Moto Journal

(DURE) LUTTE DES CLASSES

Entre la bourgeoise Tiger 1200 XRT et l'humble Versys 1000, c'est un peu la lutte des classes qui se joue, à l'image des 4600 € qui les séparent. Mais pour traverser la France d'une traite sans sourciller, la différence est-elle justifiée entre ces deux g

- Par Xavier de Montchenu, photos Alex Krassovsky

Les nantis contre les besogneux. Les bourges contre les prolos, les ouvriers contre les patrons, on connaît la chanson depuis Karl Marx. Tout le monde n'est effectivem­ent pas logé à la même enseigne dans nos sociétés modernes. Ni dans le monde de la moto d'ailleurs. Regardez par exemple dans la catégorie des gros trails, celle qui ne cesse de progresser depuis quelques années. Vous avez d'un côté de récentes production­s luxueuses bourrée de technologi­e flirtant avec les 20 000 boules, et de l'autre, des motos plus modestes, moins flamboyant­es mais aussi beaucoup moins chères. Ces motos, pas lowcost pour autant, sont appréciées des gros rouleurs qui placent le budget au sommet de la colonne « critères de choix ». Si on pense spontanéme­nt à une machine comme la Suzuki 1000 V-strom pour illustrer ce cas de figure, la Kawasaki Versys 1000 peut légitimeme­nt être citée en exemple. A partir de 13 200 euros, même si ça fait chérot pour un smicard, on peut s'offrir cette 1000 plus que sérieuse, dotée d'une bonne réputation et d'un 4-cylindres de choix. Comme on est des salauds de privilégié­s à MJ, on l'a choisie dans sa version Grand Tourer, mieux équipée, moyennant 2000 euros supplément­aires. Ce pack complet comprend des feux additionne­ls, des patins de protection, des protège- mains, une prise 12 Volts, un top-case de 47 litres et des valises (produits par Givi). L'ensemble a donc du répondant dans l'optique du voyage. Techniquem­ent, la Kawa possède le minimum en termes d'électroniq­ue, comme son antipatina­ge KTRC (Kawasaki Traction Control) réglable sur 3 niveaux, et ses deux modes de puissance low/full. Son embrayage assisté rend par ailleurs le rétrograda­ge plus progressif. Au final, la Versys fait les choses simplement mais sans passer à côté de l'essentiel.

Et pour de nombreux motards, cette sobriété est plus une qualité qu'un handicap. Sa rivale anglaise du jour ne joue pas dans la même cour. Face à la nippone de classe moyenne, la riche anglaise rivalise de technologi­e et d'équipement pour lui en coller plein la vue. Déjà, sa finition est bien plus soignée que celle de la Kawasaki et ses plastiques durs. Ensuite, question électroniq­ue, la Triumph est aujourd'hui le trail qui en est le plus doté, au même niveau que la très sophistiqu­ée Ducati Multistrad­a. C'est bien simple, elle a tout : cinq modes de conduite dont un personnali­sable, des suspension­s pilotées, un régulateur de vitesse, un ABS de virage, la fonction anti-recul au démarrage, l'éclairage full leds avec feux adaptatifs en virages, un shifter up & down, sans oublier le démarrage sans clé, les sièges chauffants, la bulle à relevage électrique et son super tableau de bord à dalle TFT à affichage multiple. Cette liste à la Prévert s'accompagne d'un look type GS très baroudeur dans l'âme quand sa rivale reprend la forme de carénage caractéris­tiques des routières maison, Ninja et Z1000 SX. Sans livrer de verdict définitif, on peut cependant affirmer que la Versys, dans sa partie arrière, n'est pas une bête à concours d'élégance. Surtout quand les valises ont été retirées, laissant bien en évidence le disgracieu­x silencieux. Sur le papier, comme on dit, y'a donc pas match. L'une est à la pointe de la modernité quand l'autre se contente du minimum… syndical. Enfin presque.

DEUX MOTEURS, DEUX STYLES

Adventure ou gros trails, quelle que soit l'appellatio­n, on l'emploie à mauvais escient surtout lorsque, comme la Versys 1000 et la Tiger 1200 XRT, ces motos de respective­ment 252 et 267 kg sur notre bascule, sont flanquées de roues avant de 17 ou 19 pouces, et de pneus au profil sport-gt. Des deux, la Kawa reste incontesta­blement la plus routière avec son pneu arrière de 180 et ses débattemen­ts de 150 mm dignes d'un roadster, qui dissuadent d'emblée d'aller musarder en chemin. Pourtant la bestiole n'est pas beaucoup moins haute que la Triumph, dont la selle peut s'abaisser à 835 mm.

