(DURE) LUTTE DES CLASSES
Entre la bourgeoise Tiger 1200 XRT et l'humble Versys 1000, c'est un peu la lutte des classes qui se joue, à l'image des 4600 € qui les séparent. Mais pour traverser la France d'une traite sans sourciller, la différence est-elle justifiée entre ces deux g
Les nantis contre les besogneux. Les bourges contre les prolos, les ouvriers contre les patrons, on connaît la chanson depuis Karl Marx. Tout le monde n'est effectivement pas logé à la même enseigne dans nos sociétés modernes. Ni dans le monde de la moto d'ailleurs. Regardez par exemple dans la catégorie des gros trails, celle qui ne cesse de progresser depuis quelques années. Vous avez d'un côté de récentes productions luxueuses bourrée de technologie flirtant avec les 20 000 boules, et de l'autre, des motos plus modestes, moins flamboyantes mais aussi beaucoup moins chères. Ces motos, pas lowcost pour autant, sont appréciées des gros rouleurs qui placent le budget au sommet de la colonne « critères de choix ». Si on pense spontanément à une machine comme la Suzuki 1000 V-strom pour illustrer ce cas de figure, la Kawasaki Versys 1000 peut légitimement être citée en exemple. A partir de 13 200 euros, même si ça fait chérot pour un smicard, on peut s'offrir cette 1000 plus que sérieuse, dotée d'une bonne réputation et d'un 4-cylindres de choix. Comme on est des salauds de privilégiés à MJ, on l'a choisie dans sa version Grand Tourer, mieux équipée, moyennant 2000 euros supplémentaires. Ce pack complet comprend des feux additionnels, des patins de protection, des protège- mains, une prise 12 Volts, un top-case de 47 litres et des valises (produits par Givi). L'ensemble a donc du répondant dans l'optique du voyage. Techniquement, la Kawa possède le minimum en termes d'électronique, comme son antipatinage KTRC (Kawasaki Traction Control) réglable sur 3 niveaux, et ses deux modes de puissance low/full. Son embrayage assisté rend par ailleurs le rétrogradage plus progressif. Au final, la Versys fait les choses simplement mais sans passer à côté de l'essentiel.
Et pour de nombreux motards, cette sobriété est plus une qualité qu'un handicap. Sa rivale anglaise du jour ne joue pas dans la même cour. Face à la nippone de classe moyenne, la riche anglaise rivalise de technologie et d'équipement pour lui en coller plein la vue. Déjà, sa finition est bien plus soignée que celle de la Kawasaki et ses plastiques durs. Ensuite, question électronique, la Triumph est aujourd'hui le trail qui en est le plus doté, au même niveau que la très sophistiquée Ducati Multistrada. C'est bien simple, elle a tout : cinq modes de conduite dont un personnalisable, des suspensions pilotées, un régulateur de vitesse, un ABS de virage, la fonction anti-recul au démarrage, l'éclairage full leds avec feux adaptatifs en virages, un shifter up & down, sans oublier le démarrage sans clé, les sièges chauffants, la bulle à relevage électrique et son super tableau de bord à dalle TFT à affichage multiple. Cette liste à la Prévert s'accompagne d'un look type GS très baroudeur dans l'âme quand sa rivale reprend la forme de carénage caractéristiques des routières maison, Ninja et Z1000 SX. Sans livrer de verdict définitif, on peut cependant affirmer que la Versys, dans sa partie arrière, n'est pas une bête à concours d'élégance. Surtout quand les valises ont été retirées, laissant bien en évidence le disgracieux silencieux. Sur le papier, comme on dit, y'a donc pas match. L'une est à la pointe de la modernité quand l'autre se contente du minimum… syndical. Enfin presque.
DEUX MOTEURS, DEUX STYLES
Adventure ou gros trails, quelle que soit l'appellation, on l'emploie à mauvais escient surtout lorsque, comme la Versys 1000 et la Tiger 1200 XRT, ces motos de respectivement 252 et 267 kg sur notre bascule, sont flanquées de roues avant de 17 ou 19 pouces, et de pneus au profil sport-gt. Des deux, la Kawa reste incontestablement la plus routière avec son pneu arrière de 180 et ses débattements de 150 mm dignes d'un roadster, qui dissuadent d'emblée d'aller musarder en chemin. Pourtant la bestiole n'est pas beaucoup moins haute que la Triumph, dont la selle peut s'abaisser à 835 mm.
