Moto Journal

GP DE CATALOGNE

Lorenzo récidive

- Par notre envoyé spécial Thomas Baujard, photos Gold and Goose et DR

Conférence de presse qualif’. Assis juste en face de Lorenzo, je prends le micro et tente ma chance : « Jorge, au Mugello, tu nous as expliqué que ton réservoir plus large était la dernière pièce qui manquait au puzzle sur ta GP18. Et qu’elle te permettait à nouveau d’être compétitif. Après une victoire en Italie, tu enchaînes par une pole ici (sa première sur Ducati et sa première depuis Valence 2016, sa dernière course sur Yamaha). Y a-t-il d’autres éléments qui expliquent ta performanc­e ici ? – Non. C’était juste ce qui me manquait pour ne plus me fatiguer sur la moto et garder ma vitesse plus longtemps. Je sais que beaucoup de gens ont du mal à me croire, ajoute-t-il dans un sourire à mon attention. Mais c’est la vérité. » Oui, Jorge, comme lorsque tu m’as expliqué que tu portais un airbag à Motegi il y a deux ans, alors que tu n’en portais pas. Il n’empêche que ce coup-ci, l’espagnol dit sans doute vrai, le pilotage d’une motogp au topniveau étant fait d’une multitude de petits détails. Et que ce détail crucial est la différence entre avoir de la vitesse en début de course et la conserver durant sa totalité. Avoir une bonne préhension de la moto au freinage lui permet en outre de se relâcher sur la moto et de retrouver sa légendaire fluidité en piste. Les pros ne s’y trompent pas : Johann Zarco, vendredi à l’issue des deux premières séances d’essais : « Lorenzo a compris quelque chose. En pneus neufs, il est vite, en pneus usés, il est vite. » Samedi matin, en bord de piste aux côtés de Nobuastu Aoki, troisième en GP 500 en 1997, devenu pilote de développem­ent pour Suzuki : « Lorenzo est le plus efficace dans l’enchaîneme­nt de virages 10, 11, 12. Il roule comme il le faisait dans ses meilleures années Yamaha. Très précis en trajectoir­e, avec beaucoup de vitesse de passage. »

MACHINE À GAGNER

La conférence de presse qualif est désormais terminée et, dans un coin de la salle, j’avise un monsieur d’une soixantain­e d’années. C’est Chicho Lorenzo, le papa de Jorge, qui le coache depuis qu’il est âgé de trois ans, et continue de faire le même boulot dans différente­s écoles de pilotage du pays. On commence à causer, et il me montre d’anciennes photos de ses 140 élèves parmi lesquels on compte Joan Mir, Augusto Fernandez et quantité d’autres pilotes qui sévissent aujourd’hui en GP. A soixante ans (il est né en 1958 à Caracas, au

Venezuela, de parents immigrés de Galice et a rejoint Palma de Majorque à 27 ans), Chicho a gardé cette passion pour le pilotage. Il s’apprête d’ailleurs à ouvrir une nouvelle école à Madrid. Une passion, voire une obsession, qu’il a transmise à son fils. De manière aussi scientifiq­ue qu’autoritair­e, privant d’enfance et d’adolescenc­e son rejeton, mais le transforma­nt ainsi en machine à gagner. « Chicho, tu penses vraiment

qu’un simple réservoir peut métamorpho­ser le pilotage d’une Ducati ? – Oui, parce qu’il ne s’agit pas de gagner sept dixièmes au tour d’un coup, mais de maintenir un rythme sur la durée d’une course. – OK, je comprends. Autre question. Jorge a passé un an et demi à s’adapter à la Ducati. Un processus long et difficile. Penses-tu qu’il soit capable de faire de même avec la Honda en 2019 ? – Je pense que oui. Regarde sa première moto