Dans ce cas, on se trouve alors assis « dans » la moto avec un guidon un peu trop cintré aux extrémités, qui relève les bras. Sur ce point, la Versys est plus naturelle. La Tiger est surtout plus lourde que la Kawa et c'est là son principal défaut, malgré l'annonce (triomphale) de la marque qui se targue d'avoir gagné 11 kilos sur le modèle précédent. Cette Tiger possède une silhouette assez impression­nante, intimidant­e en tous cas pour un petit gabarit qui peut se demander comment il va maîtriser ce bestiau. Dès les premiers km/h, les choses redevienne­nt pourtant normales et la Triumph fait alors apprécier sa douceur mécanique, la souplesse de son 3-cylindres et son assise très confortabl­e. Bien protégé derrière le large pare-brise, la Tiger donne le sentiment de piloter une pure GT, tant le cocon formé autour du pilote est protecteur. Les premiers kilomètres permettent de jouer avec les différents boutons pour paramétrer la moto à son goût. Par raison, on évite d'en abuser pour mieux se concentrer sur la conduite et apprécier la formidable douceur du shifter à la montée comme à la descente des rapports. Du velours. Le 1 200 cm3 de 130 ch réels n'est jamais en manque de coffre. Il tracte dès les plus bas régimes et allonge sa foulée sans faiblir. Mais contrairem­ent au bloc 1050 des Speed et Tiger Sport, il est plus dans la force tranquille que dans l'explosivit­é. Son charme vient de son onctuosité même si le son qui s'échappe de son silencieux Arrow Titane racle un poil. Avec 14 chevaux de moins, n'allez pourtant pas croire que le 4-cylindres Kawasaki rende les armes. Que nenni. Ce bloc, comme Kawasaki en a le secret, rivalise d'efficacité et d'agrément. Une sorte d'élastique qu'on prend plaisir à tendre et à lâcher d'un coup. Non seulement il est velouté dans la partie basse du compte-tours, mais il affiche en plus une forme éclatante, en répondant au quart de tour dès qu'on le sollicite

vers 4 000 puis 600 tr/mn. Hormis des vibrations sensibles vers 6 000 tours, c'est vraiment le 4-cylindres dans ce qu'il a de meilleur. Du reste, jetez un oeil aux perfs. On constate que le 1 000 de 120 ch et 10 mkg fait mieux quasiment partout que le 3-cylindres 1 200 de 130 ch et 11 mkg. Petite précision, ces chiffres sont ceux de la version 106 ch d'avant la fin du bridage. OK ? A la conduite, ce caractère plus relevé de la Kawa fait qu'on s'amuse plus sur les routes de campagne, d'autant que l'ensemble boîte-embrayage fonctionne à merveille, faisant totalement oublier l'absence de shifter. En outre, le 4-cylindres consomme moins que son homologue anglais. Quasi un demi-litre de moins qui permet, avec un litre de plus dans le réservoir (21 l), de dépasser les 350 bornes d'autonomie.

JEU ET SÉRÉNITÉ

Sur les monts du Lyonnais, la températur­e est brusquemen­t remontée, séchant la route pour notre plus grand plaisir. La Versys, assez protectric­e avec sa bulle relevée, en profite pour faire apprécier la vivacité de son train avant guidé par la roue de 17. Ça n'est certes pas le tranchant de sa frangine ZX-10R, mais c'est suffisant pour l'inscrire en virage avec autorité et précision. Ses suspension­s réagissent plutôt bien, assurant un confort plus que convenable, selle comprise, même si sur les gros chocs, elles ont tendance à réagir sèchement. Pas de réglage électroniq­ue comme sur la Triumph, mais une bonne accessibil­ité à l'image de la molette du combiné arrière. La Kawa, ignorant l'effet cheval à bascule, affiche en tous cas une belle sérénité en petits virages comme dans les grandes enfilades, avec un don pour vous donner envie de changer de rythme aussitôt que

le tracé s'y prête. Seul le mordant timide à la prise du levier de frein avant peut déranger en cas de roulage rapide. Plus légère et moins haute que l'anglaise, la Kawa s'emmène plus à l'instinct que sa rivale.

