Á L'ÉCOLE DES FLICS
Qui ne s’est jamais demandé si les flics à moto savent vraiment manier le guidon ? Pour le découvrir, on est allé au Centre national de formation motocycliste de la police nationale. Et on a vu...
EEn passant les grilles d'une école de police, on a forcément un petit pincement au coeur, comme seul en haut du plongeoir avant le grand saut dans l'inconnu. Jusqu'alors, mes rapports avec les forces de l'ordre s'étaient résumé au contrôle ou à la répression. Aujourd'hui, c'est différent : je retourne en classe, à l'école de police de Sens, dans l'yonne, là où l'on forme les futurs motards de la Police nationale. « Salut, je suis le capitaine Fauquembergue, je dirige le Centre national de formation motocycliste de la police nationale (CNFM-PN), mais, sous l’uniforme du flic, il y a le motard : hors service, je roule sur une BMW S 1000 RR ! » Forcément, ça détend l'atmosphère autour de la machine à café, malgré le calibre accroché à la ceinture. Le brigadier-chef Patrick, l'un des responsables des formations moto, boîte un peu : « Je m’en suis collé un bonne dans la cour il y a quelques semaines entre les cônes, ça fait partie du jeu… D’ailleurs, on a prévu de te faire passer le test de présélection au stage – où près de 50 % des prétendants sont recalés. Tu verras, ça glisse un peu dans la cour d’honneur, c’est gras-mouillé, avec des feuilles mortes... » Ça sent l'ambiance Joe Bar Team, à l'image de l'écusson de la promotion qui termine ses 14 semaines de stage, écusson fortement inspiré de Lévrier Noir, célèbre flic de la BD de Bar2, arsouilleur en chef sur son flat-twin allemand.
UNE FORMATION EXIGEANTE
Flic à moto, ce n'est pas uniquement celui qui se planque sous un pont avec les jumelles pour traquer l'excès de vitesse ou la bande blanche franchie. Les missions sont nombreuses et variées : la lutte contre la délinquance routière, évidement, mais aussi l'escorte de hautes personnalités, la traque du voyou, la filature discrète, le secours, l'intervention, la prévention, l'interpellation en roulant un flingue à la main, l'accompagnement de détenus, de matières dangereuses ou d'urgences médicales... « S’il n’y a pas de guerre entre les services, la police se différencie de la gendarmerie par une formation moto qui met fortement l’accent sur la pratique du toutterrain. Sur les 14 semaines de stage, quatre y sont intégralement consacrées, précise le capitaine. La spécialité moto est la formation la plus exigeante de la police. On doit former des motocyclistes complets, à l’aise au guidon quels que soient la mission, le terrain, les conditions. On ne leur apprend
pas à être policier – ils le sont déjà –, on les forme aux Gestes techniques professionnels en intervention spécifiques à la fonction de policier motocycliste, et on les entraîne sur le terrain, aussi bien à la maniabilité, la trajectoire, l’appréhension de la vitesse. Nous avons des modules sur piste, puis pour les petites routes piégeuses, les parcours de cross, de trial comme d’enduro, on a tout ce qu’il faut ici en Bourgogne ! » Et forcément, des motos pour ça. Le centre dispose de près de 300 machines dans son parc, de la grosse GT sérigraphiée Police Nationale, mais aussi des roadsters, de sages routières, des trails d’initiation, et un bon paquet de motos tout-terrain. Et, depuis peu, des gilets airbag pour tout le monde.