« Je pense que Valentino aurait pu gagner des courses sur ma Ducati. C’est un champion. » Jorge Lorenzo

de Grands Prix, la Derbi. Il y a eu plein de bons pilotes comme Alzamora, mais personne n’est arrivé à gagner avec la Derbi. Sauf Jorge. » Chicho oublie Youichi Ui, qui a gagné quatre GP sur la moto espagnole en 2001, mais c’est vrai que son fiston n’a pas fait semblant, en remportant trois courses au guidon de la “Débris” 2-temps dès sa troisième saison de GP, en 2004. Une statistiqu­e remarquabl­e dans la mesure où Jorge, microscopi­que comme Marquez à l’époque, n’était âgé que de 17 ans. « En 250, il a à nouveau dû modifier son pilotage pour passer de la Honda à l’aprilia, qui était, il est vrai, plus naturelle pour lui. Sur la Ducati, il a dû faire le chemin inverse, réapprendr­e à freiner plus tard et à casser ses trajectoir­es pour profiter de la puissance de la Desmosedic­i à l’accélérati­on. En passant sur la RCV, il aura besoin de rouler pour la comprendre, mais il sera encore une fois capable de s’adapter. »

L’OBSTACLE MARQUEZ

En face de lui à Montmelo, Jorge a pourtant un féroce adversaire en la personne de Marc Marquez, qui, après sa chute en course du Mugello, a à coeur de briller devant son public. « Le circuit de Catalunya est compliqué pour moi. Mais je ne connais qu’une seule façon de piloter, à la limite. Dès la première séance libre, au troisième tour, j’étais déjà en 1’39”0 [la pole est en 1’38”680 !]. Ça me permet d’identifier les problèmes et de travailler dessus. » Illustrati­on en quatrième séance libre, avec un nouveau rattrapage miraculeux : trois pertes d’adhérence consécutiv­es sur près de cinquante mètres dans le virage 14 en descente, à près de 160 km/h coude par terre. « Mon plus beau sauvetage jusqu’ici, rigole Marc. On travaille cette technique pour l’améliorer. J’ai même un nouveau slider de coude plus important que m’a fabriqué Alpinestar­s, car, quand le cuir accroche le bitume, ça tire le bras en arrière au lieu de glisser. Néanmoins, ce coup-ci, c’est avec le genou que je l’ai rattrapé, j’ai dû pousser fort sur ma jambe pour y arriver. Peut-être que ma souplesse m’aide aussi. Mon frère Alex fait le même entraîneme­nt que moi, mais il ne possède pas cette souplesse. Donc, je dois remercier mes parents pour ça. » Marquez a beau passer par la Q1 suite à une nouvelle chute en FP3, sa première depuis le Mugello 2015 et seulement la troisième en cinq ans de carrière Motogp, Marc signe tout de même le deuxième chrono des qualifs

« Quand je ne gagne pas, il me manque toujours quelque chose. Mais cette deuxième place est importante au championna­t. » Marc Marquez

à seulement 66 millièmes de Lorenzo, lors qu’il a été involontai­rement gêné par Petrucci dans l’avant-dernier virage. A ce stade du week-end, on sait Marc rapide sur un tour, mais c’est Lorenzo qui a démontré le meilleur rythme avec un run de douze tours en gros 39 sur des pneus tendres qui finissent avec la distance de course. Une perf qui le donne clairement favori pour la course.

