PAIRE PEINARD
Pour rouler comme un pilote, il y a le circuit… ou les jeux vidéo. Mais pour rouler tous les jours sur une sportive abordable, on vous propose mieux avec ces deux motos. Moins de 100 ch, moins de 8 000 €, mais près de 400 km de bonheur au fond du réservoi
T’es sûr ? – Oui, oui, 4 litres aux 100 km ! » Autant l'avouer de suite, en musardant sur les petites routes bosselées du pays d'othe, entre champs de blé, d'orge et de chanvre, on a plus roulé en mode tourisme qu'à un rythme Motogp. Honda et Kawasaki ont beau positionner leurs CBR 650 F et Ninja 650 dans la catégorie “sportive”, Marc Marquez et Jonathan Rea peuvent encore dormir tranquille ! Et puis ? Depuis quand le bonheur de rouler à moto se mesure au chrono ou en nombre de chevaux ? A elles deux réunies, nos sportives en charentaises n'atteignent même pas 160 bourrins. Et ça ne nous empêche pas, Thomas et moi, de nous marrer comme deux sales mômes qui auraient séché les cours pour quelques moments d'évasion sur deux roues.
DES ROUTIÈRES À NEZ POINTU
De sportives, nos 650 cm3 en ont surtout le look, avec leurs carénages effilés. Mais soyons clairs, elles restent davantage des routières à nez pointu. Des motos dérivées des roadsters CB 650 F et Z 650 derniers modèles où l'on se couche juste un peu plus derrière la bulle pour avoir l'air un pilote. Oh, rien d'extrême non plus, ce n'est pas le genre de chignoles qui vous donnent l'impression d'avoir le cul plus haut que les épaules et les bracelets au niveau de l'axe de roue avant ! Toutefois, on note déjà deux esprits légèrement différents entre la Honda CBR 650 F et la Kawasaki Ninja 650. Sur la Kawa, la selle est plutôt basse, le guidon assez relevé et on pilote presque droit, à l'abri d'une bulle réglable (en sortant les outils), alors que la Honda propose une conduite un rien plus sportive : on est plus en appui sur les poignets, l'assise un peu plus haute et la mini-bulle fixe a surtout une fonction esthétique. Les moustiques et coléoptères qui s'écrasent joyeusement sur l'écran du
casque, telle une horde de kamikazes déterminés, sont là pour en témoigner. Du moins si on arrive à les ressusciter. Pas vraiment des sportives, pas vraiment des GT non plus. Juste des motos. Des meules de tous les jours avec lesquelles on peut aller bosser, aller s'amuser le week-end, voire partir en vacances si trois tee-shirts et deux calebars glissés au fond d'un sac à dos suffisent à votre confort. Avant de prendre la route, on s'est tout de même penché sur les CV de nos pseudo-sportives, en se demandant si c'était bien loyal de mettre un sage twin parallèle de 68 ch face à un 4-cylindres en ligne de 91 ch. La réponse, on l'a vite eue, au premier test de reprises côte à côte, lorsque la Kawa s'est sauvé devant façon Usain Bolt, laissant en plan la Honda, avec ses deux cylindres en rab, ses 23 ch de plus, ses 18 kg supplémentaires aussi. Pourtant, le 4-cylindres Honda millésime 2017 a progressé de 4 ch face à la précédente version. Mais ça ne suffit pas, du moins en reprises, car nos mesures d'accélération placent tout de même la Honda devant. Le secret de la Kawa, c'est son couple : 6,2 mkg à 6 700 tr/mn quand la Honda n'aligne ses 6,6 mkg que mille tours plus haut… Sur la plage d'utilisation la plus usuelle, le bicylindre Kawa l'emporte largement, même s'il est un peu moins souple que le 4-pattes Honda. Mieux, il est un poil plus économe en carburant, preuve d'un excellent rendement. Mais entre nous, si l'on retire les bouchons d'oreilles, la mélodie Kawasaki est un peu tristounette, plus rauque, mais un rien “agricole” face à un 4-cylindres qui chante comme une diva quand on va chatouiller la zone rouge.
PLUS FORT QUE LES CHIFFRES
J'avoue, je fais le fier en restant droit comme un I sur la Kawa tout en déposant Thomas, couché comme une limande de concours sur la Honda. En reprises à 50 km/h, à 90 km/h ou à 130 km/h, j'ai la victoire facile et le p'tit salut “miss France” un rien vexant pour mon adversaire, alors que je vois le nez rouge de sa CBR rétrécir dans mes rétros. Evidemment, Thomas rempile une paire de rapports d'un pied gauche rageur et finit par me remonter une fois atteintes des vitesses que la morale réprouve, la maréchaussée aussi. Bref, à 200 km/h sur autoroute allemande, la Honda repasse en tête, 20 bornes plus rapide. Heureusement, une moto n'est pas faite que d'un moteur : un châssis et des suspensions, ça compte aussi. Surtout sur les routes de campagne qu'on emprunte entre Champagne et Bourgogne. A passer et repasser devant le photographe en soignant le style et en s'échangeant les guidons, on s'aperçoit que les nuances
entre Honda CBR 650 F et Kawasaki Ninja 650 ne se comptent pas qu'en nombre de cylindres. La Honda s'est offerte cette année une nouvelle fourche dite SDBV (Showa Dual Bending Valve), soit à double valve. Qu'importe si le vortex négatif du plongeur double buse gauche crapote sur pallier lisse ou creux, ou si le palonnier de compression biactif est à taille droite ou hélicoïdale. Ce qui est net, c'est que ça fonctionne. Et plutôt bien. D'ailleurs, on ne se prend pas la tête avec les réglages : y'en a pas ! Ça marche, et pis c'est tout. Merci Honda ! En rentrant comme des gorets de concours dans le droite bosselé dit des paraboles (près du centre de télécommunications spatiales de Bercenay-en-othe, pour les connaisseurs), la CBR est imperturbable, campée sur sa trajectoire comme un zadiste à Notredame-des-landes. On pilote en pleine confiance avec une stabilité rassurante du châssis acier, à la fois précis et tolérant. Une âme de sportive dans un écrin de velours.
