BMW K 1600 B, Harley-davidson Road Glide
En France la niche des baggers s’inscrit dans le segment assez restreint des customs, lui-même intégré à la catégorie des routières. Bref, ça ne se bouscule pas au portillon. Pourtant, BMW tente le coup en prenant comme base sa K 1600 GT. Cela suffira-t-il à concurrencer la Harley-davidson Road Glide Special, une des références du genre ?
Déjà, c’est quoi un bagger ? Pour faire simple, disons que c’est un custom doté d’une face avant protectrice, équipé de valises (donc censé pouvoir voyager), dont la ligne générale s’écrase vers l’arrière. De profil, l’allure doit s’apparenter à celle d’une goutte d’eau. Donc, pas de top-case. Les Anglais affublent ça du terme streamline design. Mais ce n’est pas tout, la moto doit aussi d’être dépouillée. Voilà pourquoi, pour créer leur K 1600 B, les ingénieurs bavarois ont tronqué le pare-brise de la K 16 GT, affiné les carénages latéraux et changé le cadre arrière pour abaisser la nouvelle (780 mm). Bon, en même temps, ils ne sont pas allés chercher bien loin leur inspiration, puisque ce nouveau bagger ressemble à s’y méprendre au Concept 101 de Rolland Sands.
DE LA GUEULE AVANT TOUT
En 2015, le célèbre préparateur californien dévoilait sa création au grand concours d’élégance de la Villa d’este, en Italie. Elle faisait la part belle aux matériaux nobles, comme l’alu brossé, le carbone ou encore le bois. Un engin doté d’une sacrée gueule, il faut bien l’avouer ! Au final, hormis la grande roue avant, la firme bavaroise a pratiquement suivi à la lettre la voie tracée par Sands. On retrouve le dessin des feux stop intégrés aux valises, les deux échappements bas qui filent vers l’arrière de la moto et les demi-carénages latéraux qui permettent de lorgner le fameux 6-cylindres en ligne. Pour notre part, on pourrait émettre deux petits regrets. D’abord, comme sur le Concept 101 d’ailleurs, la face avant reste strictement identique à celle de la K 16 GT (même si on comprend les difficultés techniques et les coûts qu’un changement aurait engendrés). Ensuite, seul le coloris noir profond figure au catalogue. Certes, c’est élégant, mais tout ce noir (jantes, moteur, transmission, bulle…) écrase les lignes. Sans parler de l’ambiance un poil tristoune pour une machine censée être fun. En face, la Road Glide a beau de jeu de faire claquer ses chromes et ses paillettes (pour les versions Hard Candy). Elle n’hésite pas non plus à exhiber son moteur : le Milwaukee 8 ! Ce gros twin, avec ses ailettes de refroidissement et ses tiges de culbuteurs, est la signature visuelle de Harley-davidson depuis plus d’une centaine d’années. Même si, en 2017, il a connu une évolution majeure, puisque ce 107 cubic inches (1 746 cm3) est passé de quatre à huit soupapes. Ensuite, il y a ce colossal carénage en nez de requin. De prime abord, on se dit qu’une fois installé au guidon de l’américaine, ce gros truc va nous masquer la route. En fait, non. On termine l’observation de la bête par une selle creusée encadrée de deux valises bien profilées, mais plutôt étroites. Il n’est jamais simple d’émettre un jugement esthétique sur une moto. Tous les goûts sont dans la nature, comme on dit. Mais comme le design est l’un des arguments massues
de vente de ces deux machines, il était difficile de passer à côté. Un petit tour de la rédac pour demander l’avis de chacun, et le résultat est sans appel : la palme du look revient à la Road Glide Special. Que les supporteurs de la marque américaine ne s’enflamment pas, c’est l’une des rares fois où leur petite protégée va prendre les devants.
