NOS EX
L’histoire de la BSA Rocket III, c’est l’exaspérante histoire de l’industrie anglaise qui organise son propre naufrage au début des années 70.
BSA Rocket III
Avec des “si”, la Rocket III aurait pu être la première superbike sur un marché en pleine évolution. Malheureusement, son interminable gestation laissait la place libre à la Honda CB 750, une machine « moderne » qui allait précipiter la désagrégation de l'empire motocycliste grand-breton. En Angleterre, la tradition est quelque chose de sacré. Par définition, l'archétype de la moto anglaise de ces années-là, est un vertical twin à boîte séparée. Poussé à 650 cm3, il commence à atteindre ses limites, en termes de fiabilité et de performance. Dès le début des années 60, deux ingénieurs de Triumph, Bert Hopwood et Doug Hele, réfléchissent à un nouveau moteur de plus forte cylindrée offrant un niveau de vibrations réduit. En dégustant un Earl Grey, ils imaginent un 3-cylindres en ajoutant un cylindre et deux paliers
de vilebrequin au bicylindre existant, mais la (très conservatrice) direction de l'usine n'est pas persuadée de la rentabilité de l'opération. Les deux ingénieurs décident de continuer le développement de ce concept sans le soutien de l'usine. Un premier prototype monté dans un cadre de Bonneville apparaît en 1965. Un an plus tard, il est suivi d'un second prototype équipé d'un moteur 3-cylindres de 740 cm3 avec une transmission primaire par chaîne. Quel aurait été le succès d'une telle machine face à quelques japonaises de 350 ou 450 cm3 et quelques vieux twins british ? En avance sur son temps, cette moto aurait connu un succès légitime et elle aurait permis à l'industrie anglaise de prolonger son existence. Mais il y a un “mais” et nos amis Britons ont préféré choisir la tragédie shakespearienne.
LA FIN DE L’EMPIRE
Ce projet, dont la conception est pour le moins compliquée, est repoussé indéfiniment jusqu'à ce que les rumeurs concernant l'arrivée imminente d'une Honda de forte cylindrée poussent les Anglais à sortir de leur léthargie. Conçue par Triumph, la Trident est transformée en A75 Rocket III à la demande insistante de BSA (BSA a acquis Triumph en 1951 et les deux camps se détestent cordialement). L'affaire se corse quand certaines têtes “pensantes” décident que les deux machines doivent afficher leur propre personnalité. Chez BSA, on dessine alors un nouveau bas moteur permettant d'obtenir une inclinaison des cylindres de 12° alors que le moteur de la Triumph arbore des cylindres verticaux ! Le dessin des carters de boîte est également différent, de façon à bien souligner l'appartenance à telle ou telle lignée. Enfin, la BSA possède un cadre double berceau complètement différent de celui de sa cousine. Imaginez le gâchis en termes de délais et de livres sterling au sein d'entreprises déjà en piteux état ! Cerise sur le gâchis, la BSA et la Triumph sont équipées d'un frein à tambour à l'avant et d'une boîte à quatre rapports au moment où les freins à disque, les boîtes 5… et les démarreurs électriques sont en passe de devenir un nouveau standard.
Ces machines, qui doivent marquer une rupture avec le passé, voient leur design confié à un cabinet extérieur qui n'a aucune expérience de la moto. La société Ogle a construit sa réputation dans le design industriel, notamment dans le secteur de l'automobile. Si, aujourd'hui, on trouve ces motos plutôt réussies, à l'époque, le résultat final est jugé décevant. On leur reproche des lignes trop massives (avec un réservoir surnommé bread bin ou boîte à pain) ou des silencieux d'échappement ridicules (les fameux Ray Guns que, personnellement, j'adore !), etc. Dans le même temps, Don Brown, le directeur de BSA aux Etats-unis, décide de financer en secret l'étude d'un prototype plus en phase avec les goûts du marché américain. Cela débouchera sur la magnifique Triumph Hurricane (entre-temps, la marque BSA a disparu), qui ne connaîtra pas non plus un grand succès. Ça part dans tous les sens, mais
surtout pas dans celui de l'efficacité... Les ventes ne sont pas à la hauteur des attentes de la direction et il faudra attendre 1971 pour que la Rocket III soit profondément modifiée (cadre, fourche, freins, habillage, pots d'échappement, etc...) mais c'est définitivement trop tard. Avec la Honda CB 750 (1969), puis les Kawasaki 750 H2 et 900 Z1 (1972), l'industrie japonaise a imposé de nouveaux standards en termes de performances, de fiabilité, d'esthétique et de prix. Les motards du monde entier se laissent séduire par ces machines innovantes. La messe est dite…
DE PÈRE EN FILS
C'est pour des raisons familiales que Philippe Monneret possède trois exemplaires du trois-pattes anglais (une Trident de 1969 et deux Rocket III de 1969 et 1971). « A la fin des années 60, mon père travaillait à la CGCIM, qui importait les Triumph et les BSA en France. » Georges Monneret prend son rôle de père à coeur et emmène son fiston partout. C'est comme ça que Philippe fait la connaissance de Paul Smart à Montlhéry, et effectue ses débuts de passager sur une Triumph Trident. « En février 1971, mon père a réenfilé son cuir pour battre des records avec une BSA Rocket III sur l’anneau de Montlhéry. Il était alors âgé de 62 ans et j’étais là. » Autant vous dire que Philippe tient à ses motos et qu'on se sent une certaine responsabilité en enfourchant la BSA. Le trois-pattes démarre facilement, après avoir tourné la clé de contact (positionnée sur la patte du phare, côté droit) et titillé les deux carbus extérieurs. Aaaaaaaah, qui n'a pas connu la délicieuse sensation de l'essence dégoulinant sur ses doigts ne peut pas se prétendre motard ! La première (à droite et en bas) passe par l'intermédiaire d'un court sélecteur et c'est parti. On roule sans ressentir de vibrations et le moteur tracte de façon agréable. Ça pousse sévère dès les plus bas régimes, dans une sonorité enchanteresse. Ce n'est pas pour rien que les BSA de course ont marqué les esprits (et les tympans) d'une génération de mélomanes. La BSA Rocket III est faite pour galoper sur de belles nationales dégagées. Intrinsèquement, elle est bien supérieure à ses concurrentes anglaises. Pas de vibrations destructrices (mais surveillons la boulonnerie), le moteur prend ses tours avec ampleur et elle se balance avec aisance dans une symphonie fantastique. La selle est confortable à souhait. Ne parlons pas des freins indigents qui, à l'époque, donnaient satisfaction sur une moto mesurée à 190 km/h à Montlhéry. Pour rassurer les détracteurs des motos anglaises, la BSA souffre d'une béquille latérale insaisissable, est dépourvue de clignotant, n'aime pas beaucoup la ville et on en passe. Mais quel moteur ! Quelle patate ! Quel bruit ! C'était il y a près de 50 ans. On vieillit et on ne s'aperçoit pas que ces machines des années 70 rentrent tranquillement au musée. Si les patrons des firmes anglaises avaient eu plus de bon sens, ils auraient pu reculer l'échéance face à des marques japonaises décidées à conquérir le monde.