DÉFI PERMANENT
Pour moi, c’est une Yam 660 XT protégée façon moto-école, avec un parcours gymkhana entre les cônes. « Le but est d’appréhender la maniabilité, précisent mes deux instructeurs, Patrick et Laurent. Savoir gérer la trajectoire, les appuis, le point de patinage et, surtout, le placement du regard. C’est lui qui guide ta moto. » J’arrive sans me bourrer à tourner aux limites du braquage entre les cônes
en déhanchant, puis à rentrer dans les temps de qualif' sur le plateau rapide qui comprend la gestion d'un freinage d'urgence sur un sol à l'adhérence précaire… « Bon, ça va, t’es admis en deuxième semaine, tu sais utiliser tes repose-pieds, gérer ton embrayage, freiner correctement (quoi qu’un peu tard…) mais tu ne portes pas ton regard assez loin et tu n’optimises pas assez l’espace. » Dans l'exercice, il faut s'imaginer en train de faire un demi-tour express dans un espace confiné, comme dans le cadre d'une poursuite urbaine. Avec une 600 XT agile et légère, ça va, mais la même chose au guidon d'une grosse GT sur des pavés luisants avec le stress d'une intervention à risque demande déjà une certaine expérience. Et les instructeurs de “mettre une pièce” sur un collègue de passage avec sa grosse R 1200 RT : « Tiens, vas-y, montre-lui que ça passe aussi avec ta moto… »
Même si ça ne passe pas tout à fait ! Le défi est permanent entre les instructeurs, ça chambre gentiment et ça bosse sérieusement.
UNE ESCORTE À 30 MOTOS
Chez les stagiaires, ça rigole moins. Lors de notre visite, la promotion achève ses derniers jours de formation et passe des Yam MT-07, XJ6 ou BMW F 650 GS aux grosses Béhèmes et FJR pour un exercice d'escorte d'honneur. Soit près d'une trentaine de motos pour encadrer le déplacement d'une autorité au sein d'un dispositif, certes d'apparat, mais hautement sécurisé. Et l'autorité, aujourd'hui, c'est moi ! « Devant, tu as le porte-drapeau qui donne le rythme du convoi. Il forme le V d’honneur avec cinq motos, puis viennent les “flancs-gardes” qui entourent latéralement le véhicule à escorter. De chaque côté de la voiture, au plus près de la personnalité, il y a les “officiers de portières” en gilet pare-balles. C’est le dernier rempart du dispositif qui doit être inviolable, quitte à prendre un pruneau. Juste derrière, il y a un véhicule de sécurité rapprochée, enfouraillé jusque-là au cas où, puis, enfin, le “râteau” avec cinq motos qui ferment le dispo. » Sans oublier les motards qui ouvrent la route en bloquant la circulation dans un ordre et une méthode savamment établis. Ça en impose lorsque le convoi débarque sur une 3-voies, en parfait alignement, tous feux bleus clignotants allumés. Assis à l'arrière de l'audi RS6 V10 biturbo de 580 ch (qui sert à crédibiliser l'exercice !), je me prends pour un chef d'etat en visite officielle et, mesure la difficulté de l'escorte à rouler dans une telle formation serrée, que ce soit sur les rondspoints ou, pire, en ville dans les rues étroites de Sens ! Je kiffe en faisant quelques saluts “miss France” vitre baissée, alors que la concentration est extrême pour les stagiaires motards qui frôlent ma portière. On corrige l'allure tout en souplesse, un oeil sur la trajectoire, un autre sur l'environnement, prêt à intervenir au besoin. Et puisque c'est un exercice au plus près des conditions réelles, les formateurs balancent par surprise une moto de paparazzi qui tente de pénétrer dans le dispositif ! La réaction des stagiaires est un peu lente, un débrief s'impose avant de poursuivre. Plus loin, deux complices à pied tentent de s'approcher de la personnalité, cette fois, ils sont vite bloqués par les motards, puis écartés et maîtrisés manu militari. « Le dispo a plutôt bien fonctionné, même s’il reste quelques erreurs à corriger, des positionnements et des réflexes à affiner. L’escorte ne doit pas avoir que de l’allure, mais aussi être efficace contre toute intrusion ou agression », précisent les formateurs.
À RUDE ÉPREUVE
Quatorze semaines de formation intensive, ça semble usant pour les organismes - « les
gars dorment bien le soir ! » Et tous les cinq ans, les policiers affectés à une compagnie motocycliste doivent repasser par le centre pour une remise à niveau. Une formation continue à laquelle personne n'échappe, quel que soit le grade ou l'expérience. « C’est près de 800 à 1 000 stagiaires que l’on forme ici chaque année, précise le capitaine Fauquembergue.