EFFICACITÉ A L'ANGLAISE

La Triumph, c'est la sérénité même. Tel un gros vaisseau, la Tiger vous emmène au bout du monde dans un confort princier, parfaiteme­nt à l'abri des intempérie­s. Son électroniq­ue bien calibrée se fait discrète mais rassurante grâce aux modes de conduite bien différenci­ées qui gèrent tous ses niveaux d'interventi­on. Naturellem­ent, le mode road accompagne une conduite en souplesse. Toutefois, si on veut plus de dynamisme avec ce bloc bien rempli mais assez linéaire, le mode sport peut s'utiliser sans modération. La Tiger, sur le fond, malgré tout son attirail électroniq­ue, reste une moto plus pragmatiqu­e que naturellem­ent joueuse. Son côté bourgeois qui ressortira­it ? La rigueur de son comporteme­nt et la puissance de son freinage permettent de rouler vite sans se faire chahuter. Bien sûr, son poids est important et on ne peut l'oublier en roulant. C'est précisémen­t cet embonpoint qui ôte de la spontanéit­é à la Tiger et qui la rend au final moins fun qu'une GS, une Multi ou tiens, une Versys ! Pourtant ses débattemen­ts généreux ne génèrent pas de gros transferts de masse. L'asservisse­ment des suspension­s fonctionne ici en douceur suivant le profil de la route et s'adapte du bout du doigt, si besoin, à de nouvelles conditions de charge, bagages et/ou passager. L'efficacité reste le maître mot sur cette confortabl­e Tiger qui joue délibéréme­nt dans le registre d'une GT. La Versys, sans le faste de l'anglaise, s'approche davantage d'un roadster plus haut sur pattes. Ils ont beau évoluer dans des registres différents, le plaisir de rouler qu'elles diffusent et leur capacité à voyager sereinemen­t plaide largement la cause du maxi trail. Ce n'est qu'une question de moyens. On n'y revient pas !

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 ??  ?? La Tiger 1200 a certes perdu du poids, mais sa faiblesse reste encore son gabarit. Pour autant, la Triumph affiche de solides qualités dynamiques et un confort de premier ordre.
La Tiger 1200 a certes perdu du poids, mais sa faiblesse reste encore son gabarit. Pour autant, la Triumph affiche de solides qualités dynamiques et un confort de premier ordre.
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 ??  ?? La Tiger offre une protection nettement plus généreuse pour le buste et la tête que la Versys, qui diminue déjà bien la pression de l'air. Notez l'éclairage additionne­l sur les deux motos.
La Tiger offre une protection nettement plus généreuse pour le buste et la tête que la Versys, qui diminue déjà bien la pression de l'air. Notez l'éclairage additionne­l sur les deux motos.
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 ??  ?? Sans rivaliser avec le niveau d'équipement de la Triumph, la Versys séduit par son agrément de conduite tout en offrant un bon confort. Dans l'esprit, elle est plus proche d'un roadster que l'anglaise.
Sans rivaliser avec le niveau d'équipement de la Triumph, la Versys séduit par son agrément de conduite tout en offrant un bon confort. Dans l'esprit, elle est plus proche d'un roadster que l'anglaise.
 ??  ?? On s'aperçoit ici des différence­s de position. Logiquemen­t, la Versys, plus routière avec ses 150 mm de débattemen­ts et sa roue de 17, induit une position légèrement plus sur l'avant.
On s'aperçoit ici des différence­s de position. Logiquemen­t, la Versys, plus routière avec ses 150 mm de débattemen­ts et sa roue de 17, induit une position légèrement plus sur l'avant.
 ??  ?? Même lorsque les conditions climatique­s sont difficiles, ces gros trails assurent un confort appréciabl­e, que ce soit par leur conviviali­té à bord ou par leurs assistance­s électroniq­ues rassurante­s.
Même lorsque les conditions climatique­s sont difficiles, ces gros trails assurent un confort appréciabl­e, que ce soit par leur conviviali­té à bord ou par leurs assistance­s électroniq­ues rassurante­s.

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