TRIP CHAUD
L'inde à dos de Royal Enfield Himalayan
CCet hiver, nous avons parcouru presque 3000 km en Inde du sud au guidon de deux Royal Enfield Himalayan. Ce périple a bénéficié des conseils d'adarsh, rides and community manager chez Royal Enfield, puis nous avons laissé libre cours à nos intuitions improvisatrices. Et c'est à l'écart des lieux touristiques que nous avons fait les rencontres les plus touchantes. Les routes voient souvent leur bitume dégradé par des nids-de-paon maousses, interrompu par de vastes saignées caillouteuses ou des travaux. Y errent ruminants divers, cabots imprévisibles, singes fripons, piétons en pagaille et véhicules en tout genre… Lesquels sont régis par la loi du plus fort, la foi du plus lourd, qui te livrent à la jungle. Le plus gros, qui barrit le plus fort, passera, tu te pousseras. Sinon, tant pis pour toi… S'ensuit un sacré bordel sur fond de coups de klaxon incessants !
Bien sûr, ceux-ci signifient plutôt « Coucou c’est moi que v’là » que « Casse-toi d’là pôv’ con que j’m’y mette », mais leur symphonie discordante peut vous user les nerfs sans trop de délai. Les comportements suicidaires de rickshaws ou jeeps-taxis qui se lancent dans des forcings idiots avec avertisseur plein badin peuvent s'assimiler à de la violence routière exacerbée; ils sont heureusement et paradoxalement pratiqués dans une ambiance dépourvue de toute agressivité, rien à voir avec la prompte invective qui fleurit sur nos routes… Heureusement qu'on s'est faufilés (quitte à appliquer parfois la coutume locale d'imprudence décriée plus haut), j'aurais pas gardé longtemps mon sang-froid (pourtant légendaire)…
« PHOTO PLEASE ? SELFIE ! »
Et puis notre équipée a suscité moult salutations enthousiastes, Karo recevant de véritables acclamations d'usagers peu habitués à voir une femme chevaucher une si “grosse” cylindrée. J'ai même entrepris des manoeuvres hasardeuses pour permettre à un ambulancier de réaliser un selfie en roulant… L'accueil a été très largement chaleureux, sur la route comme à l'arrêt. Même que je sais désormais
ce que ça fait d'être une rock-star ! Car à intervalles réguliers, on est venu nous accoster et demander : « Photo please ? Selfie ! » Même quand l'échange ne concernait nul cliché, il a toujours été cordial. Pour ce qui est du commerce, le marchandage semble moins coutumier qu'ailleurs en Asie, vous verrez assez vite si ça amuse le vendeur ou pas. Dans les hôtels, ça marche la plupart du temps (même dans les 5 étoiles). Selon l'endroit où vous changez, comptez 1 € = 70 roupies. Les prix sont souvent indiqués hors taxes; avec TVA, service tax, voire luxury tax, on arrive vite à 20 % de surcoût.
2 813 KM EN 30 JOURS
7 millions d'habitants, une circulation et une pollution bien denses, 30° régul', chauds, les premiers tours de roues en Inde dans la fourmilière de Chennai ! Mais vu que le visqueux trafic empêche d'atteindre des vitesses élevées, c'est pas en ville qu'on est le plus en danger… Ce que l'on commencera à comprendre en filant plein sud vers Pondichéry, comptoir que la France ne restitua à l'inde qu'en 1956 ! L'usage de notre langue n'y est donc pas rare, témoin Veronica, accorte réceptionniste bilingue à l'hôtel Cours Chabrol, sur le front de mer — lequel est interdit aux véhicules de 18 heures à 7h30, et donc propice aux promenades paisibles. Le trajet jusqu'à Rameswaram n'a guère eu d'intérêt, sinon de permettre la prise en main de la moto (facile) et de se faire aux règles de conduite locales (moins facile). Du dortoir à l'hôtel le plus cossu, cette ville
de pèlerinage dispose d'un large choix. Nous y avons dîné dans une cantine pour trois fois rien près du Ramanathaswamy Temple, où nous déambulâmes parmi les pèlerins qui se purifient dans 22 bassins successifs. Dalles humides, chants tribalo-mystiques qui résonnent au loin, ferveur et divinités hindoues qui vous lorgnent sévère, ça prend aux tripes. Ville d'un million d'habitants, célèbre pour le Meenakshi Amman Temple, Madurai a pour principal avantage d'être proche des Ghats, les montagnes du secteur… Les cinquante derniers kilomètres, entre Vattalukundu et la station d'altitude Kodaikanal, furent hystériques, coïncidant avec l'apparition, enfin, d'un virolo qui nous a évoqué la Corse par son abondance et sa variété ! Kodaikanal n'est malheureusement pas épargnée par une circulation assez dense, mais les environs offrent de belles balades. Beaucoup d'échoppes vendent du home made chocolate, assez médiocre.