ANCIEN CONTRE MODERNE
En effet, les comparaisons de comptoir, celles où l’on disserte autour d’une bière ou d’un café, ça va deux secondes. Comme on le répète sans cesse, une moto, c’est fait pour rouler. Avec ces deux bestiaux, mieux vaut s’en rappeler, car vu leur poids, les manipuler moteur coupé est une vraie purge. Et encore, la K 16 B possède une marche arrière bien utile. Côté position de conduite, la Harley nous surprend agréablement. C’est vrai, on a les pieds en avant. C’est vrai, le guidon remonte assez haut. Et, c’est vrai, la selle n’a visuellement rien d’un canapé. Pourtant, on n’est pas mal. Un coup de démarreur et le 107 s’ébroue… gentiment. Les vibrations sont moindres que sur feu le bloc 103, mais suffisamment présentes pour rappeler qu’on est au guidon d’une Harley. Les nostalgiques devraient être comblés par le grand “glong” éructé par la boîte lorsqu’on passe la première. Et la chaleur qui rôtit le mollet droit après une vingtaine de bornes, aussi. C’est peut-être le prix à payer pour se pavaner à bord de la Road Glide. Une belle lumière de fin d’après-midi, un été indien généreux avec ses 24°, des routes quasi-désertes, 90 km/h en 6e, le twin ronronne à 2 000 tr/mn. J’ai l’impression d’être un ours en début d’hibernation. Le “potato potato” lancinant aide à caler mon rythme cardiaque sur les battements du 107. Je touche du doigt le plaisir de
Bonne voyageuse animée d’un 6-cylindres unique, la nouvelle BMW K 1600 B n’a peur ni des kilomètres, ni d’une conduite rapide
rouler en bagger. C’est smooth… C’est cool… C’est soft… Ça y est, je dors. Et me réveille en sursaut ! Un hurlement strident, une masse noire qui me frôle, c’est Michael qui pète un câble au guidon de la BMW. Le pire, c’est que je le comprends. Oui, techniquement, la K 1600 peut rouler doucement. Son 6-cylindres accepte de descendre à 900 tr/mn en 6e pour repartir sans le moindre hoquet. Mais la réalité est tout autre. A l’image d’un Jiminy Cricket maléfique, cette moto titille sans cesse votre côté obscur. Je comprends mieux pourquoi elle est noire ! On oublie les pieds en avant ; ici, on est sur une position plus traditionnelle. On oublie les battements lancinants, place aux montées en régime nerveuses. On oublie la boîte qui claque… ah non, ça, on garde. Dans l’ensemble, la conduite de la Béhème n’a rien à voir avec celle de sa rivale. Certes, il faut appréhender le poids important : la bestiole affiche tout de même 350 kg tous pleins faits. Mais la partie-cycle est infiniment plus rigoureuse, le freinage efficace et la garde au sol permet de prendre bien plus d’angle. Bref, c’est une moto moderne et, au chapitre des performances, il n’y a pas photo. Mais est-ce important pour ce type de brêles ?
ESPRIT Y ES-TU ?
Qui a déjà essayé de rouler vite au guidon d’un gros custom comprend notre interrogation. Oui, on peut le faire. C’est marrant deux secondes.
Ensuite, cela devient aussi frustrant que dangereux. Alors, quel est l’intérêt de ce type de moto ? Il y en a plusieurs. Déjà, celui d’évoluer sur une machine statutaire, tape à l’oeil et super bien équipée. Et là, la Harley repointe le bout de son museau de squale. Si la conception du moteur, des suspensions ou encore du cadre frise l’archaïsme, on ne peut pas en dire autant de l’équipement. Système audio, cruise control, kit Bluetooth, phare à leds, écran couleur de 165 mm, GPS, alarme… Et tout ça pilotable au guidon grâce à des commodos intuitifs, c’est top. Et quand, en plus, tout est de série, c’est parfait. Les mauvaises langues diront qu’à 28 390 € le morceau, c’est la moindre des choses. elles n’auront pas tout à fait tort. Car, si notre BMW d’essai s’affiche à un tarif très proche, elle en rajoute une couche : deux mappings moteur, suspensions pilotées électroniquement de type ESA, bulle électrique réglable, poignées et selles chauffantes, éclairage directionnel adaptatif, phare diurne, marche arrière… Sauf qu’ici, celui qui souhaiterait une K 16 B moins chère peut choisir la version sans option à 23 250 €. Notons toutefois que ce n’est pas cette grosse louche de technologie qui nuit à l’esprit bagger de la bavaroise. Non, ce qui fait qu’on trouve que BMW n’est pas allé au bout de son concept réside dans d’autres domaines. Comprendre la philosophie de la Road Glide, c’est simple : on roule tranquille, on profite des battements du gros 107, et on se glisse sans mal dans le mythe Harley-davidson. Mais la K 1600 B, elle sert à quoi ? Certes, elle possède quelques attributs pour se la jouer cool, elle aussi. Le design, même s’il demeure légèrement agressif, la selle basse, la bulle courte et, dans le catalogue d’options de la marque allemande, la possibilité de dénicher une paire de repose-pieds avancés qui se fixent au niveau du moteur. En toute franchise, vous y calez parfois vos arpions sur autoroute, mais dès qu’il faut accéder au frein ou au sélecteur, on a rapidement tendance à se repositionner sur les repose-pieds traditionnels. Et à y rester. Malgré tout, la part de sportivité de la BMW finit par transpirer inexorablement au fil des kilomètres. C’était déjà le cas de la K 1600 GT lorsqu’on la comparait à ses concurrentes directes. C’est encore et toujours à cause du (ou grâce au) caractère du fameux 6-cylindres en ligne. Ceux qui souhaitent un engin pépère sont prévenus. Ceux qui recherchent une grosse machine lookée, capable de voyager et légèrement énervée sur les bords, savent dorénavant qu’ils peuvent s’orienter vers cette nouvelle K 1600 Bagger. Sont-ils nombreux ? En France, entre janvier et septembre, BMW a immatriculé 636 K 1600 GT et 370 GTL. Soit environ mille K 1600. Sachant que les attentes concernant la K 1600 B représentent un tiers de ce chiffre, on pense que c’est largement jouable. En revanche, il faudra peutêtre aller piocher ailleurs que dans les quelque 500 motards qui ont craqué, depuis janvier, pour les Harleydavidson Road Glide ou Street Glide.
Quand on accepte de mettre les performances de côté, on saisit le plaisir de rouler en Harley