Harley et Indian, les jouets de Donald
Pris en tenaille dans un bras de fer commercial entre les Etats-unis et l’europe, Harley-davidson et Indian sont contraints de repenser leur production destinée au Vieux Continent, sans vraiment en connaître les conséquences.
Lorsqu’il est passé rendre visite à Donald Trump le 2 février 2017, escorté par les plus beaux modèles de la gamme Harley-davidson qu’il a parqués devant la Maison Blanche, Matthew Levatich, le big boss de la marque, n’avait probablement aucune idée du couteau qu’il allait prendre dans le dos un an et demi plus tard. Le Président des Etats-unis, tout juste élu, qualifiait alors Harley de « véritable icône américaine » et le remerciait de « construire des choses en Amérique. » A cette époque, Trump n’a pas d’autre choix que de dire merci aux ouvriers de Harley. Ceux du Wisconsin et de Pennsylvanie, deux swing states qui ont finalement basculé de son côté pour le faire triompher d’hillary Clinton en novembre 2016. Mais “the Donald”, comme on l’appelle parfois, ne connaît visiblement pas le renvoi d’ascenseur... Par une succession de décisions commerciales hasardeuses, le président américain vient en effet de tirer une belle balle dans le pied de ses constructeurs moto maison : Harleydavidson et Indian Motorcycle. Indirectement, certes, car c’est en réalité l’europe qui impose, depuis le 22 juin, de nouvelles taxes sur les produits en provenance des Etats-unis – dont les motos –, mais cette décision européenne est bien une riposte au protectionnisme aveugle de l’administration Trump.
AMERICA FIRST
Pour mieux comprendre, il
convient de rembobiner le film. Le 1er mars 2018, Washington annonce vouloir mettre en place de nouveaux droits de douane sur les importations d’aluminium et d’acier en provenance d’europe, du Canada et du Mexique, afin de favoriser la réindustrialisation des Etats-unis. « America first ! », argue comme toujours Donald Trump. Tollé de la part des pays concernés, qui, malgré les négociations et une plainte à l’organisation mondiale du commerce, se voient finalement imposer, depuis le 1er juin, une surtaxe de 25 % sur leurs aciers et une autre de 10 % sur leurs aluminiums en partance pour les USA. Une belle attaque commerciale à destination de l’union européenne, qui exporte l’équivalent de six milliards d’euros de ces métaux vers les Etats-unis chaque année. En face, il fallait s’attendre à une réaction. Elle n’a pas tardé. Cinq jours plus tard, la Commission européenne a annoncé que de nouveaux droits de douanes seraient appliqués sur une série de produits américains à compter du mois de juillet. En représailles, L’UE est même allée plus loin, en actant une surtaxe allant de 10 à 50 % selon les produits ! Au milieu des jeans Levi’s, du beurre de cacahuète et des Boston Whaler (bateaux), les motos thermiques de plus de 500 cm3 subissent désormais 25 % de droits de douane supplémentaires. Zero Motorcycles, qui ne produit que de l’électrique, n’est pour l’instant pas concerné. Pour les autres, le total des taxes passe donc à 31 %, puisqu’un droit douanier de 6 % existe déjà. Sans aller jusqu’à dire que Washington a volontairement plombé l’aile de ses deux fleurons de la moto, c’est bien à cause de sa propre politique commerciale que chaque Harley vendue en Europe subira un surcoût de 2 200 $ en moyenne (environ 1 900 €). Mais Donald Trump n’est pas à une ineptie près.
IMPORTANTE EUROPE
Après que les Etats-unis et l’union européenne se sont donc déclaré une petite guerre commerciale, ne restait qu’à attendre la réaction de la troisième partie : les constructeurs. Pour eux, c’est un peu la double peine. D’abord, des matières premières plus chères et une autre majoration sur le produit fini, le tout indépendamment de leur volonté. Sans parler des enjeux, car le marché européen est extrêmement important pour les deux marques. Harley-davidson
y a vendu 40 000 motos en 2017, soit son premier marché hors Etats-unis (140 000 motos en 2017). Plus que ça, l’europe est l’un des deux seuls marchés (avec l’asie du Sud) où la firme de Milwaukee progresse en 2018, avec des ventes en hausse de 8,1 % sur le premier trimestre (9 716 motos en 2018 contre 8 984 en 2017). Ailleurs, les ventes chutent. En 2017, Harley a subi un recul de 6,7 % dans le monde et prévoit une nouvelle baisse de l’ordre de 3 à 5 % en 2018. Sans compter la fermeture du site de Kansas City, dans le Missouri. Bref, pas du tout le moment pour une surtaxe en Europe ! Du coup, Harley a pris les devants et annoncé, le 26 juin, qu’il allait délocaliser la production de ses motos destinées à l’export, tout en assurant aux concessionnaires que ni eux, ni les clients, ne subiront l’augmentation de 2 200 $. Les motos pour tous les marchés autres que les Etats-unis seront donc fabriquées en Australie, au Brésil, en Inde et en Thaïlande. Dit comme ça, ça paraît simple, mais délocaliser des chaînes de production n’est pas une mince affaire. Entre la surtaxe européenne et le transfert de fabrication, qui prendra entre neuf et dix-huit mois, cette affaire coûtera entre 90 et 100 millions d’euros à la marque sur un an. Harley, dont le bénéfice opérationnel a déjà baissé de 20 % en 2016, n’avait vraiment pas besoin de ça… Nous avons plusieurs fois tenté de contacter Harley France pendant l’élaboration de cet article, sans succès. Chez Indian Motorcycle, le son de cloche est sensiblement le même. Comme Harley, la marque fonde de beaux espoirs sur le Vieux Continent depuis sa renaissance, il y a cinq ans. En France, la firme historique de Springfield (Massachusetts) compte sur une augmentation des ventes d’un peu plus de 10 % en 2018 avec un objectif de 1 350 immatriculations (contre 1 050 en 2017). Pour cela, pas question de subir la guéguerre entre l’europe et les Etats-unis. A l’heure où nous bouclons ces lignes, aucune information officielle n’a encore été donnée, mais, d’après nos sources, Indian devrait opter pour la même stratégie que son voisin, en délocalisant dans ses usines européennes (en Pologne) la production des motos qui y seront vendues. Aucune augmentation ne serait à prévoir sur la gamme en 2018, et la marque espère un minimum d’impact en 2019.