ÉLECTRO-SIMPLIFIÉ
A côté, la Ninja, avec ses suspensions plus basiques, joue davantage les filles de l'air. Il y a un peu plus de débattement à l'avant (+ 20 mm) et, le comportement rappelle vaguement celui d'un trail. La trajectoire est moins précise, ça sautille et secoue davantage, mais la Kawa permet plus facilement d'improviser. Son poids inférieur et son pneu arrière plus étroit (un simple 160 contre un 180 chez Honda) n'y sont certainement pas pour rien. Pas de réglages de suspensions, donc, – enfin si, juste la précharge du ressort d'amortisseur arrière si vous avez le courage de sortir la clé à griffe de la trousse à outils – et pas plus de petits boutons aux guidons pour faire joujou avec l'électronique. Vous savez, ces fameuses cartographies moteur pour adapter le comportement mécanique aux conditions de route ou à votre humeur, ces systèmes d'antipatinage ou d'anticabrage, voire de launch control pour déposer ses potes avec efficacité lorsque le feu passe au vert. Non, rien de tout ça et, sincèrement, il n'y en a pas vraiment besoin pour contrôler des puissances assez
Honda CBR 650 F Ce n’est pas tout à fait la moto de Marquez, mais qui a besoin de 250 ch pour s’amuser ?
raisonnables, parfaitement dosables sans bretelles électroniques. Seul un ABS veille au grain. Le freinage pourrait d'ailleurs être un peu plus incisif sur la Honda, mais il reste en accord avec cette moto dont la priorité n'est pas de rivaliser avec une RC213V de Motogp. Le mordant est un peu plus marqué sur la Kawa, mais avec la fourche assez souple et le débattement supplémentaire, la plongée est un peu plus marquée. Quoi qu'il arrive, on s'arrête, même quand un renard vient à sortir du bois ou qu'un abruti a oublié une priorité. Regarder loin, prévoir, anticiper… A traverser la campagne un peu au pif, passant de belles sections rapides aux routes à tracteurs, on apprécie la sérénité et le confort de la Honda. Même si aller au bout de ces presque 400 km d'autonomie sans halte risque de devenir usant, d'autant que quelques vibrations se font sentir à mi-régime dans les mains et les pieds. Si le confort est supérieur à celui de la Kawasaki, tant au niveau de la selle que des suspensions, la CBR 650 F n'est pas tout à fait une Goldwing ! La Kawa au tempérament plus joueur dispose d'un plus petit réservoir : 15 l contre 17,3 chez Honda. Mais avec son appétit de moineau, les plus courageux pourront viser 360 km (400 pour les plus économes) avant le prochain plein, en contrôlant l'autonomie qui s'affiche au tableau de bord. Que l'on roule un peu fort ou que l'on se promène sagement, c'est la facilité de conduite qui prime, au point qu'un pilote peu expérimenté pourrait allégrement être plus efficace au guidon de l'une d'entre elles plutôt que pendu aux bracelets
d'un monstre de 200 ch. Oui, on mettrait facilement ces motos entre toutes les mains, sauf que la Honda n'est pas destinée aux titulaires d'un permis A2 (pas de version 35 kw, la CBR 500 R est là pour ça) et qu'il faudra passer par la phase bridage chez Kawasaki pour la transformer en monstre gentil de 47,5 ch au lieu des 68 ch d'origine.
SPORTIVES À TOUT FAIRE
Même en ville, nos deux motos n'ont rien de handicapant comparativement aux hypersports. Elles n'ont bien sûr ni leur fougue, ni leur technicité, ni leurs performances, mais la Honda est d'une douceur incroyable, que ce soit la souplesse du moteur, l'onctuosité des commandes ou de la boîte, et on se faufile aisément, sans souffrir d'une position de conduite exagérément basculée sur l'avant. Un angle de braquage plus prononcé serait appréciable pour les demi-tours (la Kawa fait un peu mieux), mais cette CBR n'a rien d'un autobus. Dommage tout de même qu'on ne voie pas grandchose d'autre que ses bras dans les rétros et que le tableau de bord soit si pauvre en informations. Pas même
Kawasaki Ninja 650 Le twin parallèle a de la ressource. Un Ninja ne s’avoue jamais vaincu !
un indicateur de rapport engagé, pas de fonctions commandées au guidon… Kawasaki est un peu plus généreux avec des indications digitales plus complètes (particulièrement lisibles, même en plein soleil), mais, là aussi, pas de commande au guidon pour naviguer dans les menus de bord. En ville, ses rétros larges gênent davantage entre les files des voitures, mais au moins, on voit ce qui se passe derrière. Le léger déficit de souplesse face à la Honda reste très acceptable. Le twin ronronne sans hoqueter à 2 500 tr/mn en 6e, soit autour de 50 km/h. En revanche, Kawa a visiblement oublié qu'une moto, ça pouvait aussi se partager. S'il y a bien un maigre bout de mousse et deux repose-pieds supplémentaires pour accueillir un éventuel passager, rien pour s'accrocher en dehors des hanches du pilote…