TERRAIN MINÉ

D’autant qu’à Barcelone, la capacité de Jorge à préserver ses pneus est un élément clé. Cela tient à la nature du nouvel enrobé. Samedi après-midi, MJ prend un petit cours d’asphalte avec Jarno Zafelli, le boss de Dromo, qui a conçu la fantastiqu­e piste de Termas de Rio Hondo : « Le problème avec le resurfaçag­e qu’ils ont effectué ici, à Barcelone, c’est que les silex sont bien trop rapprochés. La surface est lisse comme un miroir. Il y a eu une course de rallye cross sur le mouillé, il y a un mois : tu regardes les photos, on dirait qu’ils courent sur un lac ! Dans ces conditions, il n’y a pas de grip, mais, quand la températur­e au sol atteint ou dépasse les 50°, c’est également problémati­que : la surface, qui n’offre pas d’aspérité pour que la gomme s’accroche, engendre un patinage excessif et peut faire cloquer les pneus. Les organisate­urs ont eu du bol qu’il ne fasse pas trop chaud ce week-end. C’est précisémen­t la raison pour laquelle chez Dromo, on travaille avec un asphalte plus “aéré”. Les aspérités ont le double avantage de générer du grip et l’air qui se trouve entre les silex refroidit la gomme [lire les textos]. » C’était précisémen­t la caractéris­tique de l’ancien bitume de Catalunya. Foi d’ex-essayeur MJ, pour avoir testé nombre de sportives ici sur le sec comme le mouillé et même fait un tour sur la Desmosedic­i biplace, je peux vous dire que ça tenait. En conférence de presse d’après qualifs, Dovizioso appuie les remarques de Jarno : « C’est comme l’an dernier, sur le vieil asphalte avant réfection. Le feeling reste étrange. On va vite, car le nouveau bitume a quand même du grip. Mais quand la moto glisse, son comporteme­nt est étrange. Ça va encore être une course tactique où personne ne pourra être à son maximum du début à la fin. » Dovi est bien placé pour le savoir, vu que l’an passé, c’est en gérant au mieux l’usure de ses pneus sur la patinoire de Montmelo qu’il avait triomphé : « J’ai ma stratégie avant le départ de la course, mais, suivant la manière dont elle se décante, il faut souvent s’adapter », explique le vice-champion du monde en titre.

LA DÉMONSTRAT­ION

De plus, dimanche, les conditions climatique­s semblent jouer en faveur de Jorge, avec une météo un peu moins chaude que la veille qui va l’aider dans son numéro de métronome. Quiqué, son assistant personnel, qui travaille à ses côtés depuis sept ans maintenant, au petit-déj’ dans l’hospitalit­y Phillip Morris : « Jorge va bien : il a bien dormi. On travaille dur pour qu’il réussisse depuis qu’il est passé chez Ducati, et on y croit. » Et, comme de bien entendu, Jorge ne tremble pas. Et, en grand champion qu’il est, prend la tête au deuxième tour, pour ne plus la quitter jusqu’à la fin. Imprimant

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 ??  ?? 1 [1] La même On prend le même, et on recommence ! Quinze jours après sa superbe victoire au Mugello, Jorge Lorenzo a récidivé, devançant Marquez de presque cinq secondes et Rossi de six. Tout cela après avoir fait la pole. [2] Satisfacti­on Le team Ducati en plein délire après la victoire de son futur ex-pilote. « Désormais, nous avons un package vraiment très compétitif, a expliqué Lorenzo. Je pense que cette moto est la Ducati la plus aboutie de tous les temps. »
1 [1] La même On prend le même, et on recommence ! Quinze jours après sa superbe victoire au Mugello, Jorge Lorenzo a récidivé, devançant Marquez de presque cinq secondes et Rossi de six. Tout cela après avoir fait la pole. [2] Satisfacti­on Le team Ducati en plein délire après la victoire de son futur ex-pilote. « Désormais, nous avons un package vraiment très compétitif, a expliqué Lorenzo. Je pense que cette moto est la Ducati la plus aboutie de tous les temps. »
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[1], [2] et [3] Show Après l’arrivée, Marquez a fait le show à sa manière... Avec moult roulades. En piste ou en dehors, l’espagnol aime assurer le spectacle. 1 2
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[4] et [5] Assagi ? Après son résultat blanc du Mugello, Marc Marquez a presque été “sage” dans ce GP où tant de pilotes sont partis à la faute. Avant cela, pendant les essais, il avait tout de même encore fait des figures... Sa deuxième place lui permet de prendre de gros points et d’accroître son avance sur Rossi au classement provisoire. [6] Encore mieux Pourtant parti de la dixième place sur la grille suite à un crash aux essais, Cal Crutchlow a terminé quatrième et premier pilote satellite. Une perf qui lui permet de grimper de passer de la 8e à la 6e place du classement, huit points derrière le troisième, Viñales.
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