L’amérique du Sud, c’est une autre histoire
Nous sommes sur le point de traverser vers l’amérique du Nord. Notre bilan des cinq mois passés en Amérique du Sud tient en ces simples mots : ici, c’est une autre histoire…
Depuis l’argentine, nous sommes passés par le Chili, la Bolivie, le Pérou, l’equateur et enfin la Colombie. Seul le bouchon du Darien, une zone de 80 km de jungle impénétrable et pleine de bandits, nous sépare du Panama. Et c’est cette zone qui nous inquiète depuis des semaines. Maintenant que même les traversées en voilier appartiennent au passé, nous sommes obligés de traiter avec l’un des rares armateurs, en quête d’argent. Les premières offres de prix étaient hallucinantes : un trajet d’à peine 80 km dans un porte-conteneurs plus cher que le transport en avion depuis l’afrique du Sud. La loi de l’offre et de la demande, dit-on. Oui, oui, bien sûr… Cela fait déjà une semaine que nous courons à droite et à gauche et, chaque jour, nous nous heurtons à de nouveaux obstacles. Demain, tout devrait être en ordre, mais c’est ce qu’on nous dit déjà depuis quatre jours. Wishful thinking (pensez positif !) n’est pas un vain mot pour les Colombiens. Mais cela fait partie du voyage. Si c’est le prix à payer pour cinq mois d’aventures splendides en Amérique du Sud, nous n’allons pas nous plaindre. Car l’amérique du Sud, c’est le bonheur suprême ! Ce continent nous a fait passer de surprise en surprise. Nous avons traversé le désert le plus sec du monde, roulé sur les plus grandes salines et nous sommes restés à des altitudes de 3 500 à 5 000 m pendant plusieurs semaines. Nous sommes passés près d’un volcan qui crachait des cendres et nous avons vu des condors géants circuler au-dessus de nos têtes. Les Andes nous ont récompensés avec des vues magnifiques le long de pistes splendides, parfois assez exigeantes.
DANGER
Plus d’une fois, on nous a avertis du danger qui se cache à chaque coin de rue. Nous allions nous faire voler ou même enlever par une des nombreuses bandes de guérilla ou de bandits. Sortir un téléphone dans la rue ? T’es fou ? Tu le perdras en un clin d’oeil ! Utiliser une carte bancaire ? Mieux vaut ne pas le faire. Avec un peu de malchance, 100 mètres plus loin, ils te pointent une arme sur la tempe et ils s’en vont avec ta carte et le code. Hier encore, je me promenais dans une petite rue déserte à Carthagène, quand une jeune fille courut vers moi. Je devais vite ficher le camp, car la moto un peu plus loin m’attendait pour me braquer. Je m’en suis allé tranquillement et cette moto, je ne l’ai plus vue ensuite. Nous ne nous sommes pas trop laissés influencer par ces histoires de soi-disant dangers. Au lieu de cela, nous avons joui de gens pleins de bonnes intentions à notre égard, qui excellent dans la gentillesse, l’hospitalité et la générosité. La semaine
dernière, nous sommes arrivés à Amalfi après une piste plutôt difficile, avec deux vis des porte-bagages cassées. Les fichus petits bouts étaient tellement bien cachés que je ne pouvais pas les atteindre avec mes outils. Après 5 minutes, les locaux nous ont amenés chez Gerardo, un mécanicien aux mains d’or. Il a travaillé une heure pour retirer les deux bouts de vis et refaire le filetage des porte-bagages. Ses derniers mots ? « Es un regalo », un cadeau de notre nouvel ami. Il ne voulait pas entendre parler de paiement. La différence avec l’afrique ne pouvait être plus grande. Là, lorsqu’un gars regarde la moto à 5 m avec un tourne-à-vis en main, le prix commence déjà à grimper.
DU POULET, DU RIZ ET DES FRITES MOLLES
Hélas, le gourmet avide d’une expérience gastronomique de haut niveau sera déçu. Ici, en Colombie, nous nous trouvons
au bord de la mer des Caraïbes et la cuisine est – pour la première fois depuis longtemps – bonne et assez variée. Du poisson et des fruits de mer, parfumés avec de la noix de coco et un jus frais, à un prix pour lequel on n’achète même pas une demi-carotte chez nous. Mais les autres régions – à part les mamans boliviennes sur les marchés – étaient souvent décevantes. Du poulet avec du riz ou du riz avec du poulet, des tripes avec des frites molles ou sept sauces hypersucrées dans un petit pain avec une fine tranche de viande qu’on appelle hamburger. Une pizza pas croustillante avec du fromage rassis ou du pain qui serait certainement interdit sur la route chez nous car il pourrait être une arme… Des légumes, on en trouve surtout aux marchés. Nous n’avons toujours pas découvert ce qu’on en fait. J’ai rencontré un type plutôt louche qui m’a dit : « Psssst, soupe de légumes, 50 000 pour un gramme… »
HUMIDE, MOUILLÉ, TREMPÉ
Nous avons traversé l’afrique pendant la saison des pluies et ce n’était pas si terrible. Nous nous attendions à la même chose en Amérique du Sud. Mais le fait d’avoir été trempés pendant plus d’une semaine, d’avoir enfilé des vêtements mouillés et chaussé des bottes humides chaque matin, pour ensuite glisser sur la boue pendant des centaines de kilomètres, nous a appris une chose : ici, c’est une autre histoire. Ici, il y a un mauvais génie rusé qui gère le climat, qui passe sans sourciller de fortes pluies et de températures glaciales à une température dans laquelle même un chameau aurait une attaque. Nous n’avions jamais vu autant de pluie auparavant. Bien sûr, la forêt tropicale est connue pour cela, mais de temps en temps, nous aurions donné de l’argent pour une journée plus sèche. Nos monocylindres ont remarquablement bien tenu le coup les derniers 10 000 km. L’essence douteuse en Bolivie et au Pérou a fait place à la bonne coco pure en Equateur et Colombie. Fini les filtres bouchés, les injecteurs sales et les pompes à essence mourantes. Nos Huskies suivent à nouveau un régime de 90 octanes, 95 lorsque nous avons de la chance, et cela leur fait du bien. La roue avant a à nouveau envie de s’élever et les dos-d’âne ne sont plus une source d’irritation, mais d’amusement. Donner du gaz, accélérer et puis 20 secondes d’adrénaline quand mon cheval d’acier saute habilement pardessus ces bosses autrefois ennuyeuses. Les applaudissements et cris d’excitation des passants sont la cerise sur le gâteau. Eh oui, boys will be boys… Des crashs, des chutes, des dérapages… Nous en avons déjà eu quelques-uns. C’est inévitable quand on fait du toutterrain. On ne sait jamais ce qu’il y a derrière le virage : un grand trou, une zone de boue glissante, un quelconque animal. Deux déboires m’ont fait baiser le sol, deux fois sur le goudron. Mon énième pneu crevé s’est séparé de ma jante avant que je ne puisse m’arrêter. Ma Husky allait dans tous les sens comme un cochon saoul pour enfin finir sur le flanc dans le caniveau à côté d’une falaise. Je me suis soudainement souvenu pourquoi nous portons un harnais de protection. Une autre fois, ce fut un camion énorme qui enfreignait toutes les règles de circulation en prenant ma voie pour la sienne. Il m’a professionnellement poussé dans le fossé, après avoir testé mon coffre en alu. Heureusement, à part une bosse dans mon coffre, la moto et moi-même en sommes sortis indemnes. J’ai eu de la chance, encore une fois.