Autant dire qu’on bouffe du pneu et de l’essence et qu’on ne ménage pas nos trois techniciens à l’atelier pour remettre les motos en état ! »
TORDONS LE COU AUX LÉGENDES
Parce que la chute ou la casse ne sont pas à exclure : « La plupart de nos motos sont des machines réformées des services opérationnels (plus de huit ans, plus de 100 000 km) mais qui peuvent encore tout à fait servir en formation. On préfère abîmer une R 1150 RT en fin de vie qu’une 1200 flambant neuve, d’autant que ce sont les deniers de l’etat. Puis on a un bon stock de pièces, souvent récupérées sur des motos vraiment hors service. » Il est temps de tordre le cou aux légendes : « En dehors de l’équipement police spécifique, nos machines sont parfaitement standard, non débridées ni préparées. On utilise juste des embrayages renforcés sur quelques modèles. » Après le gymkhana, puis l'escorte, c'est au tour d'une session tout-terrain. Les premiers chemins sont à quelques hectomètres du centre de formation et les stagiaires partent directement au guidon des Yam WR 125 R ou WR 250 F pour rejoindre un terrain d'entraînement spécialement aménagé.
« La maîtrise du tout-terrain est ce qui permet au policier d’avoir encore une plus grande maîtrise sur la route. C’est en TT qu’on développe les fondamentaux : les appuis des reposepieds, le placement du regard, la gestion des commandes, le contrôle du frein arrière. L’idée n’est pas d’en faire des champions d’enduro. Mais c’est lorsqu’on se retrouve sur la route dans des conditions dégradées de stabilité ou d’adhérence que les acquis en tout-terrain prennent tout leur sens », appuie le capitaine. Et quand la promo a pour parrain une marraine (Audrey Rossat, l'une des meilleures pilotes féminines en enduro, policière également, lire l'encadré ci-contre), le machisme d'une profession encore essentiellement masculine se fait discret. Les instructeurs n'ont pas grand-chose à lui apprendre. Ça tire même la langue pour tenter de suivre la chevelure blonde d'audrey ! « Le tout-terrain, c’est souvent ce que redoutent le plus les stagiaires. S’ils sont tous policiers aguerris en arrivant au centre, en bonne condition physique et souvent pratiquants moto, certains arrivent avec un niveau zéro en TT. Alors les chutes sont nombreuses, les blessures inévitables. » Un petit bobo, ça va, mais si le stagiaire à plus de 48 heures d'indisponibilité, il est écarté, renvoyé dans son affectation. Le parcours est exigeant : des montées bien raides avec très peu d'élan, des zigouigouis en devers, des sections pavés piégeuses, des passerelles glissantes en bois, des sauts. Un vrai parcours du combattant, mais à moto.
AU-DESSUS DE LA MOYENNE
La formation est une compétition interne où chaque exercice, sur route comme en tout-terrain, est noté afin d'établir une hiérarchie. Moins de 10/20 et c'est dehors alors que le major de promo pourra, lui, choisir son affectation en priorité. C'est le cas de Loïc (lire 3 questions, à gauche), avec sa moyenne de 18/20. « Un tout bon, celui-là ! » Mais, après plus de trois mois de formation intensive, il reste encore une épreuve à franchir et non des moindres : le carrousel. Comprenez une représentation dans la cour d'honneur où les motos défilent et se croisent dans un ballet millimétré, au cours duquel la moindre erreur peut engendrer un carambolage général. Alors le ton monte lors des derniers entraînements. L'approximation ne fait pas partie du registre policier. A l'heure où vous lisez ces lignes, ces motards de la police sont tous affectés dans un service, au guidon de leur moto blanche sérigraphiée ou bien banalisée. Petit conseil du capitaine : « Si vous avez l’un d’entre eux aux fesses après un manquement au Code de la route, ne jouez pas au malin. Arrêtez-vous, répondez aux injonctions, restez calme et courtois. Sachez que sous l’uniforme, c’est aussi un motard qui vous contrôle ou vous interpelle et, qui peut donc faire preuve de discernement, voire d’indulgence. » C'est noté.