Dans ce cas, on se trouve alors assis « dans » la moto avec un guidon un peu trop cintré aux extrémités, qui relève les bras. Sur ce point, la Versys est plus naturelle. La Tiger est surtout plus lourde que la Kawa et c'est là son principal défaut, malgré l'annonce (triomphale) de la marque qui se targue d'avoir gagné 11 kilos sur le modèle précédent. Cette Tiger possède une silhouette assez impressionnante, intimidante en tous cas pour un petit gabarit qui peut se demander comment il va maîtriser ce bestiau. Dès les premiers km/h, les choses redeviennent pourtant normales et la Triumph fait alors apprécier sa douceur mécanique, la souplesse de son 3-cylindres et son assise très confortable. Bien protégé derrière le large pare-brise, la Tiger donne le sentiment de piloter une pure GT, tant le cocon formé autour du pilote est protecteur. Les premiers kilomètres permettent de jouer avec les différents boutons pour paramétrer la moto à son goût. Par raison, on évite d'en abuser pour mieux se concentrer sur la conduite et apprécier la formidable douceur du shifter à la montée comme à la descente des rapports. Du velours. Le 1 200 cm3 de 130 ch réels n'est jamais en manque de coffre. Il tracte dès les plus bas régimes et allonge sa foulée sans faiblir. Mais contrairement au bloc 1050 des Speed et Tiger Sport, il est plus dans la force tranquille que dans l'explosivité. Son charme vient de son onctuosité même si le son qui s'échappe de son silencieux Arrow Titane racle un poil. Avec 14 chevaux de moins, n'allez pourtant pas croire que le 4-cylindres Kawasaki rende les armes. Que nenni. Ce bloc, comme Kawasaki en a le secret, rivalise d'efficacité et d'agrément. Une sorte d'élastique qu'on prend plaisir à tendre et à lâcher d'un coup. Non seulement il est velouté dans la partie basse du compte-tours, mais il affiche en plus une forme éclatante, en répondant au quart de tour dès qu'on le sollicite
vers 4 000 puis 600 tr/mn. Hormis des vibrations sensibles vers 6 000 tours, c'est vraiment le 4-cylindres dans ce qu'il a de meilleur. Du reste, jetez un oeil aux perfs. On constate que le 1 000 de 120 ch et 10 mkg fait mieux quasiment partout que le 3-cylindres 1 200 de 130 ch et 11 mkg. Petite précision, ces chiffres sont ceux de la version 106 ch d'avant la fin du bridage. OK ? A la conduite, ce caractère plus relevé de la Kawa fait qu'on s'amuse plus sur les routes de campagne, d'autant que l'ensemble boîte-embrayage fonctionne à merveille, faisant totalement oublier l'absence de shifter. En outre, le 4-cylindres consomme moins que son homologue anglais. Quasi un demi-litre de moins qui permet, avec un litre de plus dans le réservoir (21 l), de dépasser les 350 bornes d'autonomie.
JEU ET SÉRÉNITÉ
Sur les monts du Lyonnais, la température est brusquement remontée, séchant la route pour notre plus grand plaisir. La Versys, assez protectrice avec sa bulle relevée, en profite pour faire apprécier la vivacité de son train avant guidé par la roue de 17. Ça n'est certes pas le tranchant de sa frangine ZX-10R, mais c'est suffisant pour l'inscrire en virage avec autorité et précision. Ses suspensions réagissent plutôt bien, assurant un confort plus que convenable, selle comprise, même si sur les gros chocs, elles ont tendance à réagir sèchement. Pas de réglage électronique comme sur la Triumph, mais une bonne accessibilité à l'image de la molette du combiné arrière. La Kawa, ignorant l'effet cheval à bascule, affiche en tous cas une belle sérénité en petits virages comme dans les grandes enfilades, avec un don pour vous donner envie de changer de rythme aussitôt que
le tracé s'y prête. Seul le mordant timide à la prise du levier de frein avant peut déranger en cas de roulage rapide. Plus légère et moins haute que l'anglaise, la Kawa s'emmène plus à l'instinct que sa rivale.
EFFICACITÉ A L'ANGLAISE
La Triumph, c'est la sérénité même. Tel un gros vaisseau, la Tiger vous emmène au bout du monde dans un confort princier, parfaitement à l'abri des intempéries. Son électronique bien calibrée se fait discrète mais rassurante grâce aux modes de conduite bien différenciées qui gèrent tous ses niveaux d'intervention. Naturellement, le mode road accompagne une conduite en souplesse. Toutefois, si on veut plus de dynamisme avec ce bloc bien rempli mais assez linéaire, le mode sport peut s'utiliser sans modération. La Tiger, sur le fond, malgré tout son attirail électronique, reste une moto plus pragmatique que naturellement joueuse. Son côté bourgeois qui ressortirait ? La rigueur de son comportement et la puissance de son freinage permettent de rouler vite sans se faire chahuter. Bien sûr, son poids est important et on ne peut l'oublier en roulant. C'est précisément cet embonpoint qui ôte de la spontanéité à la Tiger et qui la rend au final moins fun qu'une GS, une Multi ou tiens, une Versys ! Pourtant ses débattements généreux ne génèrent pas de gros transferts de masse. L'asservissement des suspensions fonctionne ici en douceur suivant le profil de la route et s'adapte du bout du doigt, si besoin, à de nouvelles conditions de charge, bagages et/ou passager. L'efficacité reste le maître mot sur cette confortable Tiger qui joue délibérément dans le registre d'une GT. La Versys, sans le faste de l'anglaise, s'approche davantage d'un roadster plus haut sur pattes. Ils ont beau évoluer dans des registres différents, le plaisir de rouler qu'elles diffusent et leur capacité à voyager sereinement plaide largement la cause du maxi trail. Ce n'est qu'une question de moyens. On n'y revient pas !