TROP ÉTROIT !
La route qui mène de Munthal à Munnar (50 km) est d'abord jouissive (virolos variés, vues magnifiques), on chante in casco les louanges de l'ingénieur qui l'a conçue… Puis on le maudit : elle est désormais trop étroite pour permettre le croisement de deux bus, ça te fout un de ces embouteillages, jamais vu un merdier pareil. Rebelote le lendemain matin dans le secteur de l'elephant Park et du lac… Comment t'es heureux de pas être en bagnole ! Une fois échappés des tracas, on s'est régalés à rouler parmi les théiers (Karo a même vu un écureuil géant, si si !). Kochi est une ville fort touristique, avec tous les désagréments que ça comporte (prix élevés, sollicitations incessantes). On a eu la chance de tomber sur Sam, précieux conducteur de rickshaw (+91 974 648 33 79, aslamkurumpadi@gmail.com). Grâce à nos vaillantes montures, on a bien sympathisé avec les commerçants de Princess Street en face de l'hôtel et on a eu un bon prix sur l'encens, le parfum et le sac en cuir de chameau (oui, on a un peu craqué…). A l'issue d'un séjour sympa mais assez onéreux, on avait grande
envie de reprendre la route et de retrouver la “vraie vie” indienne. A 2 000 m d'altitude, Ooty est un bon camp de base pour les escapades motardes. On s'y est aussi baladé, à pied, parmi un jardin botanique et un cimetière délabré où erraient biquettes, clebs, canassons et jeunes désoeuvrés. Gare : le manager rapace du Garden Manor a tenté de nous faire raquer au check-out les deux nuitées réglées au check-in… Malentendu ou racket systématisé ? Excellents dîners pas chers servis par le très affable Ibrahim au Nasco Food Court, cantine halal typiquissime, sise Commercial Road, Charring Cross. Une route splendide nous a conduits à Mysore via Gudalur et les National Parks de Mudumalai puis de Bandipur (vus : daims, genre de gibbons, paon, cochon gris). Mysore affirme être « la ville la plus propre d’inde », mais on est encore loin du bloc de chirurgie thoracique du Dr Weiss à Zurich… Le palais du maharadjah (achevé en 1912) n'est pas inintéressant, même pour un couple de Versaillais. La visite guidée permet de récolter quelques anecdotes rigolotes (le maharadjah organisait un concours de moustaches), mais impose un rythme trop soutenu (45 minutes). On peut grimper sur les éléphants qu'on trouve au coin nord-est de l'enceinte, mais négociez ferme avec leurs mahouts AVANT l'ascension. La visite du Ragamathutti Bird Sanctuary est indispensable si vous êtes sensible aux
charmes aviaires. A Palakkad, après la visite du fort, son unique curiosité, où, seuls Blancs à l'horizon, on regoûte avec délice à la curiosité des locaux, on passe la nuit à l'udaya Ayurveda Hospital & Resort, Nila Nagar, West Yakkara : le dîner outdoor sans couverts sous néon nous a permis d'apprécier la richesse entomologique du coin, la nuit sans drap de dessus… On voulait du roots ? On a été servis ! Krishnagiri est une ville sans intérêt. Notre chambre avec vue sur l'autoroute Chennaibangalore nous a permis de jouir d'un concert de klaxons jusqu'à tard dans la nuit, suite à un
embouteillage de dimanche soir à faire passer le triangle de Rocquencourt pour un haut lieu de la fluidité. L'après-midi, une escapade au hasard nous a menés au village de Baleguli, où les jeunes sont accueillants, les temples jolis, les singes farceurs et la campagne calme parmi éminences rocheuses et vertes rizières. En dehors de la belle et ultime ascension en lacets vers Yelagiri, le potentiel du secteur pour l'éclate motocycliste pure est limité, mais il y a toujours moyen de faire des balades et rencontres sympas. A l'instar de la dernière, sur le chemin vers Chennai : on a pris une perpendiculaire à la sinistre nationale dans l'espoir de tomber sur un vendeur de noix de coco. Après maints vains tours et détours, on est tombés sur Yuga et Vishnu, deux jeunes futures stars du cinéma juchées sur une Pulsar 220 cm3. Sitôt qu'ils ont su le but de notre quête assoiffée, ils nous invitèrent illico chez eux et décapitèrent d'une machette fraternelle quatre noix pleines d'eau salvatrice. Ils refusèrent tout dédommagement, et la mama emplit un sac d'arachides toutes fraîches. Nous pûmes ainsi revenir à Chennai désaltérés et l'âme rassasiée d'espoir recouvré en l'espèce humaine.