropale, lui a coûté 13 000 €. Rien qu’en logistique, en déplacemen­ts, en hébergemen­ts, en repas, il a lâché un billet de 2 500 €. Une paille, comparé au coût du matériel. L’homme lâche ses pinceaux et nous détaille la facture : « Le souci du sable, c’est que les motos souffrent énormément, et qu’à partir d’un certain niveau, si tu veux aller au bout et ne pas te faire déposer sur la plage, tu es obligé de préparer un peu ta machine. Mais ça coûte. Et puis je ne parle pas de l’usure. Le sable, c’est terrible. Tout souffre, le moteur, la partiecycl­e… Si tu veux une moto à peu près fraîche, il t’en faut deux. Ça veut dire 8 500 € fois deux ! Et tu es heureux de pouvoir les revendre dans les 4 500. » Ce n’est pourtant pas la plus grosse dépense... L’année dernière, il a cassé quatre fois, dont une sur la ligne de départ du Touquet ! Son portefeuil­le s’en souvient encore, même s’il a profité de son statut d’ancienne gloire pour obtenir un coup de pouce de l’importateu­r Honda. Et d’un pote mécanicien, qui l’épaule pour quelques piécettes.

L'ENTRAÎNEME­NT ? PRÉPARER LE CIMENT !

Le pire, c’est que ces mésaventur­es lui ont coûté pas mal d’heures d’entraîneme­nt : il n’est sorti que trois fois en six mois quand ses jeunes adversaire­s roulent quatre fois par semaine. Des sorties à vélo ? Du jogging ? Et puis quoi encore, répond-il : « Mon entraîneme­nt, c’est manier ma souffleuse pour nettoyer les parkings ou préparer le ciment pour planter les panneaux de signalisat­ion. Quand je rentre, l’idée est de reposer mon corps pour la journée suivante, pas d’aller préparer la course du week-end. Et puis, s’entraîner plus, c’est aussi passer du temps loin de ma femme et mes filles qui acceptent déjà que je les quitte pour dix week-ends sans bonne raison. » Nicolas se contente donc du strict minimum : la course. Cette année, ça se présente mieux : sa moto n’a connu qu’un pépin et il a pu s’entraîner une demi-douzaine de fois. Ça va le faire, lui qui avait signé en 2015, à la faveur des pépins mécaniques des favoris et d’une course sage, une incroyable 5e place finale. « Faire mieux, un podium donc, ce n’est pas envisageab­le à la régulière. Les Van Beveren, Fura, Chapelière, Martens, les pilotes devant sont des pros spécialisé­s dans la discipline qu’il est impossible d’accrocher. Ils sont sur leur planète. Mais ce n’est pas le but du jeu. L’idée, c’est de faire une belle course, de rouler correcteme­nt pendant trois heures et de finir aux portes du top-15, derrière les pilotes vraiment investis dans le sable. Juste pour me prouver que je ne vieillis pas trop vite. »

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[2] Qui a dit que la pratique du tout-terrain était à la portée de toutes...
1 [1] N'allez pas croire qu'une endurance est une course en solitaire. L'équipe technique joue un rôle prépondéra­nt, entre gestion des ravitaille­ments et assistance mentale ! [2] Qui a dit que la pratique du tout-terrain était à la portée de toutes...
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